• Aucun résultat trouvé

La littérature pour adolescents : étude d'un phénomène éditorial à travers les collections "Page blanche" et "Scripto" chez Gallimard Jeunesse

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "La littérature pour adolescents : étude d'un phénomène éditorial à travers les collections "Page blanche" et "Scripto" chez Gallimard Jeunesse"

Copied!
193
0
0

Texte intégral

(1)

HAL Id: dumas-00747476

https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-00747476

Submitted on 31 Oct 2012

HAL is a multi-disciplinary open access

archive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés.

La littérature pour adolescents : étude d’un phénomène

éditorial à travers les collections ”Page blanche” et

”Scripto” chez Gallimard Jeunesse

Marion Barthelemy

To cite this version:

Marion Barthelemy. La littérature pour adolescents : étude d’un phénomène éditorial à travers les col-lections ”Page blanche” et ”Scripto” chez Gallimard Jeunesse. Littératures. 2011. �dumas-00747476�

(2)

1

Université Stendhal (Grenoble 3) UFR LLASIC

Département Lettres et Arts du spectacle

La littérature pour adolescents : étude d’un

phénomène éditorial à travers les collections « Page

blanche » et « Scripto » chez Gallimard Jeunesse

Mémoire de recherches pour le Master 2 Lettres et Arts, spécialité

« Littératures », parcours Métiers des bibliothèques

Présenté par : Directeur de recherches : Marion BARTHELEMY Mme Anne VIBERT Maître de conférences

(3)

2

Université Stendhal (Grenoble 3) UFR LLASIC

Département Lettres et Arts du spectacle

La littérature pour adolescents : étude d’un

phénomène éditorial à travers les collections « Page

blanche » et « Scripto » chez Gallimard Jeunesse

Mémoire de recherches pour le Master 2 Lettres et Arts, spécialité

« Littératures », parcours Métiers des bibliothèques

Présenté par : Directeur de recherches : Marion BARTHELEMY Mme Anne VIBERT Maître de conférences

(4)

3 2010-2011

(5)

4

R

EMERCIEMENTS

Je remercie Mme Vibert pour avoir accepté de diriger mon mémoire et pour sa disponibilité en ce qui concerne mon travail et le CAPES.

Je remercie également Eléonore Hamaide-Jager et Daniel Delbrassine pour m’avoir si aimablement communiqué leurs travaux.

(6)

5

S

OMMAIRE

Remerciements ... 4

Introduction ... 7

Partie 1: La littérature pour adolescents : tentative d’explication d’un phénomène éditorial .. 10

I. Les adolescents et la lecture : un problème spécifique ... 12

A. L’adolescence, une période difficile à cerner ... 13

B. Les pratiques culturelles des adolescents... 15

C. La lecture des adolescents... 21

II. Les collections pour adolescents : les évolutions d’un phénomène éditorial ... 28

A. Historique des collections pour adolescents ... 29

B. Les adolescents dans l’édition... 34

C. Une réalité éditoriale et institutionnelle ... 40

III. Les collections pour adolescents : des propositions éditoriales et littéraires diverses 45 A. Des approches éditoriales différentes ... 46

B. Les spécificités littéraires des romans pour adolescents... 50

C. Une littérature qui fait peur? ... 54

Partie 2 : De « Page Blanche » à « Scripto », les évolutions éditoriales... 57

I. Gallimard Jeunesse et ses collections pour adolescents... 59

A. Gallimard Jeunesse et les adolescents... 59

B. « Page Blanche », la pionnière... 63

C. « Scripto », entre continuité et renouveau ... 71

II. Les stratégies éditoriales... 75

A. Politique éditoriale des collections ... 76

B. Les mondes graphiques : évolutions de l’illustration... 90

C. Des changements dans le traitement de la littérature pour adolescents ? ... 111

III. Au cœur des collections : quelles évolutions des thèmes et des auteurs ? ... 119

(7)

6

B. L’évolution des auteurs ... 132

Partie 3 : « Scripto », une collection emblématique des tensions qui traversent la littérature pour adolescents aujourd’hui ... 144

I. « Scripto » : produit marketing ou existence littéraire ? ... 146

A. Le dénigrement de la littérature adressée aux adolescents ... 147

B. « Scripto » face aux accusations de marketing ... 149

C. Une écriture spécifique ?... 155

II. Des lectures pour jeunes ou pour adultes ?... 160

A. Un nouveau public, les « young adults » ... 160

B. Les romans cross age en « Scripto » ... 163

III. Une littérature entre peur et reconnaissance... 168

A. « Scripto » et les polémiques concernant les romans violents... 168

B. Les reconnaissances littéraires et institutionnelles... 173

Conclusion... 178

Bibliographie ... 180

Annexes ... 185

A. « Page blanche » : thèmes ... 185

(8)

7

I

NTRODUCTION

A l’heure d’Internet, de la concurrence des nouveaux médias, des livres électroniques, du piratage du livre sur le modèle de celui de la musique et du cinéma, de nombreux commentateurs conjecturent sur l’avenir du livre. Les points de vue oscillent entre déploration et évocation d’un avenir prometteur et dynamique. Les uns énumèrent les symptômes de ce que l’on qualifie de fin de la civilisation de l’écrit, constatant la marginalisation du livre au sein d’une industrie culturelle mondialisée, et signalent le déclin de la lecture parmi les pratiques culturelles contemporaines. Mais à côté de cette vision pessimiste pour le livre, toute une série d’analyses mettent au contraire en avant l’invention de nouveaux supports, de nouvelles formes d’écriture, de nouvelles pratiques de lecture.

De telles discordances prennent une ampleur accrue lorsqu’il s’agit d’évoquer le livre pour la jeunesse, domaine dont l’importance économique en fait un témoin clé de ces transformations. C’est d’autant plus vrai que le livre de jeunesse a traditionnellement été le plus innovant en intégrant les mutations de l’édition et les innovations techniques. Le livre de jeunesse est à la croisée de préoccupations économiques, celles de l’édition, de préoccupations littéraires, celles des auteurs, de préoccupations culturelles et de transmission, celles des pédagogues et des médiateurs.

Face à la désertion reconnue et préoccupante de la lecture par les adolescents, on pouvait donc supposer que les créateurs, les producteurs et les prescripteurs de la littérature de jeunesse allaient riposter avec passion et audace. Si l’on étudie l’historique du secteur jeunesse et le succès de certains ouvrages devenus des best-sellers internationaux, il semblerait que les collections pour adolescents soient la tentative tant attendue pour faire revenir les adolescents à la lecture. Le développement des collections destinées aux adolescents fait de cette littérature un phénomène éditorial contemporain qui bouleverse le champ de la littérature de jeunesse, qui est commenté par tous les professionnels du livre, mais aussi très controversé. En effet, de lourds soupçons pèsent sur les productions adressées aux adolescents. On les accuse à la fois d’être mièvres et violentes, aseptisées et dérangeantes, bonnes et mauvaises pour les adolescents. Historiquement liées à la prise en compte sociologique de la catégorie des adolescents, les collections pour adolescents ne peuvent se détacher des problématiques liées à l’âge du public concerné. Le lecteur adolescent est un lecteur ambivalent, qui se détourne de la jeunesse et de sa littérature mais qui n’est pas encore vraiment entré dans l’âge adulte et se trouve souvent perdu face à son offre de lecture. Si l’on peut définir une série de besoins généraux de l’enfant avec les contes, les albums, les livres de première lecture, dès la puberté, les besoins et les goûts se singularisent et différencient à l’extrême. L’adolescent constitue un public non-complaisant, difficile à cerner mais très convoité par les éditeurs si

(9)

8

l’on observe la diversité de l’offre éditoriale qui lui est consacrée. Josée Lartet-Geffard, va même jusqu’à distinguer trois générations dans les collections pour adolescents1.

