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lettres des collèges. Ces fiches connaissent un grand succès et sont maintenant disponibles sur les sites Internet de Gallimard et Gallimard jeunesse. Désormais Jean-Philippe Arrou-Vignod dirige désormais la collection « Hors-piste », pour les 9-12 ans. Il continue à écrire pour Folio Junior. Sous son impulsion la collection se diversifie avec la création de « Page noire » et « Page blanche cinéma ».

Les directeurs successifs sont donc des écrivains, et la collection veut être reconnue comme une des plus littéraires du marché. Les différents directeurs semblent garder la même ligne éditoriale et les mêmes exigences tout en faisant entrer de nouveaux auteurs au catalogue. Leur vision de ce que doit être un roman pour adolescent semble assez similaire. En effet, selon Geneviève Brisac un livre réussi pour adolescent est un roman dont l’ « originalité va de pair avec sa richesse. Son écriture s’allie au suspense du récit »114. Pour Jean-Philippe Arrou- Vignod, un bon roman pour adolescent est « celui qui échappe à toute définition. Un œuvre vraie, habitée par un écrivain capable d’imposer la justesse de son univers par l’entremise des mots. »115 Enfin, Claude Gutman soutient que « toute littérature digne de ce nom n’est pas une fabrication à partir d’une thématique déclinée pour adolescents (grands ou petits) mais l’intrusion dans l’univers du lecteur d’un autre imaginaire, singulier – celui de l’écrivain. »116 Ainsi, la personnalité et l’univers de l’écrivain sont des aspects primordiaux dans le choix de publication ou non dans une collection pour adolescents. Tous trois affirment donner la priorité aux qualités littéraires et à l’émotion qui se dégage de la lecture. Un livre pour adolescent ne doit pas laisser indemne. Pour Geneviève Brisac ils « brisent la glace en nous », tout comme pour Jean-Philippe Arrou-Vignod pour qui « ils ouvrent à l’imaginaire, dépassent la simple réalité » et Claude Gutman pour qui un bon roman doit secouer son lecteur.

« Page blanche » semble donc avoir été un tremplin, un point de départ pour ces trois éditeurs avant qu’il ne parte vers d’autres maisons d’édition. La collection a donc connu les trois principaux acteurs de la littérature pour adolescent des années 1990. Un article de la revue Lecture Jeune les rassemble d’ailleurs en 1997, chacun évoquant sa propre collection117. Leur rôle a été décisif auprès des écrivains pour la parution de certains romans. Leur relation avec les auteurs de l’époque, leur intuition pour convaincre certains écrivains d’écrire pour la jeunesse ont donné naissance à des ouvrages désormais emblématiques de la collection « Page blanche ». Christophe Donner témoigne ainsi de son travail avec l’éditrice pour la collection : « c'est une commande de Geneviève Brisac qui travaillait alors chez Gallimard et fondait la collection « Page blanche ». J'ai écrit deux livres pour elle dans cette collection. »118 Quant à Jean-Paul Nozière, il raconte sur son site Internet l’influence de Claude Gutman sur l’écriture

114 « Les points de vue des éditeurs. Questions à Geneviève Brisac, Jean-Philippe Arrou-Vignod, Claude

Gutman, Arnaud de la Croix ». Lecture jeune, juillet 1997, n°83, p.16.

115 « Les points de vue des éditeurs. Questions à Geneviève Brisac, Jean-Philippe Arrou-Vignod, Claude

Gutman, Arnaud de la Croix ». Lecture jeune, juillet 1997, n°83, p. 18.

116 « Les points de vue des éditeurs. Questions à Geneviève Brisac, Jean-Philippe Arrou-Vignod, Claude

Gutman, Arnaud de la Croix ». Lecture jeune, juillet 1997, n°83,, p.20.

117 « Les points de vue des éditeurs. Questions à Geneviève Brisac, Jean-Philippe Arrou-Vignod, Claude

Gutman, Arnaud de la Croix ». Lecture jeune, juillet 1997, n°83, pp.16-21.

118 Propos recueillis par Maïté Hugueny pour le magasine Citrouille. Disponible sur :

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du roman La Ville de Marseille : « Un été algérien a eu tout de suite beaucoup de retentissement, beaucoup de prix et beaucoup de « succès », comme on dit ! Les mois passaient sans que je reprenne le travail […] car j’étais certain que des critiques imbéciles annonceraient que j’exploitais le filon du succès de Un été algérien, ce que je n’aurais pas pu supporter, car ces romans liés à la guerre d’Algérie sont pour moi extrêmement précieux et importants. Le temps s’est donc écoulé et chaque fois que Claude Gutman, qui avait publié Un été algérien en 1990, me disait au téléphone « allez, écris puisque tu sais que tu le feras un jour, que c’est plus fort que toi ! Mets-toi au boulot en oubliant les critiques ! », je lui répondais « impossible, je refuse de lire que j’exploite un « filon ». Comment veux-tu que j’écrive en songeant à ça ? » Cette peur de lire de pareilles âneries me bloquait. Claude Gutman a alors eu une lumineuse idée. Quatre ans s’étaient écoulés, quatre ans durant lesquels il me répétait « au travail ! Écris ce que tu as dans les tripes ! C’est plus important pour toi qu’un article idiot mettant en cause tes motivations ! ». Claude Gutman m’a envoyé un contrat vierge. J’écrirais ce que je voulais, quand je le voudrais. [….] La poussée de la main du type qui vous expédie dans la piscine alors que vous crevez d’envie de plonger, que vous savez nager, mais la peur vous annonce que la noyade vous attend. […] Quelques jours plus tard, je commençais Le ville de Marseille. »119

