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T ABLEAU 4 P REFER ENCES DE LECTUR E SELON LE SEXE

2. Les années 19 80 et

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Patrick Borione et Pili Muñoz font de cette période l’âge d’or des collections pour adolescents et affirment que « le renouveau viendra surtout de trois collections qui vont profondément marquer la décennie 85/95 : Médium, de l’Ecole des loisirs, Page Blanche, des éditions Gallimard, Fictions, des éditions Seuil auxquelles on peut adjoindre dans une moindre mesure « Les Uns les autres » des éditions Syros, dirigée par Germaine Finifter. »43 Ces collections proposent des textes inédits d’auteurs contemporains, mais ce qui les différencie des collections de la décennie précédente et leur revendication d’un caractère littéraire, qui sera peu à peu attesté par la critique spécialisée. Leurs directeurs vont rapidement établir des ponts avec la littérature générale en faisant appel avec des auteurs qui écrivent dans ce secteur tels que Jean Joubert, Gérard Pussey, Hervé Jaouen, Jean-Noël Blanc, Marie Desplechin, Christian Lehman, Agnès Desarthe, François Bon etc. Une même vision de la littérature pour adolescent semble animer ces collections dont la présentation est assez similaire : l’esthétique des couvertures soignée, minimaliste chez Medium, intimiste pour Page Blanche et abstraite avec Fictions, ainsi que le format et la qualité du papier sont en rupture avec la présentation habituellement dévolue à l’édition jeunesse. Leur présentation et leur prix relativement élevé fait d’ailleurs dire à Caroline Rives que ces collections se rapprochent « délibérément du livre pour adultes » et que « leurs directeurs affirment bien haut leur vocation de passeurs : plus que comme des livres destinés à un public déterminé, ils définissent les livres qu’ils publient comme des livres mixtes, qu’ils aimeraient voir lus par des adolescents et des adultes, des livres qui devraient assurer une transition avec une littérature non définie par son destinataire. »44

La première collection créée se trouve être « Médium » à l’Ecole des loisirs en 1986. Geneviève Brisac en prend la tête en 1989 après avoir fondé la collection « Page Blanche » chez Gallimard. Après avoir traduit des textes d’auteurs allemands, anglais ou américains, elle constitue un catalogue fait d’une nouvelle génération d’auteurs français : Christophe Donner, Moka, Malika Ferdjoukh, Marie-Aude Murail, Susie Morgenstern, entre autres.

Gallimard jeunesse lance en 1987 « Page blanche » qui affirme d’emblée sa vocation littéraire, par son esthétisme et les textes proposés. En 1998 la collection s’étend à la littérature de genre avec la création de « Page noire » et à un public plus âgé avec le lancement de « Frontières », destinée aux jeunes adultes. En 1995, les éditions du Seuil lancent « Fictions », dirigée par Claude Gutman. La collection contrairement aux deux autres, contient peu de traductions anglo-saxonnes.

Si uniquement « Médium » et « Page Blanche » proposent les grands auteurs anglo-saxons (Natalie Babbitt, Lois Lowry, Robert Lipstyle, M.E. Kerr, Paula Fox, Robert Westall), un effort est fait en direction des littératures de langues plus rares. Ainsi entre 1995 et 1997 on trouve en « Page Blanche » un livre néerlandais, Le secret de maître Joachim de Sigrid Heuck, un livre turc, Ankara ce printemps-là de Gaye Hiçyilmaz, un livre israélien,

43 Borione, Patrick ; Muñoz, Pili, « Les tendances de l’offre éditoriale en direction des adolescents : 1985-

2002 », Lecture jeune, juin 2002, n°102.

44 Rives, Caroline. « Trois collections de romans pour adolescents : Médium, Page Blanche, Fictions… »,

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Wasserman de Yoram Kaniuk, un livre norvégien, Les Voleurs d’hommes de Mette Newth par exemple. En « Médium » un livre allemand, Les journées de Franck n’en finissent pas de Klaus Gordon, une livre néerlandais, Au pays de calao de Guus Kuijer, des livres italiens et turce. « Fictions » propose quant à elle Des gens tout simple de Feng Jicai, Le Golem d’Isaac Bashevis Singer ou Le Piège d’Anne Provoost. Le choix de traduire ces textes est surement personnel, moins dicté par les évidences d’un succès que les traductions de l’anglais, et s’intègrent plus directement dans les projets des collections.

De plus, les trois collections permettent la mise en valeur de la diversité des auteurs français et beaucoup passent de l’une à l’autre. On peut en citer quelques uns tels que Jean-François Ménard, Hervé Jaouen, Gérard Pussey, Boris Moissard, Moka, Christian Lehmann, Olivier Lécrivain, Serge Perez, Jean-Noël Blanc, Azouz Begag, Jean-Paul Nozière, Yves Heurté, Brigitte Smadja, Hubert Mingarelli ou encore François Bon.