Ainsi, il s’agira d’observer ce phénomène éditorial à travers le prisme de deux collections appartenant à deux générations différentes. Ceci ne revient pas tant à tenter d’évaluer la spécificité de la littéralité, définie comme ce qui fait qu’un livre est littéraire, tant les cas sont différents, mais plutôt à se demander comment sont conçus ses ouvrages. Quelles sont les évolutions éditoriales, littéraires et institutionnelles qui touchent les collections adressées aux adolescents ? Comment sont-elles composées et quelles sont les tensions qui les traversent aujourd’hui ?

Etudier la littérature pour adolescents implique des choix et donc une certaine subjectivité. En effet, étudier l’ensemble de la production adressée aux adolescents n’était pas possible dans le cadre de ce travail. Il a donc fallu sélectionner un corpus et par là même éliminer des œuvres qui auraient pu être emblématiques de cette littérature. Nous avons donc choisi de nous pencher plus particulièrement sur deux collections appartenant à la même maison d’édition. Le choix de l’étude de collections et non d’ouvrages éparses implique un corpus restreint et représentatif d’une vision de la littérature pour adolescents, d’une politique éditoriale précise. Le choix d’étudier deux collections a été perçu comme un moyen d’appréhender au mieux les changements dans les œuvres proposées aux adolescents. Enfin, le choix de la maison d’édition et des collections s’est fait par goût personnel et une connaissance accrue de certains titres.

Les deux collections retenues sont la collection « Page Blanche », considérée comme une pionnière dans le domaine de la littérature adressée aux adolescents, et sa petite sœur ou sa continuatrice, « Scripto » aux éditions Gallimard Jeunesse.

Afin de cerner ce qu’est aujourd’hui la littérature pour adolescents, il nous faudra tout d’abord replacer cette production dans son contexte culturel mais également historique. Il est nécessaire de partir des habitudes de lecture des adolescents pour comprendre comment l’offre de romans parvient à toucher ces lecteurs et à sélectionner quoi leur proposer. De plus, il convient de cerner l’offre actuelle en direction des adolescents pour appréhender les spécificités des collections étudiées.

De plus, la deuxième partie de ce mémoire s’attache à étudier les mutations éventuelles de la littérature pour adolescents à travers une comparaison des deux collections. Cette approche est plus éditoriale que littéraire car il s’agira de comparer l’histoire des collections, leurs stratégies éditoriales, leurs auteurs et leurs contenus propres. Cette partie s’attache ainsi mettre en lumière les objectifs et les particularités de ces deux collections au sein de la production éditoriale adressée aux adolescents.

1 Lartet-Geffard, Josée. Le roman pour ados une question d’existence, Editions du Sorbier, 2005. Coll. « La

(10)

9

Enfin, la dernière partie se penchera plus particulièrement sur la collection « Scripto » qui semble être emblématique des tensions qui traversent la littérature pour adolescents aujourd’hui.

(11)

10

P

ARTIE

1:

L

A LITTERATURE POUR ADOLESCENTS

:

TENTATIVE D

EXPLICATION D

UN PHENOMENE

EDITORIAL

« Il n'y a peut-être pas de jours de notre enfance que nous ayons si pleinement vécus que ceux que nous avons cru laisser sans les vivre, ceux que nous avons passés avec un livre préféré. »2

Marcel Proust

Lorsque l’on se penche sur la catégorie des romans pour adolescent, on constate le plus souvent que le raz-de-marée littéraire Harry Potter a déclenché un véritable phénomène éditorial mais également culturel. Ainsi, Cécile Charonnat n’hésite par à déclarer qu’« Harry Potter aura été le déclencheur, Twilight la confirmation. Depuis cinq ans environ, la littérature « young adults » […] a ramené dans les allées des libraires les 12-25 ans qui se sont mis à dévorer ses livres fabriqués pour eux.»3 Cette affirmation met au jour plusieurs caractéristiques de la littérature adressée aux adolescents.

Cécile Charonnat, souligne que les adolescents ont une relation lâche, voire inexistante avec la lecture. Pourtant, si les études montrent que les adolescents sont attirés par d’autres activités que la lecture à cette période de leur vie, l’étude menée Christian Baudelot, Marie Cartier et Christine Detrez qui a donné l’ouvrage Et pourtant ils lisent…4 est parvenue à démontrer que la lecture chez les adolescents n’a pas disparue.

De plus, ce phénomène littéraire a sans conteste surpris tous les acteurs du livre. Toutefois il prend place dans la continuité du développement éditorial de la littérature de jeunesse et du développement de la littérature pour adolescents depuis les années 1980. Dès lors, les phénomènes Harry Potter ou Twilight apparaissent comme des symptômes d’un nouveau rapport à la lecture des adolescents. En effet, Cécile Charonnat pointe le fait que les romans pour adolescents ont une double ampleur : une ampleur sociologique il s’agit d’un nouveau phénomène touchant la lecture des adolescents, mais aussi une ampleur éditoriale et commerciale attestée par les chiffres de production et de ventes. L’émergence de romans spécifiquement adressés aux adolescents est un phénomène qui affecte tous les acteurs culturels du livre. Les éditeurs créent des collections pour cette tranche d’âge ; les auteurs écrivent en direction de ce public particulier, lui proposent des romans qui sont censés

2

Proust, Marcel. Sur la lecture, éd. J'ai lu, 2007, p. 7. Coll « Librio ».

3 Charbonnat, Cécile. « Jeunes adultes : une génération convoitée », Livres Hebdo, vendredi 26 novembre 2010,

n° 843.

(12)

11

combler leurs besoins et leurs préoccupations ; les libraires créent des rayons dédiés aux adolescents et enfin les bibliothécaires prennent en compte ce lectorat si spécifique dans leurs acquisitions et leur offre culturelle.

Ce phénomène littéraire et culturel engendre de ce fait de nombreux questionnements de niveaux différents. Tout d’abord, dans une perspective pédagogique et culturelle, comment s’insère la lecture dans les pratiques culturelles des adolescents ? Dans une perspective littéraire et éditoriale, depuis quand publie-t-on des livres en direction des adolescents ? Pourquoi les distingue-t-on au sein du lectorat jeunesse ? Comment ces collections s’adressent-elles aux adolescents ? Qu’est-ce qui permet de distinguer ces collections dans l’offre de littérature jeunesse ?

Face à ces questionnements, cette première partie vise à établir un état des lieux de ce phénomène éditorial et commercial qui touche tous les maillons de la chaîne du livre et qui cherche à cibler un lectorat souvent qualifié de non-complaisant. On se positionnera dans un premier temps du côté des lecteurs pour se demander quels sont les rapports des adolescents avec la lecture au sein de leurs pratiques culturelles spécifiques. Il faudra ensuite se questionner sur les collections pour adolescents elles-mêmes, leur histoire et leur façon de s’adresser aux adolescents. Proposent-elles une réponse aux problématiques de lecture pointées chez les adolescents ? Enfin, on pourra constater combien l’offre de romans pour adolescents est multiple et en pleine expansion au sein de la littérature pour la jeunesse.

(13)

12

I.

L

ES ADO L ES CE NT S ET LA L EC TU RE

:

UN P RO B LEM E SP E CIF IQ UE

A propos des pratiques de lecture des adolescents, les discours alarmistes sont assez nombreux et on entend beaucoup parler de crise de la lecture chez les jeunes. On déplore de fait le recul de l’activité de lecture par rapport à d’autres activités et la prépondérance d’autres médias que le livre tels que la télévision, Internet ou les jeux vidéo dans la vie des adolescents.

Toutefois, les études réalisées sur les pratiques culturelles des Français négligent souvent cette catégorie de la population. Pour preuve, la dernière enquête du DEPS datée de 2008 et réalisée par Olivier Donnat, Les pratiques culturelles des Français à l’ère numérique5, étudie un échantillon représentatif de la population française de quinze ans et plus résidant en France. De même, l’étude menée par la Jeunesse Ouvrière Chrétienne sur Les pratiques culturelles et les loisirs des jeunes6 cerne les comportements des quinze à vingt et un an. Enfin, les études portant sur les enfants se consacrent plus particulièrement aux enfants et jeunes adolescents de six à quatorze ans7. Jusque là, la plupart des grandes enquêtes sur les pratiques culturelles se sont majoritairement attachées aux pratiques des adultes comme si les enfants et les adolescents étaient, implicitement, seulement considérés comme des héritiers, des reproducteurs des comportements parentaux, ou comme si, au contraire, leurs loisirs, de l’enfance à la grande adolescence, n’étaient régis que par une soumission aux médias et à la publicité. Les approches ont ainsi longtemps balancé entre vision d’une enfance reproductrice ou protection d’une enfance en danger, et le débat se polarise encore souvent entre visions enchantées et paniques morales.

