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collection Wiz sur son site internet différencie différents univers dont l’univers « Wiz Girl » avec les ouvrages de Meg Cabot, Jody Linn Anderson ou encore Jennifer Lynn Barnes.

Une segmentation par l’âge, qui prend en compte les capacités de lecture des adolescents et leur niveau de maturité, se perçoit également dans la création de nouvelles collections destinées aux préadolescents. Depuis 1998, la collection Lampe de poche de Grasset Jeunesse s’est considérablement découpée et diversifiée selon l’échelle des âges avec notamment la création de la sous-collection « Lampe de poche pré-adolescents ». Certaines collections sont clairement identifiées en direction de cette catégorie. C’est le cas d’ « Estampille » chez Bayard Jeunesse, « Les petits rebelles » chez Michallon qui vise les 9-13 ans, « Le Furet enquête » aux éditions Albin Michel ou encore « Tempo » chez Syros.

Elargissement du lectorat :

La collection « MSK » aux éditions du Masque revendique sur son site Internet être « destinée aux ados, grands ou petits, et parfois même à leurs parents. »58 Cette description est emblématique des bouleversements de la prise en compte des adolescents par le secteur éditorial. Comme on a pu le voir, un élargissement vers les enfants plus jeunes a donné naissance à de nouvelles collections. Toutefois, aux côtés d’une segmentation plus fine des collections, on observe depuis quelques années l’apparition de collections consacrées aux romans dits cross-age, cross-over ou « passerelles » qui s’adressent en priorité aux adolescents et « jeunes adultes », sans toutefois le mentionner sur la couverture et réduite les lecteurs potentiels à une tranche d’âge.

Deux numéros de la revue Lecture jeune, revue de réflexion d’information et de choix de livres pour adolescents, se sont penchés sur la catégorie des jeunes adultes et leur place dans la littérature de jeunesse en 1996 et en 2011. Dès 1996, la revue s’interrogeait déjà sur l’existence d’une littérature destinée aux « young adults », lui reconnaissant « une manière renouvelée de dire le monde, ses excès et ses espoirs » et sur les paradoxes de ce public convoité par les éditeurs qui délaissent pourtant les livres. En 2011, le sociologue Olivier Galland va même jusqu’à se demander si les 18-30 ne formeraient pas une nouvelle classe d’âge, ayant une indépendance économique mais qui retardent le moment de fonder une famille et d’avoir des enfants.59 Pour les Anglo-saxons, il s’agit des adolescents à partir de treize ans. En France, le « jeune adulte » est plus âgé et peut avoir de 16 à 25 ans environ. Depuis une dizaine d’années, sous l’influence anglo-saxonne, les éditeurs jeunesse ont tenté de cibler un public plus âgé que celui qui leur est habituel. Christine Ferrand fait remarquer que « la réussite la plus inattendue dans cette ouverture de la littérature pour la jeunesse aux plus grands est représentée par Harry Potter […] Le tour de force de Joanne K. Rowling est d’avoir inventé un héros qui grandit avec ses lecteurs. »60

58 http://www.msk-la-collection.com/

59 Galland, Olivier. « Les 18-30 ans, la « nouvelles » jeunesse ? », Lecture jeune, mars 2011, n°137.

60 Ferrand, Christine. « En littérature, les jeunes adultes existent-ils ? », Lecture jeune, décembre 2000, n° 96,

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Les éditeurs cherchent tout d’abord à élargir leurs catalogues avec de nouveaux auteurs, souvent empruntés à la littérature pour adultes tels Marie Desplechin, Christophe Donner, Agnès Desarthes ou Brigitte Smadja. Mais on assiste également dans les années 1990 à la création de collections spécifiquement adressées aux jeunes adultes. En 1999, Gallimard Jeunesse avait créé la collection « Frontières » pour les jeunes adultes dont Cécile Dutheil, directrice de la collection, affirmait qu’il s’agissait d’« une collection de passage, passage entre l’adolescence et l’âge adulte plutôt qu’entre l’enfance et l’adolescence »61. Cependant, la collection s’arrête en 2002, laissant place à la collection « Scripto ». En 1998, J’ai Lu lance la collection « Nouvelle génération » qui annonce qu’elle s’adresse à une « nouvelle génération de lecteurs ». Cette initiative est suivie par Pocket qui crée en 2003 un secteur « Jeunes Adultes » qui a « cristallisé l’émergence plus proche de l’univers des 20-25 ans »62 et dont les jeunes auteurs ont un style plein de provocation, souvent déstructuré et fait de phrases courtes et percutantes. En avril 2011, Fleuve Noir lance sa nouvelle collection « Territoires » clairement destinées aux « young adults » et s’adressant à « un public mixte ». Le Livre de Poche Jeunesse propose également une sous collection estampillée jeune adulte depuis janvier 2011.

