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Proximité spatiale et proximité organisée

1 Des théories de l’innovation aux enjeux géogra- géogra-phiques

1.4 Les théories de la proximité

1.4.1 Proximité spatiale et proximité organisée

Si les débats ont principalement porté sur la proximité organisée, la définition de la proximité physique pose elle aussi question, comme le suggère l’hésitation entre les termes de proximité physique, de proximité spatiale ou de proximité géographique. Elle ne se réduit en effet pas simplement à une évaluation de la distance physique mais in-tègre également les temps de déplacement et leurs coûts économiques, les infrastructures et outils disponibles (TIC, transports) et enfin une dimension subjective qui procède du jugement des individus sur la distance (Bouba-Olga,CarrincazeauxetCoris2008).

La notion a été enrichie par de nombreux travaux qui en ont montré toute la complexité, élargissant les questionnements à la proximité entre individus et objets (économie de l’en-vironnement) ou encore aux stratégies des acteurs qui peuvent conduire à rechercher, à subir ou à se disputer la proximité physique dans des contextes variés (valorisation immo-bilière, conflits d’usage. . .) (Torre 2009). Les progrès des infrastructures de transport et de télécommunication conduisent de même à interroger la proximité géographique au regard des mobilités et de l’ubiquité qu’ils peuvent ou semblent pouvoir autoriser (ibid.).

La proximité organisée rend quant à elle compte du fait que, « en soi, les dispositifs

de coordination ne peuvent relever de la seule dimension géographique de la proximité mais de sa conjonction avec les autres formes non essentiellement spatiales » (Pecqueur et Zimmermann 2004, p.36). A. Rallet confirme cette idée, estimant que « l’inscrip-tion des agents dans l’espace ne peut se réduire au choix d’une ou plusieurs localisal’inscrip-tions car la sphère des agents excède leur sphère de localisation : un agent économique doit tout à la fois être quelque part pour produire et consommer mais en même temps être

“ailleurs” pour se coordonner avec d’autres agents, solliciter des ressources, trouver des informations » (cité in Bouba-Olga, Carrincazeaux et Coris 2008, p.282). On re-trouve dans ces différentes citations l’idée que la proximité organisée ne relève pas de l’espace (ou pas « essentiellement »), au point d’être parfois qualifiée de « proximité non géographique » (ibid., p.283).

Ces formules sont à l’origine de la distance prise avec les théories de la proximité par les géographes qui considèrent que l’inscription des acteurs dans des réseaux de relations est ancrée dans l’espace, là où l’Ecole de la Proximité tend parfois à cantonner les questions spatiales au local et à recourir à la notion de coordination à petite échelle. Il nous semble pourtant que ces désaccords peuvent être reformulés et tiennent à la façon dont l’Ecole de la Proximité traite les jeux d’échelles. L’idée que la proximité organisée recouvre des phénomènes non spatiaux n’est pas en soi une négation de leur inscription spatiale. On peut notamment évoquer,mutatis mutandis, la définition de l’espace donnée par J.Lévy et M.Lussault: « un espace se caractérise au minimum par trois attributs : la métrique, l’échelle, la substance » (Lévy et Lussault 2006, p.326). La « substance » est définie comme « la composante non spatiale d’une configuration spatiale » et fait référence à un

« découpage de l’objet d’étude qui ignore ceux effectués par les sciences de l’espace mais prend en considération les manières de délimiter et de classer d’autres disciplines : écono-mie, sociologie, science politique, etc » (Lévy 2006d, p.880). Comme le précise J. Lévy,

« on ne peut définir un espace, aussi simple soit-il, sans qu’il soit l’espace de “quelque chose”, sans qu’il soit en même temps spatialité et spatialisation », ce qui implique qu’« il ne peut exister de “loi” de l’espace qui ne soit aussi “loi” pour le monde social » (ibid., p.

880 et 881).

La rupture ne tient donc pas dans l’affirmation de l’existence de formes relation-nelles « non essentiellement spatiales » mais bien plutôt dans la mise entre parenthèse des questions d’échelles et de métriques lorsqu’il s’agit de proximité organisée. Alors que ces auteurs affirment avec force que la proximité organisée joue un rôle y compris à l’échelle locale, la proposition inverse, soit l’idée que les relations à petite échelle seraient aussi inscrites dans l’espace, constitue une spécificité des géographes. On peut, parmi de nombreuses autres, citer l’hypothèse de départ d’une étude récente sur les réseaux d’inno-vation des PCRD européens : « les connaissances sont échangées et diffusées soit selon un

modèle de diffusion fondé sur la contiguïté soit par des relations intentionnelles fondées sur des réseaux a-spatiaux [“a-spatial networks”]* » (Maggioni, Nosvelli et Uberti 2007, p.472). Le terme même de proximité est sans doute en partie à l’origine de ce para-doxe puisque lui accoler l’adjectif géographique conduit à détourner l’attention des petites échelles (au contraire de ce que suggérerait par exemple l’emploi du terme de distance) dans une tension entre local et non local, comme le suggère cette autre formule : « les agents confrontés à des problèmes de coordination sont conduits à développer pour les résoudre des dispositifs organisationnels ou institutionnels qui vont générer un ensemble d’externalités locales ou non locales » (Bouba-Olga, Carrincazeaux etCoris 2008, p.280). O. Bouba-Olga et J.B. Zimmermann suggèrent par exemple de réserver « le terme d’espace pour une proximité physique, de réseau pour une proximité organisée et de territoire pour la conjonction des deux » (Bouba-OlgaetZimmermann2004, p.34).

On retrouve là, mais pensées séparément, les trois composantes de la définition de l’espace donnée par J.Lévy et M. Lussaultque sont l’échelle, la métrique et la substance.

Au-delà de ces questions d’échelles, l’articulation entre proximité géographique et proximité organisée est au cœur des travaux de l’école de la proximité et a permis de dépasser le schéma d’une stricte opposition. Les caractères de la coordination pèsent en effet sur l’organisation spatiale des activités de la même manière que les relations lo-cales s’expliquent en partie par leur encastrement dans des réseaux sociaux ou individuels (Bouba-Olga,Carrincazeaux etCoris 2008). L’accent mis sur la coordination plu-tôt que sur la proximité spatiale tient encore une fois plus à la volonté théorique de ne pas postuler le local dans le raisonnement plus qu’à une négation des logiques spatiales. Le malentendu lié à l’affirmation que « la proximité géographique est donc subordonnée à la proximité organisée » (PecqueuretZimmermann2004, p.32) procède en grande partie de cette posture. La tension s’établit plus entre coordination et colocalisation qu’entre coordination et spatial. C’est en partie ce que souligne A. Torre en invitant à reposer la question du lien à l’espace et à « apporter des réponses en termes de proximité à la question de la multiplicité des échelles spatiales », là où « l’on a toujours refusé de consi-dérer l’espace comme premier à tous les phénomènes, si bien que beaucoup de travaux ne lui accordent qu’une place subalterne, trop occupés par la définition et l’analyse de rela-tions et de régularela-tions humaines alternatives à celles décrites par la théorie économique standard » (Torre 2009, p.64). La richesse des relations entre proximité géographique et proximité organisée impose donc au préalable de mieux définir et décomposer cette dernière.

Figure 1.2 – Le triptyque proximité – interaction – coordination (Zimmermann 2008, p.113)

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