On peut imputer ce décalage des catégories statistiques par rapport à la situation réelle de la jeunesse aux frontières floues de la notion d’adolescence. Il semble que l’époque actuelle est celle d’un allongement de la période de l’adolescence, jusqu’à parfois quarante ans selon les chercheurs8, très probablement lié à l’allongement de la durée moyenne des études.

Il faut cependant noter l’étude longitudinale récente menée par le DEPS parue en 2010, intitulée L’enfance des loisirs. Trajectoires communes et parcours individuels de la fin de l’enfance à la grande l’adolescence, qui a suivi les mêmes enfants de 11 à 17 ans. On peut également souligner les nombreuses études sociologiques portant sur la jeunesse et les jeunes qui analysent les adolescents. Elles s’orientent principalement vers deux thématiques : la sociabilité des adolescents comme celle de Dominique Pasquier, Cultures lycéennes : la

5 Donnat, Olivier. Les pratiques culturelles des Français à l’heure numérique, La Découverte/ Ministère de la

Culture et la Communication, 2008.

6

http://www.joc.asso.fr/stockage/presse/Resultats%20complets-%20enquete%20culture%20loisirs.pdf

7 Comme l’étude menée par Marianne Quioc dans le cadre d’un rapport de recherche bibliographique à

l’ENSSIB en mars 2002 en ligne http://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/document-934

8 Pour une bonne synthèse de la question de la jeunesse, on se reportera à Gérard Mauger, Les jeunes en France,

(14)

13

tyrannie de la majorité9, ou bien les rapports des adolescents avec les nouveaux médias et leur consommation médiatique comme Le pouce et la souris : enquête sur la culture numérique des ados10 de Pascal Lardellier.

Pour autant, pour cerner l’offre de lecture et comprendre les effets des collections pour adolescents sur le public visé, il convient de faire porter notre réflexion sur la place de la lecture au sein de la culture adolescente et sur la signification de l’acte de lire. En effet, comment aborde-t-on aujourd’hui la question des pratiques culturelles des adolescents ? Peut-on identifier une culture propre aux adolescents et de nouvelles dPeut-onnes dans cet univers, à travers, notamment, le développement du numérique ? Comment dès lors les professionnels de l’édition, chargés de proposer aux adolescents des outils de culture et de connaissance, peuvent-ils se positionner par rapport aux usages que les adolescents font de leur environnement et de leurs ?

A. L’A D O L E S C E N C E, U N E P E R I O D E D I F F I C I L E A C E R N E R

Avant de se poser la question de ce qu’est la littérature pour adolescent aujourd’hui, il faut s’attarder sur ce que signifie véritablement le terme d’adolescent et ce que recouvre la période de l’adolescence dans la vie d’une personne. En effet, s’il existe une littérature spécifique adressée aux adolescents, ces derniers devraient donc former une catégorie homogène, facilement repérable et identifiable. Les adolescents détiendraient les mêmes habitudes de lecture, les mêmes comportements face au livre et les mêmes pratiques culturelles. Toutefois, lorsque l’on parcourt les différentes définitions de l’adolescence, force est de constater qu’il ne s’agit pas d’une notion simple et univoque.

Le terme d’adolescent vient du latin « adolescere » qui signifie l'être qui grandit ou qui est en train de grandir, alors que « adultus » désigne celui qui a achevé sa croissance. Le terme était déjà utilisé chez les Romains, pour lesquels il signifiait « jeune homme » et caractérisait la période entre 17 et 30 ans environ. L'adolescence, souvent perçue comme un passage, constitue une importante période de transition dans le cours du développement humain. Elle est considérée comme une période centrale dans la vie de l'individu et se caractérise par de nombreuses et importantes transformations qui touchent la physiologie et le mental.

La notion d’adolescence se révèle d’un usage aussi indispensable que problématique. En effet, elle sert à qualifier une période de la vie que tout le monde traverse, un laps de temps entre l’enfance et l’âge adulte, mais elle recouvre également des limites floues et des divergences de définition. Autrement dit, il est très difficile de trouver une définition nette du concept

9 Pasquier, Dominique. Cultures lycéennes : la tyrannie de la majorité, Paris : Autrement, 2005. 10

Lardellier, Pascal. Le pouce et la souris : enquête sur la culture numérique des ados, Paris : Fayard, 2006. 1. L’adol es cen ce quell e tranch e d ’â ge ?

(15)

14

d'adolescence. Les définitions varient selon que l'on se situe dans une perspective psychologique, sociologique ou biologique.

Tout d’abord les définitions avancées par les dictionnaires soulignent qu’en matière de limites temporelles, c’est le flou qui prédomine. L’Encyclopaedia Universalis propose cette définition : « Enfance et adolescence peuvent être définies comme étant cette période de l’existence dans laquelle l’individu croît et se développe jusqu’au moment où il atteint l’âge de la maturité ». Les limites d’âge de commencement et de fin de cette période apparaissent floues et changeantes selon les individus. Le Robert quant à lui décrit l’adolescence comme suit : « âge qui succède à l’enfance immédiatement après la crise de la puberté ». Le début de cette période se trouve précisé et l’adolescence est reliée à une approche physiologique, aux transformations naturelles du corps.

Assez récemment, les notions de « pré-adolescence » et de « post-adolescence » sont apparues, complexifiant encore la façon d’appréhender le phénomène de l’adolescence. Josée Lartet-Geffard souligne qu’un lieu d’accueil et d’écoute pour les préadolescents existe depuis quelques années dans le XVIIIe arrondissement de Paris et certains éditeurs ont même adopté ce type de segmentation pour leur catalogue11. C’est le cas par exemple, de la collection « Lampe de poche » aux éditions Grasset Jeunesse. Enfin, un condensé entre l’adolescence et l’âge adulte a donné lieu à la création du néologisme « adulescence ».

Toutefois, rien ne permet de limiter l’adolescence à une tranche d’âge précise, à une période déterminée. L’adolescence est, selon Françoise Dolto, « la période de passage qui sépare l’enfance de l’âge adulte, elle a pour centre la puberté. À vrai dire, ses limites sont floues. »12 Daniel Delbrassine affirme que « comme toute valeur mathématique, l’adolescence varierait, donc, entre le néant et l’infini… »13 puisque des chercheurs affirment que l’adolescence n’existe pas et n’est qu’une conception sociétale, notamment Patrice Huerre14, alors que d’autres lui assignent des limites très larges, de douze à trente ans, comme le psychanalyste Tony Anatrella dans son ouvrage Interminables adolescences15.

Par delà la divergence des définitions possibles de l’adolescence, on observe qu’au fil des années la représentation de cet âge de la vie a beaucoup évolué. Longtemps ce passage obligé n’était pas considéré comme un temps de la vie à part entière. C’est à partir de la révolution industrielle que l’adolescence est devenue une préoccupation pour les scientifiques. Hier,

11Lartet-Geffard, Josée. Le roman pour ados une question d’existence, Paris : Editions du Sorbier, 2005, p.31.

Coll. « La littérature jeunesse, pour qui, pour quoi ? ».

12 Dolto, Françoise ; Dolto, Catherine ; Percheminier Colette. Paroles pour adolescents, Paris : Gallimard

Jeunesse, 2007, Coll. « Folio Junior ».

13 Delbrassine, Daniel. Le roman pour adolescents aujourd’hui : écriture, thématiques et réception, Paris : La

Joie par les livres/Scérén CRDP Créteil, 2006, p.10.