A partir de 1995, suivant une ligne générale des éditions Gallimard, qui mêle de nouvelles expérimentations, « Page blanche » se décline en « Page noire » consacrée au policier et au roman noir. La collection est décrite comme suit : « mystères, frisson, fantastique : des livres toniques à consommer sans modération. Une collection pour adolescents d'aujourd'hui qui mêle humour et gravité, énigmes et aventures, fiction et réalité. Des livres alertes et modernes, écrit à l'encre noire par les meilleurs spécialistes du genre. Page Noire et nuits blanches garanties… » La collection « Mille Soleils » comprenait déjà des classiques du policier avec des œuvres de Maurice Leblanc à la série Sans Atout. De la même manière que « Page Blanche » fait référence à la collection Blanche pour adultes, « Page noire » se veut l’héritière de « La Noire » lancée en 1992 mais également de la collection « Série noire ». Créée sous l’impulsion de Jean-Philippe Arou-Vignod, auteur de plusieurs romans policiers pour la jeunesse, la collection vise à mettre en lumière les récits policiers du catalogue de « Page blanche » et fait partie des nouvelles collections de romans policiers pour les jeunes des années 1990. En 1986, la collection « Souris noire » lancée par Joseph Périgot avait déjà marqué un tournant décisif dans « la naissance du polar jeunesse moderne »120 et d’autres collections avaient été lancées sur le même modèle comme « Cascade Policier » chez Rageot ou « Les classiques du polar » chez Hatier.

« Page noire » est marquée par la série d’Andreu Martin et Jaume Ribera qui propose les aventures de l’apprenti détective Flanagan et par les œuvres d’auteurs reconnus dans le champ

119 http://jpnoziere.com/pourquoi.htm 120

Perrin, Raymond. Histoire du polar jeunesse, romans et bandes dessinées. Paris : L’Harmattan, 2011, p.10. 3. La peti te s œur, « Pa ge n oi re »

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du roman policier tels Yves Hughes, Thierry Jonquet et Tonino Benacquista. Un recueil de nouvelles intitulé Pages Noires regroupe douze grands noms du polar ainsi que des auteurs que l’on attendait pas dans ce genre. Ainsi, Jean-Marie Laclavetine, auteur «gallimardien» d’une veine blanche plutôt classique, surprend avec Bonheur d’aiguillage.

De même, « Page blanche » s’ouvre à l’univers filmique avec « Page blanche cinéma ». Les réalisateurs y adaptent leurs scénarios tels que Fracture du Myocarde de Jacques Fansten ou Toto le héros de Jaco Van Doarmel.

La collection semble ainsi segmenter plus précisément son offre et ouvrir son catalogue aux paralittératures. A cette date, Gallimard jeunesse cherche un souffle nouveau dans un marché où le livre de poche domine. « Page blanche » est proposée sous une autre maquette avec un format plus petit et abandonne ainsi ce qui participait de son identité. La couverture est réorganisée autour des illustrations de Yan Nascimbene recadrées et surtout un prix moindre. Livres au Trésor évoque à cette occasion le changement de format « la collection a abandonné son format d’origine pour s’aligner sur un format poche plus conventionnel (et moins cher) »121 .

En 1997, à l’occasion des dix ans de la création de la collection, une série de dix nouvelles provenant dix auteurs différents sur le thème des couleurs est éditée. Jean-Paul Nozière (Blanc comme neige), Régine Detambel (Le poème indigo), Ernest Pépin (L’écran rouge), Pierre-Marie Beaude (Ocre), Sylvie Germain (L’Encre du poulpe), Nancy Huston (Les Souliers d’or), Catherine Lépront (Ivoire), Jean-Philippe Arrou-Vignod (La Statuette de Jade), Virginie Lou (La vie en rose) et Didier Daeninckx (La couleur du noir) ont écrit des nouvelles pour cette occasion. Certains auteurs étaient déjà présents au sein de la collection : Régine Detambel, Jean-Paul Nozière, Ernest Pépin et Pierre-Marie Beaude ont un ou plusieurs ouvrages en « Page blanche ». Des auteurs appartenant au champ de littérature générale comme Sylvie Germain, Virginie Lou ou Nancy Huston ont été appelés pour cet évènement. Alain Goulet fait par exemple remarquer que la nouvelle écrite par Sylvie Germain est « une œuvre de commande », pour laquelle l’auteur était « invitée à choisir sa couleur »122. Il s’agit ainsi de rappeler les ambitions littéraires de la collection. Les grands noms de la littérature pour adultes cautionnent la collection et apposent une aura de qualité littéraire et de modernité. « Page blanche » réaffirme sa spécificité par rapport aux autres collections pour adolescents.

En 1998, Livres au trésor offre également un historique des dix ans d’existence de la collection et la décrit comme ceci : « une collection qui s’impose rapidement, tant par la qualité de ses textes que par celle de l’objet-livre, sobre et raffiné : format en hauteur,

121 http://www.livresautresor.net/livres/moteur2.php?editeur=20&exclu=ok

122 Goulet, Alain. Sylvie Germain, œuvre romanesque: un monde de cryptes et de fantômes. Paris : L’Harmattan,

2006, p.167.