Certaines collections puisent dans leur fonds éditorial les titres qui seront à même de séduire les jeunes adultes. La plupart des titres de la collection « Babel J » appartiennent au catalogue d’Actes Sud. « Pocket Jeunes Adultes » accueille elle aussi des succès de la littérature générale et des collections jeunesse que ce soient des best-sellers ou des classiques (Les Cœurs fêlés de Gayle Forman, la série Uglies de Scott Westerfeld, L’Armée des ombres de Joseph Kessel, L’Attrape-cœurs de J.D Salinger etc.)

C. UN E R E A L I T E E D I T O R I A L E E T I N S T I T U T I O N N E L L E

La création de nombreuses collections ainsi que leur maintien, remplacement ou disparition au cours de ces dernières années, attestent l’existence d’un phénomène sur le plan sociologique et éditorial. L’organisation de l’offre éditoriale s’établit en fonction d’un lectorat-cible et des œuvres de fiction s’adresse à un public différent des enfants et des adultes, dans le cadre de collections de littérature de jeunesse mais en relation de plus en plus étroite avec la littérature générale.

De fait, l’évolution de la littérature pour adolescents est sous-tendue par l’émergence et l’évolution du lectorat adolescent mais aussi par la naissance et les mutations de collections qui leur sont spécifiquement adressées. Mais l’évolution de ce phénomène littéraire et éditorial se mesure également à l’aune de sa réception par la critique spécialisée.

61 Interview dans Lecture Jeune, mars 1999, n°89.

62 Ferrand, Christine « En littérature, les jeunes adultes existent-ils ? », Lecture jeune, décembre 2000, n° 96,

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La prise en compte du lectorat adolescent se concrétise tout d’abord chez les libraires, spécialisés ou généralistes, par la création de sections ou de rayons spécifiques. Distincts des livres pour enfants et de la littérature générale, les ouvrages pour adolescents ont pris une place particulière dans les librairies ces dernières années.

L’espace octroyé aux adolescents est un véritable choix stratégique pour les libraires. A tel point que Cécile Charonnat souligne que face à la production éditoriale de plus en plus abondante, « les libraires s’interrogent: faut-il bousculer leur rayon jeunesse et démarquer cette littérature pour lui donner sa propre logique ? »63 Le directeur de la collection « Exprim’ » chez Sarbacane, Tibo Bérard avance que ces livres ne trouvent pas de place appropriée en librairie : « Accompagner le mouvement en leur offrant un espace séparé où ils bénéficient d’une réelle visibilité peut se révéler économiquement intéressant pour les libraires »64. De nombreux professionnels du livre témoignent que cette littérature répond bien à une demande comme Delphine Le Borgne, directrice de Livres In Room à Saint-Pol-de- Léon, lorsqu’elle témoigne que l’ « on constate quotidiennement qu’en arrivant au lycée les jeunes ont envie d’autre chose. Mais ils se sentent noyés devant l’offre en littérature générale »65.

Les librairies spécialisées jeunesse, souvent connotés petite enfance, tentent alors de retenir ce public qui s’éloigne tout ce qui rappelle l’univers de l’enfance. Pour remédier à ce phénomène, la librairie jeunesse La Soupe de l’Espace à Hyères a divisé son local en deux pour réservé l’espace du fonds à « ceux qui lisent tout seul ». Ils y mélangent des collections destinées aux adolescents et une cinquantaine de titres provenant des catalogues adultes, au gré de l’actualité et de leur lecture. Les libraires Mélanie et Jean Pichinoty revendiquent vouloir « casser cette image jeunesse ». En librairie généraliste, les adolescents ne fréquentent plus les rayons jeunesse alors que les livres qui leur sont destinés s’y trouvent du fait de leur appartenance au catalogue jeunesse des éditeurs. Les libraires cherchent alors des solutions, qui passent le plus souvent par la création d’espaces ou de rayons étiquetés « ados ». C’est le cas de la librairie Mollat à Bordeaux qui a implanté en été 2009 un espace « romans ados », à proximité du rayon poches, et dont la fréquentation ne cesse d’augmenter, attirant également des adultes. On retrouve des initiatives similaires chez Maupetit-Actes Sud à Marseille, à la Courte Echelle à Rennes ou bien au Furet du Nord à Lille.

Ainsi, au-delà de la justification économique, ce rayon se révèle stratégiquement important pour les libraires dans la fidélisation des jeunes et leur accompagnement vers la littérature générale. Gilles de La Porte, directeur de La Galerne au Havre, analyse d’ailleurs que « ce

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Charonnat, Cécile. « Jeunes adultes : une génération convoitée », Livre Hebdo, vendredi 26 novembre 2010 n°843, p.18.

64 Cité dans Charonnat, Cécile. « Jeunes adultes : une génération convoitée », Livre Hebdo, vendredi 26

novembre 2010, n°843, p.18.

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Ibid.