14 Huerre, Patrice. L’Adolescence n’existe pas : histoire des tribulations d’un artifice, Paris : Odile Jacob, 1997. 15

Anatrella, Tony. Interminables adolescences, CERF / CUJAS ÉTHIQUE & SOCIETE, 1988. 2. Quelqu es ca ra ctéris tiques d e l ’adol es cence

(16)

15

perçue comme une phase de réorganisation de la personnalité, comme un âge de crises accompagnées de transformations physiologiques, l’adolescence est aujourd’hui caractérisée principalement par la forte structuration du temps et de la socialisation par les structures d’éducation, selon les travaux d’Olivier Galland, sociologue et directeur de recherches au CNRS. Cette importance du cadre scolaire permet de permet de fonder une définition de la notion basée non pas sur une tranche d’âge mais sur un état d’esprit et de connaissances d’une jeune personne en mutation. Ainsi, par adolescence, nous pouvons entendre les classes d’âges correspondant à l’enseignement secondaire. Daniel Delbrassine adopte d’ailleurs cette définition et affirme qu’elle s’avère pertinente « puisqu’elle correspond aussi […] à un segment de l’offre éditoriale issue de la littérature pour la jeunesse. Elle annonce par ailleurs très clairement les implications pédagogiques et offre l’avantage de fournir au concept d’adolescence des frontières à peu près identifiables »16.

Ce qui unit toutefois la période de l’adolescence sont les changements physiques et mentaux que les enfants subissent. L'éclosion de la puberté qui inaugure l'adolescence entraîne chez l'individu des changements sur le plan physiologique et morphologique. En effet, cette période est caractérisée par le développement du système de reproduction, l'apparition des caractéristiques sexuelles et des modifications au niveau du squelette. Ces différentes modifications morphologiques vont engendrer chez l’enfant des changements sur le plan personnel et social. Modifications physiques et réactions psychologiques sont alors en profonde et constante interaction. Sur le plan identitaire, l'adolescence représente une période au cours de laquelle l'identité personnelle, c'est-à-dire l'ensemble des croyances, des sentiments et des projets rapportés à soi, subit une évolution importante. L'individu au cours de cette période cherche à se construire en tant qu'individu, à se définir en tant que personne. Cette recherche de nouveaux repères est souvent source d’opposition et de malentendus avec la famille mais également d’un fort attachement à ses pairs.

B. LE S P R A T I Q U E S C U L T U R E L L E S D E S A D O L E S C E N T S

Actuellement, la définition de l'adolescence la plus répandue recoupe grossièrement les 12-18 ans, la période du collège et du lycée. Toutefois l'apport principal de la sociologie a été de montrer comment le plus petit commun dénominateur de cette tranche d'âge est son intégration dans le système scolaire secondaire. L'adolescent est donc moins défini dans le champ scientifique moins comme une tranche d'âge que comme un statut, comme un rapport particulier à la culture, au temps et à l'argent.

Les pratiques culturelles des adolescents semblent particulières puisqu’elles font l’objet d’études sociologiques spécifiques. Ils sont souvent qualifiés d’acteurs non-complaisants du monde culturel. Josée Lartet-Geffard va même jusqu’à dire que « l’adolescent est souvent un

16 Delbrassine, Daniel. Le roman pour adolescents aujourd’hui : écriture, thématiques et réception, Paris : La

(17)

16

conformiste de l’anti-conformisme. »17 Les pratiques culturelles des adolescents sont ainsi souvent perçues comme un reniement des activités culturelles traditionnelles, transmises par les parents ou l’instance scolaire.

D’une certaine manière, dans le cadre même des recherches concernant les pratiques culturelles, sur les relations entre positions sociales et pratiques culturelles, il découle une double incitation à examiner ce qu’il en est précisément chez les adolescents : cette période de la vie apparaît en effet cruciale, pour la construction de l’espace des positions sociales d’une génération, et pour la structuration de ses identités culturelles, entre héritages, appropriations, et innovations. Se questionner sur les activités de ce public spécifique semble dès lors important pour cerner l’impact qu’a sur eux la littérature qui lui est proposée, les thèmes qui l’intéressent et les rapports qu’il entretient avec la lecture et l’objet livre en général.

Un enquête longitudinale menée par Sylvie Octobre, Christine Détrez, Pierre Mercklé et Nathalie Berthomier, publiée dans l’ouvrage L’enfance des loisirs, trajectoires communes et parcours individuels de la fin de l’enfance à la grande adolescence18, a permis d’étudier de façon spécifique les pratiques culturelles de cette classe d’âge, souvent négligée en tant que telle par les enquêtes sociologiques portant sur l’ensemble de la population française. Cette enquête a donc suivi les mêmes enfants depuis l’âge de 11 ans jusqu’à 17 ans en 2008 : 4000 enfants, issus du Panel 1997 de l’Education nationale, donc tous scolarisés en CP en 1997, ont été interrogés tous les deux ans par questionnaire sur leurs loisirs, leurs pratiques culturelles et leurs goûts, et cela quatre fois successivement entre 2002 et 2008, donc à 11, 13, 15 et 17 ans. Elle tente de répondre à la question : comment le goût de la culture vient-il aux enfants et comment celui-ci évolue-t-il au cours de cette période charnière qui le fait passer de l’enfance à la grande adolescence ? Les auteurs décrivent la diversité des pratiques, des usages et des consommations des adolescents. L’enquête permet ainsi de saisir, dans leur complexité et leur variété, les logiques de constitutions et d’évolutions des pratiques et des goûts.

Olivier Donnat considère les adolescents comme porteurs d’un univers culturel cohérent caractérisé de la façon suivante : « L’univers juvénile ou adolescent pour sa part est organisé autour de la musique, d’une forte sociabilité amicale et d’un nombre réduit de sorties (cinéma, discothèque...). Il se distingue aussi par le caractère exclusif des goûts et une certaine réserve à l’égard de la culture consacrée : les activités qui sont associées au cadre scolaire, comme la lecture de livres, s’intègrent difficilement dans celui des loisirs. Cet univers est dominant chez

17 Lartet-Geffard, Josée. Le roman pour ados une question d’existence, Paris : Editions du Sorbier, 2005, p.31.

Coll. « La littérature jeunesse, pour qui, pour quoi ? ».

18 Paris : Ministère de la Culture et de la Communication, La Documentation française, 2010. coll. « Questions

de culture »

(18)

17

la plupart des adolescents et postadolescents, transcendant assez largement les clivages sociaux, et se combine souvent avec d’autres. »19

Toutefois, il ressort de l’étude citée plus haut que le choix des pratiques culturelles évolue beaucoup de 11 ans à 17 ans. En effet, de la petite enfance à la grande adolescence, l’avancée en âge se caractérise par une réorganisation des agendas culturels, qui combine redéfinition des répertoires de loisirs et modification de leurs conditions d’exercice.

L’avancée en âge profite à certaines activités en même temps qu’elle favorise l’abandon de certaines autres. La télévision, la lecture et jeux autres que vidéo font partie des pratiques déclinantes alors que la musique et l’ordinateur apparaissent comme les activités emblématiques du passage à l’adolescence, sans qu’il soit possible, dans le cas de l’ordinateur, de distinguer effet d’âge et effet de génération, ces « digital natives » ayant grandi avec la généralisation des équipements informatiques. De manière générale, toutes les activités sont marquées par un renforcement de l’autonomie des jeunes qui s’éloignent de la socialisation familiale pour s’insérer dans le cercle des amis. Ainsi, une culture de sorties de développe avec l’avancée en âge. À 17 ans, 90 % des grands adolescents sont allés au cinéma depuis le début de l’année scolaire (ce qui en fait leur sortie la plus fréquente) ; et si plus d’un tiers d’entre eux sont allés à un concert, ils se détournent en revanche des musées, des monuments et surtout des bibliothèques, dont la fréquentation était liée à la famille ou à l’école.