Josée Larter-Geffard souligne que de nombreux changements se sont produits depuis cet âge d’or des collections pour adolescents. Tout d’abord, la notion d’adolescence est en pleine mutation, ses frontières de plus en plus floues et étendues, ce qui se ressent au niveau éditorial. De plus, les modifications du marché du livre, qui tend vers l’industrie culturelle, donne à voir plusieurs pratiques éditoriales destinées les adolescents. Elle distingue celles des maisons d’édition de petite taille, Le Rouergue, Thierry Magnier ou Syros qui s’appuient sur les prescripteurs, et celles choisies par le Seuil ou Gallimard pour tenter d’élargir leur lectorat et favoriser l’achat individuel spontané tout en restant proches des prescripteurs dont ils sont reconnus. De nombreuses collections ne mentionnent pas l’âge du public à qui elles destinent leurs ouvrages et « il semble qu’après avoir cherché à amener les jeunes lecteurs vers la littérature adulte, la démarche se soit maintenant inversée. »45 Daniel Delbrassine évoque ce phénomène en parlant de « polarisation du champ » de la littérature de jeunesse. D’un côté, le renforcement de la production de masse et des préoccupations commerciales et de l’autre des acteurs préoccupés par leur reconnaissance littéraire et pédagogique. Cette opposition entre rentabilité et capital symbolique touche particulièrement les collections pour adolescents puisque les éditeurs cherchent à séduire et capter ce public non-complaisant dans une optique commerciale.

Les collections « Page blanche », « Page noire » et « Frontières » sont supprimées en 2002 pour être remplacées par « Scripto ». « Fictions » n’est plus alimentée par des nouveautés et disparaît en 2001. Seule « Médium » est encore active. Elle poursuit sa démarche et publie toujours selon une logique d’auteurs maison.

De nombreuses collections se sont créées, certaines basées sur une approche différente de celle de leurs concurrentes, offrant une offre de plus en plus segmentée. Toutefois, des

45 Lartet-Geffard, Josée. Le roman pour ados une question d’existence, Paris : Editions du Sorbier, 2005, p.40.

Coll « La littérature jeunesse, pour qui, pour quoi ? » 3. Les années 20 00

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collections restent pourtant généralistes. Sans être exhaustif, on peut citer « Tribal » chez Flammarion lancée en 1999, « Métis » chez Rageot en 2003, « DoAdo » au Rouergue, « Romans adolescents » chez Thierry Magnier, « Exprim’ » chez Sarbacane, « Confessions » chez La Martinière jeunesse ou « Lampe de poche » chez Grasset jeunesse en 1998.

Les collections de hors-séries se sont multipliées comme « Hors séries » chez Hachette en 2001, « Les grands formats » chez Deglianne en 2001 ou bien « Hors séries littérature » chez Gallimard Jeunesse en 2002.

Des collections centrées sur un genre précis ont également vu le jour. Déjà la collection « Page Blanche » s’était déclinée avec « Page noire » en 1995 consacrée aux romans policiers avec des auteurs comme Yves Hugues, Jean-Paul Nozière ou encore Michel Grimaud. D’autres collections se déclinent elles-aussi sur le terrain du polar : en 2006 « DoAdo » se décline en DoAdo noir et en 2009 la collection « eXprim’ noir » est lancée.

Aujourd’hui des collections pour adolescents se spécialisent dans le domaine de l’imaginaire, de la fantasy et la science-fiction. On pense à la collection « Wiz » créée en 2002 aux éditions Albin Michel Jeunesse, mais également à la collection « Les Mondes imaginaires » chez Bayard Jeunesse en 2001, la collection « Autres Mondes » chez Mango. Dernièrement, Twilight a fait des émules et de nouvelles collections renouvellent le genre du fantastique, de « Black Moon » chez Hachette Jeunesse, à « Darkiss » aux éditions Harlequin ou encore « Castelmorre » chez Bragelonne. Dans la même maison que Pocket jeunesse (Editis), la nouvelle collection « Territoires » regroupe quatre univers : SF-Fantasy, Fantastique, Bit-lit et Thriller.

B. LE S A D O L E S C E N T S D A N S L’E D I T I O N

Concevoir aujourd’hui des textes, des supports, des univers littéraires à destination des adolescents est un enjeu auquel se confrontent chaque jour des éditeurs, qui font porter leur attention sur les désirs de lecture des adolescents ainsi que leurs nouvelles préoccupations et pratiques culturelles.

Ainsi, comment ce public adolescent si prisé aujourd’hui a-t-il été constitué? Comment s’est progressivement établie la prise en compte de ce public par l’édition ?

Le public adolescent, identifié comme tel par les éditeurs mais également par la société, prend naissance dans les bouleversements engendrés par mai 1968 en France. Depuis leur « découverte », les adolescents sont devenus des cibles marketing pour de nombreux secteurs commerciaux. Si les livres parlant de l’adolescence existent depuis toujours ou presque, une littérature spécifiquement conçue et pensée pour eux a vu le jour ces dernières années et l’on assiste même à un élargissement de ce public vers la pré et la post adolescence.