TABLEAU 1:CONSOMM ATIONS CULTUR ELLES ET AVANC EE EN AGE

19

(19)

18

Certaines activités sont largement partagées par tous les jeunes : il s’agit en particulier de l’usage de l’ordinateur, qui vient aussi rejoindre la musique, la radio et la télévision au centre de l’espace des comportements culturels des adolescents. Cependant, les pratiques culturelles des adolescents ne se résument pas uniquement aux trois axes que l’on s’imagine : écouter de la musique, lire moins de livres et avoir une forte sociabilité amicale. En effet, la description des intérêts communs ne doit pas occulter la multiplicité des appropriations individuelles, repérables aux nombres de livres, de chanteurs, de jeux, de sites, cités dès que les adolescents sont interrogés sur leurs usages ou leurs préférences. De plus en plus variées avec l’avancée en âge, les ramifications de ces parcours personnels en termes de loisirs témoignent de la conciliation entre appartenance à une groupe et personnalisation des goûts.

En ce qui concerne l’influence du genre et du milieu social sur les pratiques culturelles des adolescents, il semble que si l’enfance et l’adolescence sont des périodes qui peuvent être caractérisées par une certaine plasticité des dispositions, mais également par un desserrement des contraintes parentales, elles ne sont pas pour autant des périodes où les distinctions sociales et sexuées seraient suspendues.

À la transmission entendue de façon mécanique, comme passation d’un héritage des parents aux enfants, peut être substituée une vision tenant compte de la pluralité des instances et des modes de transmission, ainsi que des appropriations qu’en font les enfants. Tout d’abord, l’enquête montre qu’il existe cinq profils adolescents concernant l’univers culturel transmis par les parents et cinq « trajectoires culturelles » principales chez les adolescents de la fin de l’école primaire jusqu’au lycée. Pour autant, les influences des climats familiaux sont loin d’être exclusives : l’école joue un rôle de démocratisation culturelle en matière de fréquentation des musées, des monuments ou des bibliothèques, en particulier auprès des enfants issus de familles peu impliquées dans la culture. L’influence des pairs se fait également de plus en plus pressante, dès le milieu de l’adolescence, concurrençant la filiation à la famille. En effet, Dominique Pasquier considère comme obsolète le constat établi à l'époque par les sociologues de la « reproduction », comme Pierre Bourdieu. Aujourd'hui, la transmission verticale des parents aux enfants est confrontée à une « culture des pairs » qui circule horizontalement et neutralise les anciennes hiérarchies culturelles20. Les influences pesant sur les enfants sont nombreuses : parents, fratrie, école, institutions culturelles, copains etc. Face à elles, les enfants n’héritent pas passivement et mécaniquement de leurs préférences en matière culturelle, ils composent et agissent sur leurs choix en matière de pratiques culturelles. Ainsi les trajectoires ne sont pas rigides et la position d’origine n’interdit pas les variations.

De plus, la polarisation sexuée des activités des adolescents est fortement prégnante. Filles et garçons occupent des espaces culturels distincts et développent des agendas culturels variables. De façon assez caricaturale, les filles penchent plutôt vers le goût de la conversation et les garçons pour le sport et les jeux vidéo. A 11 ans, 35% des garçons y jouent tous les

20

(20)

19

jours contre 8% des filles et, à 17 ans, l’écart s’est creusé puisque 29.5% des garçons sont joueurs quotidiens et seulement 3% des filles.

Ainsi, au-delà des trajectoires communes, chaque parcours individuel reste le fruit d’un processus de construction, fait de découvertes, de choix ainsi que de renoncements. Le plus souvent, genre et origine sociale se conjuguent en des combinaisons variables et on assiste à un jeu croisé des déterminations (poids de la famille, effets de l’école, effets des copains) sur les « trajectoires » individuelles de loisirs des enfants de 11 à 17 ans.

Entre goûts communs et appropriation individuelle, on peut alors se demander s’il existe véritablement une culture adolescente, à savoir des traits culturels spécifiques qui identifient les adolescents comme une catégorie à part entière. En effet, la société et les médias tendent à renvoyer l’image du monde adolescent comme d’une île culturelle au milieu de la société des adultes. En déconnexion avec la culture dite légitime, les adolescents seraient enveloppés dans le désert culturel constitué par leur univers de loisirs (jeux, télévision, réseaux sociaux numériques…), ou bien produiraient un univers culturel spécifique dont les enjeux seraient en lien avec leurs questionnements intimes, de socialisation et d’identité. Pourtant, concernant l’existence à proprement parler d’une culture propre aux adolescents, plusieurs théories sociologiques exposent des points de vue divergents sur la question.

D’une part, on peut présumer, comme le fait Michel Fize, sociologue et chercheur au CNRS, que l’adolescence est « une culture, un monde à part »21. Cette culture adolescente serait composée de plusieurs éléments : l’ensemble des langages écrits et oraux des adolescents, l’ensemble de leurs habitudes de vie et enfin leurs représentations, émotions, et compétences. Chaque adolescent peut s’inscrire dans un courant de pensée particulier, par exemple le gothique, mais au-delà des choix différents il y a quand même une façon d’être, de parler, de regarder les autres qui est commune. Cette homogénéisation très forte n’exclut donc pas des clivages, mais les traits d’union qui unissent les adolescents dominent. D’ailleurs, les enquêtes nationales sur les pratiques culturelles des Français font ressortir l’existence « avant 25 ans (c’est-à-dire l’âge ou presque tous les individus sont sortis du système scolaire) [d’] une homogénéité culturelle entre adolescents de toutes origines. »22 A cette période, les sentiments communautaires, le besoin d’appartenir à un groupe, sont d’une grande importance et peuvent expliquer cette uniformisation culturelle que l’on ne retrouve pas dans les catégories plus âgées.

Toutefois, certains chercheurs soulignent que cette uniformisation des pratiques culturelles n’est pas aussi évidente et ne doit donc pas être exagérée. Pierre Bruno fait d’ailleurs remarquer que « les pratiques culturelles des adolescents n’en restent pas moins aussi

21 Fize, Michel. Les Adolescents, Bruxelles : Le Cavalier bleu,» p. 55-56. Coll. « Idées reçues ».

22 Cogneau, Denis ; Donnat Olivier. Les pratiques culturelles des Français 1973-1989, Paris : La Découverte/La

Documentation française, 1990, p.276.

2. Existe-t-il une cul tu re ado lescen te ?

(21)

20

distinctives que celles de l’ensemble de la population. »23 Il cite notamment Jean Michel Guy qui a montré l’existence de six rapports principaux à la culture dans l’étude Les jeunes et les sorties culturelles : fréquentation et image des lieux de spectacle et de patrimoine dans la population française âgée de 12 à 25 ans24. De la même façon, l’enquête menée par Sylvie Octobre, Christine Détrez, Pierre Mercklé et Nathalie Berthomier, publiée en 2010, dénombre cinq « univers adolescents »25. Dès lors, on ne peut pas parler de culture adolescente unifiée et homogène.

Jean-Philippe Hersent met en valeur trois caractéristiques particulièrement utiles pour comprendre le rapport des jeunes à leurs pratiques culturelles : « s’agissant du rapport à la culture, trois facteurs au moins apparaissent essentiels, liés à l’âge et à l’effet de génération : le recul absolu de la culture consacrée (« légitime », « humaniste » etc.), ainsi qu’une certaine forme d’anti-intellectualisme prononcé chez les adolescents ; la diversité croissante du capital informationnel des jeunes diplômés et la valorisation de l’éclectisme […] ; la montée de l’économie médiatico-publicitaire et les nouvelles voies de la consécration sociale et culturelle. »26 On peut ajouter à cela le fait que la génération actuelle d’adolescents a une vision et des rapports particuliers avec les nouveaux médias. Les jeunes générations vivent désormais dans un contexte où les écrans tiennent une place considérable dans leurs pratiques de loisir, leurs discussions et, de manière générale, dans leur environnement familial, amical ou scolaire. Inévitablement, ce changement affecte leur relation à l'écrit, modifie la manière dont ils structurent leur sociabilité ainsi que leur rapport au temps plus centré sur le présent, l’immédiat.

Dès lors, on peut douter qu'il suffise pour constituer une culture jeune, plus ou moins homogène, de constater l'existence d'un certain nombre de facteurs cumulatifs. Mieux vaut envisager que ces indices traduisent une appropriation par des jeunes en quête de construction identitaire des formes culturelles contemporaines qui s’accompagne de la formation de groupes d’appartenance mais également de parcours culturels individuels.

23 Bruno, Pierre. « Crise de l’imprimé, triomphe du littéraire ». In « Les adolescents, la lecture et le roman,

Journée d’étude du C.L.P.C.F., Namur, 18 octobre 2002 », Cahiers du C.L.P.C.F., 2002, n°7.

24 Guy, Jean-Michel. Les jeunes et les sorties culturelles : fréquentation et image des lieux de spectacle et de

patrimoine dans la population française âgée de 12 à 25 ans, Paris : Ministère de la Culture/Département des

études et de la prospective, 1995.

25

L’enfance des loisirs, trajectoires communes et parcours individuels de la fin de l’enfance à la grande

adolescence, Paris : Ministère de la Culture et de la Communication/La Documentation française, 2010. Coll.

«Questions de culture». Le premier univers culturel (27,4%) : espace populaire et presque exclusivement masculin, dont les loisirs sont structurés autour de la télévision, des jeux vidéo, de l’ordinateur et du sport. Le deuxième univers culturel (30,6%) : également un univers populaire, mais plus mixte que le précédent, puisqu’il accueille 57,7% de filles. Il présente un profil de pratiques culturelles assez semblable au précédent, sauf sur un point, lié justement à la présence des filles : le manque d’intérêt évident pour les jeux vidéo. Le troisième univers culturel (8,7%) : se rapproche le plus de l’univers culturel des adolescents moyen habituellement conçu. Le quatrième univers est composé des enfants de cadre et le cinquième (6,1%) est composé essentiellement de fille. Ces deux univers ont des profils de pratiques qui les distinguent des trois autres : plus forte pratique de l’écoute de musique, les pratiques artistiques, plus de sorties « légitimes » aussi (musée, concert, spectacle), moins de temps passé devant la télévision.

26

(22)

21

C. LA L E C T U R E D E S A D O L E S C E N T S

Pendant longtemps la question de la lecture chez l’adolescent a été un objet de désintérêt et de critiques. Quelques exemples littéraires illustrent combien la lecture à la période de l’adolescence peut être perçue comme un danger voire une activité subversive pour l’esprit des jeunes gens. Dans Madame Bovary de Flaubert, l’héroïne a été punie pour avoir lu en cachette Stendhal décrit comment le livre est considéré par le père de Julien Sorel dans Le Rouge et le noir. Enfin, dans Matilda de Roald Dahl, l’idée qui est véhiculée par le père de l’héroïne est qu’une fille qui lit est perdue.

Par ailleurs, on se figure souvent que durant la période de l’adolescence, la majorité des jeunes se détournent du livre. Il est certain qu’ils rejettent tout ce que ce dernier représente : l’école, l’autorité, le sérieux, la solitude. Durant cette période de recherche de soi et d’affirmation de sa personnalité, les enquêtes sociologiques montrent que la lecture est désacralisée. Les adolescents préfèrent, comme nous l’avons vu, se tourner vers des pratiques plus sociales en lien avec les relations amicales. L’évolution des pratiques lectorales prend alors sens dans le contexte des fluctuations des pratiques culturelles et des pratiques de loisirs des adolescents.

Mais le livre est-il pour autant complètement exclu de la vie des adolescents ? A compter de la fin des années 1980, le discours dominant encore en vogue insiste sur la baisse des pratiques de lecture des français, et en particulier, des jeunes.27 L’ouvrage, Et pourtant ils lisent, écrit par Christian Baudelot, Marie Cartier et Christine Detrez en 1999, est un premier pas fait dans l’analyse de ce soi-disant désintérêt de la lecture chez les jeunes. Il exploite une étude effectuée de 1989 à 1999 auprès de 12 000 élèves âgés de 15 à 18 ans et concernant le nombre et le type d’ouvrages lus par ces élèves, hors ouvrages scolaires.

Il en ressort tout d’abord que les adolescents n’ont plus le même rapport à la lecture que les générations précédentes. Le livre n’apparaît plus comme le premier vecteur culturel, comme cela a pu être le cas dans les années soixante par exemple, et devient un média parmi tant d’autres.

De plus, la place de la lecture parmi les loisirs décroit fortement avec l’avancée en âge tout comme l’intensité de cette pratique. Les jeunes sont de plus en plus nombreux à ne pas lire et ceux qui lisent le font de moins en moins. La première année de l’étude, la lecture se place en sixième position des loisirs des jeunes alors que dans la dernière année elle se trouve en

27

Voir l’enquête sur les pratiques culturelles des français de 1989 notamment.

(23)

22

septième position. Les lectures prescrites par l’école prennent une part de plus en plus importante par rapport aux lectures personnelles, jusqu’à parfois les supplanter. Au lycée surtout, les élèves citent en majorité des œuvres classiques au programme de l’épreuve de français du baccalauréat. Ce qui conduit Oliver Donnat à écrire : « Le fléchissement de la quantité de livres lus traduit un réel recul du livre chez les jeunes générations. La lecture de livres en tant qu’activité librement choisie, c’est-à-dire hors de toute contrainte scolaire ou professionnelle, rencontre des difficultés croissantes à s’inscrire « spontanément » dans le temps et l’espace des loisirs. »28

Une enquête sur la lecture et les loisirs multimédia a été réalisée auprès des collégiens et lycéens venus avec leur classe visiter le Salon du livre de Paris en mars 2007. Près de 4 000 questionnaires ont été retournés29. Selon les résultats de cette enquête, 77% des répondants ont lu un ou deux livres (en dehors des livres demandés par un professeur) au cours des trois derniers mois, près d’un quart en a lu trois ou quatre et un autre quart cinq ou plus. 19% n’ont lu aucun livre pour leur loisir personnel pendant des trois derniers mois précédant l’enquête. Quant à la fréquence de lecture, on peut constater que 25% des répondants n’ont jamais ou presque jamais lu de livres en dehors des livres demandés par un professeur au cours des trois derniers mois précédant l’enquête. En revanche 25% sont des grands lecteurs et lisent tous les jours ou presque, ou bien plusieurs heures par jour.

TABLEAU 2:LA FR EQUENC E DE LEC TUR E DE LIVRES AU COUR S DES TROIS DERNIER S MOIS

28

Donnat, Olivier. Les Français face à la culture : de l’exclusion à l’éclectisme, Paris : La Découverte, 1999. In Bertrand , Anne-Marie. « Les jeunes et la lecture », BBF, 2003, n°3, pp. 22-28.

29

Enquête réalisée par Ithaque pour le Centre national du livre et pour la Direction du livre et de la lecture. 3 888 questionnaires ont été retournés. Les répondants à l’enquête se répartissent comme suit :

- 57% des répondants sont des filles, 43% des garçons ; - 72% sont des collégiens, 28% des lycéens ;

- 50% des répondants habitent hors de l’Ile-de-France, 43% sont des franciliens (hors Paris) et 7% sont parisiens. La répartition des répondants par classe est fonction des scolaires qui se sont rendus au salon avec leurs enseignants. Les 6e et les 2nde sont surreprésentées par rapport aux premières et aux terminales. Parmi les lycéens, on note une forte proportion d’élèves issus de l’enseignement technique ou professionnel (60% contre 40% pour l’enseignement général). Ces principales caractéristiques de la population enquêtée ont servi de critères de tri pour l’ensemble des réponses à l’enquête. A celles-ci est venue s’ajouter la profession du père et de la mère permettant ainsi de recueillir des informations sur l’impact de la transmission culturelle en matière de lecture. Une synthèse de cette enquête est disponible sur le site du CNL : www.centrenationaldulivre.fr

(24)

23

Source : Enquête « Centre national du livre / Direction du livre et de la lecture » réalisée par Ithaque, juin 2007.

Dans un article paru dans Lecture jeune, Nicole Robine enquête sur les réseaux de lecture des adolescents et affirme que « la constitution des réseaux individuels de lecture résulte d’une lente maturation. L’adolescent lecteur ou très faible lecteur hérite de son passé scolaire et familial. En fréquentant le collège, le lycée ou les centres d’apprentissage, il est inscrit dans des processus de lecture encadrée. En même temps, il construit d’autres chemins de lecture que nous qualifierons de lecture débridée. »30 La lecture des adolescents se trouve partagée entre les lectures prescrites par l’école et des lectures plaisir, relevant du goût personnel. À la lecture savante imposée, les jeunes opposent une autre lecture effectuée à titre personnel. La répartition n’est pas toujours aussi tranchée puisque des œuvres ou des auteurs conseillés par les enseignants peuvent participer aux «lectures pour soi». Il y a donc un perpétuel va et vient entre les activités scolaires et de loisir, et les deux réseaux de lecture.

Les lectures littéraires, scolaires, prescrites proviennent de médiateurs institutionnels. Il s’agit des professeurs, des parents ou encore des professeurs documentalistes et des bibliothécaires. Ces lectures sont composées de classiques de la littérature et de la littérature de jeunesse. En dehors des œuvres étudiées en classe, les enseignants conseillent de nombreux titres d’ouvrages, souvent lus quelques années plus tard par les élèves. L’enquête menée par C. Baudelot, M. Cartier et C. Detrez, montre que les lycéens considèrent la lecture scolaire comme un passage obligé pour obtenir le baccalauréat. Ils ont compris que le but est de savoir élaborer un discours scolaire pour le présenter le jour de l’examen. De façon générale, les livres issus du réseau institutionnel ont une connotation scolaire et sont souvent des lectures d’effort même s’ils constituent un bagage important de références culturelles.

Les lectures plus personnelles proviennent de multiples sources. Elles sont portées par les sociabilités et partagées avec le groupe des pairs et correspondent aux motivations intimes des adolescents. Elles répondent aux interrogations qui présentent le plus d’acuité à cette période de l’existence. Il s’agit le plus souvent de lectures dont la motivation est éthique et pratique comme s’informer sur les problèmes de la vie. Mais ils aiment également rêver et s’évader, se prendre au jeu de l’histoire et se divertir.

30

(25)

24

L’étude menée dans Et pourtant ils lisent… distingue quatre groupes de lecteurs. Même si cette étude date de quelques années, elle reste pertinente pour identifier les caractéristiques des lecteurs adolescents.

Aux extrémités on trouve le groupe des non ou faibles lecteurs (22%) et le groupe des forts lecteurs (23%). Les forts lecteurs lisent beaucoup et régulièrement. Le livre représente pour eux un objet d’échanges et de sociabilité. Ils se rendent dans les bibliothèques et les CDI et lisent au lit. Leurs lectures sont très éclectiques. Les non ou faibles lecteurs quant à eux ne se déplacent pas dans les lieux de lecture et le livre ne tient pas une grande place dans leur vie. Entre ces deux extrêmes se trouvent deux autres groupes, que les auteurs qualifient d’ « intermittents de la lecture ». Tout d’abord, un groupe de lecteurs instables (37%). Leurs lectures sont diversifiées même si la lecture n’est pas une passion pour eux. Ils lisent principalement pour compléter leur culture et font preuve d’une « bonne volonté culturelle ». Enfin, un groupe de lecteurs qui lisent mais dont la pratique est faible et instable (18%). La lecture est une activité très fluctuante dans le temps. Ils lisent également des magasines et des journaux. Ce groupe est marqué par une assiduité à la télévision : leur consommation est supérieure à celle des autres groupes, y compris celui des faibles lecteurs.

Les adolescents ont le choix en matière de lecture. Presque toutes les maisons d’éditions ont un département jeunesse, mais il est évident que les jeunes ne se contentent par de ce corpus et qu’ils s’approprient d’autres œuvres, aussi bien dans la littérature générale que dans des ouvrages adressés aux plus jeunes.

Des études montrent que les pratiques de lecture sont extrêmement variables, et qu’il existe un grand éclectisme concernant la lecture tout comme leurs pratiques culturelles en général. Il n’y a pas de façon marquée de hiérarchie des lectures et des auteurs et leurs préférences se tournent aussi bien vers les classiques que les best-sellers. Par ailleurs, Christian Baudelot parle de « pratique sans croyance »31 pour qualifier la lecture des adolescents qui lient cette activité à leur réussite scolaire et à une valeur pratique et utilitaire.

De plus, si les adolescents lisent, ils ne lisent pas forcément des livres. Le magazine fait concurrence au livre, et contrairement à la lecture de livres qui a tendance à baisser avec l’âge, la lecture de magazines ne décroît pas car elle est à l’abri des contraintes scolaires. L’enquête menée par le CNL en 2007 montre que le choix des adolescents se porte en priorité vers les livres (35%) et les journaux (35%) puis viennent les BD (30%). Les préférences de

31

Poissenot, Claude. Les adolescents et la bibliothèque. Paris : Bibliothèque publique d’information, 1997. 2. Profil s d e l ecteu rs

(26)

25

lecture varient selon l’avancée dans la scolarisation : les élèves de sixième et de cinquième préfèrent lire des BD (41 %), puis des livres (33 %) et ensuite des journaux (26 %) ; ceux de quatrième et troisième préfèrent lire des journaux (39 %), puis des livres (34 %) et enfin des BD (27 %) ; les lycéens préfèrent lire des journaux (43 %) et des livres (41 %) puis des BD (16 %).

Au sein même de la catégorie « livres », les genres littéraires préférés par les adolescents sont les suivants :

TABLEAU 3 LES GENR ES LITTERAIR ES PR EFER ES

Source : Enquête « Centre national du livre / Direction du livre et de la lecture » réalisée par Ithaque, juin 2007.

On constate ainsi que les genres littéraires que les adolescents sont les plus nombreux à aimer sont les séries, les romans de science-fiction ou fantastiques et les romans d’aventure. A l’inverse, les genres littéraires qu’ils apprécient le moins sont la poésie, les ouvrages scientifiques, les livres de philosophie, histoire, actualité, les récits de voyage, les romans classiques.

Christine Detrez souligne ainsi que « les lectures des jeunes sont extrêmement éclatées. Quantité de titres ne reviennent qu’un ou deux fois dans les enquêtes. » Cette multiplicité des goûts et des lectures des adolescents s’explique également par la multiplicité des titres proposés aux jeunes par les éditeurs : un titre n’est généralement cité qu’une seule fois dans l’enquête et perd ainsi sa visibilité d’un point de vue statistique. De plus, Pierre Mercklé fait remarquer que les goûts des adolescents oscillent entre éclectisme et indifférence ce qui explique qu’à la fin de l’adolescence la moitié des adolescents ne citent aucun genre de livres

(27)

26

aimés : « en matière musicale et littéraire, ce n’est donc en tout cas pas « l’exclusivité des goûts » qui caractérise l’adolescence, mais plutôt soit l’éclectisme, soit l’indifférence. »32

Par ailleurs, de nombreuses études ont montré que, de même qu’à l’âge adulte, la lecture à l’adolescence est une activité sexuée. L’étude menée par le CNL montre que les réponses des adolescents interrogés varient selon leur classe mais plus encore selon le sexe des répondants. Ainsi, 32% des garçons ne lisent jamais ou presque jamais, contre 20% des filles ; 20% des filles lisent tous les jours ou presque contre 13% des garçons.

En ce qui concerne les goûts de lecture, l’étude menée dans Et pourtant ils lisent… révèle que les garçons lisent plus de bandes dessinées, de livres scientifiques, de livres pratiques et de littérature d’aventure et fantastique que les filles, même si le phénomène « Harry Potter » remet un peu en cause cette dernière constatation. Les filles se tournent quant à elle vers les romans sentimentaux, d’analyse psychologique ou encore les contes et les récits de voyage. Les différences entre les sexes se ressentent également dans l’appétence pour la littérature au sens traditionnel du terme : les filles montrent un goût plus vaste en matière de genre et s’ouvrent aux littératures étrangères alors que les garçons préfèrent les lectures autres que celles des livres.

TABLEAU 4 PREFER ENCES DE LECTUR E SELON LE SEXE

Source : Enquête « Centre national du livre / Direction du livre et de la lecture » réalisée par Ithaque, juin 2007.

La lecture occupe aujourd’hui une place modeste dans l’univers culturel des jeunes. Non seulement elle est en décalage avec leurs valeurs, mais elle est aussi encouragée par l’école et par les parents. Anne-Marie Bertrand souligne le déficit de l’image de la lecture à

32 Mercklé, Pierre. L’adolescence, combien de cultures ? Premiers résultats de l’enquête longitudinale sur les

pratiques culturelles des enfants et des adolescents. In Colloque international « Enfance et culture », Paris, 14-16

décembre 2010 [en ligne]. 2010. Disponible sur:

http://socio.ens-lyon.fr/merckle/merckle_communications_2010_enfance_et_culture.pdf

(28)

27

l’adolescence : « Trois défauts majeurs marquent l’image de la lecture auprès des jeunes : c’est une activité de filles, une activité de bons élèves et une activité démodée. »33

Pourtant les études montrent que la lecture n’a pas totalement disparu de la liste des activités des adolescents. De plus, de nombreux professionnels font remarquer la vitalité du secteur de l’édition jeunesse. Daniel Delbrassine souligne d’ailleurs que « le marché du roman pour la jeunesse a connu ces dernières années des bouleversements sans précédent, à tel point que même les professionnels ont du mal à en suivre l’actualité. »34 De même, Joelle Turin affirme que « les adolescents ont de quoi lire, ils ont même souvent l’embarras du choix si l’on en croit les rayons des librairies et des bibliothèques où on les invite à se servir. Si toutes, ou presque toutes, les maisons d’édition, grandes et petites, anciennes et nouvelles, ont aujourd’hui un « département » jeunesse, il semble qu’une tendance s’y fait jour, à savoir la part du lion qu’elles réservent aux collections dites pour adolescents et les stratégies qu’elles déploient pour fidéliser ce public qui paraît aussi instable qu’insaisissable. »35

Les succès littéraires récents tels que Harry Potter, Twilight ou encore Le clan des Otori, plébiscités par les adolescents eux-mêmes, tendent à faire penser que ces livres destinés aux adolescents ont entrainé un regain de la lecture chez ce public. Dans un article consacré aux adolescents et à la lecture, Nathalie Riché rapporte le témoignage de Claire Jabœuf, professeur de français au collège Victor-Segalen, à Châteaugiron (Ille-et-Vilaine): «Grâce à Harry Potter, beaucoup de non-lecteurs se sont découvert une passion pour la fantasy, notamment pour de gros livres, ce qui était inimaginable avant. Bien sûr, il y aura toujours des rétifs à la lecture, mais pour chaque classe j'ai au moins un tiers de bons lecteurs et deux, trois élèves qui lisent presque un livre par jour!»36

Peut-on, à partir de ce constat, avancer l’idée que l’offre éditoriale en destination des adolescents a contribué à maintenir voire à stimuler la lecture au sein des pratiques culturelles des adolescents ?

33

Bertrand, Anne-Marie. « « Émile Zola, il écrit trop » », BBF, 2003, n° 3, pp. 22-28.

34 Delbrassine, Daniel, « Evolutions récentes du marché du roman pour la jeunesse ». In « Les adolescents, la

lecture et le roman, Journée d’étude du C.L.P.C.F., Namur, 18 octobre 2002 », Cahiers du C.L.P.C.F., 2002, n°7.

35 Turin, Joëlle. « La littérature de jeunesse et les adolescents », BBF, 2003, n° 3, pp. 43-50. 36

(29)

28

II.

L

ES CO LL EC TIO NS P O UR A DO LE SC EN TS

:

L ES EVO L UTI O NS D

U N P H ENO MENE EDI T O RIAL

Au regard des constatations sur les pratiques culturelles et plus particulièrement de lecture des adolescents, il importe de se demander comment l’offre éditoriale se positionne par rapport à ce public. Comment rendre la lecture attractive pour les jeunes ? Comment l’offre de littérature de jeunesse extrêmement riche et diversifiée peut-elle susciter cette appétence alors que les adolescents forment un public mouvant aux attentes difficiles à cerner ?

Tout d’abord, la question du destinataire semble importante à soulever puisque ces romans ont comme point commun un public particulier. En effet, l’usage de l’expression « pour » adolescents, dans la désignation même de cette littérature, implique que les romans qui la composent ont été pensés sur mesure et adressés à un lectorat. Adresser de la sorte une œuvre à un public précis peut être perçu comme un asservissement des ambitions littéraires d’un texte à ses possibilités commerciales et à la demande du public. Cependant, toute situation de communication suppose un destinataire et il est possible de se positionner du côté de ceux qui considèrent que toute littérature est adressée à un lecteur. C’est par exemple le cas de Jean-Paul Sartre pour qui « il n’y a d’art que pour et par autrui »37 et « tous les ouvrages de l’esprit contiennent en eux-mêmes l’image du lecteur auquel ils sont destinés ». De même, pour Vincent Jouve, il existe aussi un lecteur et une personne construite à qui on destine le récit, c’est-à-dire le destinataire : « le texte, objet de communication, ne se conçoit pas sans destinataire implicite. »38

Dans le cas de la littérature pour adolescents, le critère d’âge du destinataire entre en compte, principalement pour des raisons de compétences et de maturité du lecteur. Le chercheur Marc Soriano définit d’ailleurs la littérature de jeunesse non par son contenu mais par son destinataire : « Pour étudier correctement ce domaine, et peut-être pour le distinguer dans toute son ampleur, il faut renoncer à la notion purement littéraire de « genre », et s’accrocher à un autre type de réalité : celle des publics concernés par cette littérature et de la fonction qui, d’une époque à l’autre, lui est assignée. »39 Deborah Danblon, dans son ouvrage Lisez Jeunesse, affirme quant à elle que « la littérature pour adolescents et pour jeunes adultes est la seule à être définie par son public plutôt que par son genre. »40 La prise en compte des adolescents par le monde de l’édition va de pair avec un bouleversement culturel et social important en France mais également à l’étranger depuis quelques années déjà.

37 Sartre, Jean-Paul. « Qu’est-ce que la littérature ? ». In SITUATIONS II, Paris : Gallimard, 1948, p. 92. 38

Jouve, Vincent. L’Effet-personnage dans le roman, Paris : PUF, 1992, p. 18. Coll. « Écriture ».

39 Soriano, Marc. Guide de la littérature pour la jeunesse, Paris : Flammarion, 1975.

40 Danblon, Deborah. Lisez Jeunesse. La littérature pour adolescents et jeunes adultes. Bruxelles : Luc Pire,

Références

Documents relatifs

[r]

[r]

recherche tandis que le portail DiVA 12 donne accès aux travaux des chercheurs et étudiants de 27 universités suédoises et norvégiennes dont près de la moitié des 300 000

pour connaître la position d’un élément dans une liste, on peut utiliser deux méthodes. pour avoir la première occurrence, il faut utiliser int

à la fin d'un ArrayList avec la méthode boolean add(Object newElement) à une position donnée. void add(int index, Object newElement)

Les collections de spécimens à sec, ou montés entre lames et lamelles, sont associées à des collections d’ADN, de séquences nucléotidiques, indispensables pour le typage ou

- Cela existe également pour d’autres collections qui emploient la méthode remove qui supprime un objet d’une valeur donnée..  cette valeur nécessite d’être testée

Le contenu de cet ouvrage est susceptible de choquer la sensibilité des mineurs; tout possesseur de cet ouvrage s’engage à ne pas le laisser à leur disposition.. Der Inhalt