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La gouvernance : approches théoriques et empiriques

4 Les apports de la littérature au débat sur le fonc- fonc-tionnement des pôles

4.1 La construction des pôles au prisme de la gouvernance

4.1.2 La gouvernance : approches théoriques et empiriques

La gouvernance est certainement le thème qui a suscité et suscite le plus grand nombre d’études de pôles de compétitivité à échelle fine, et c’est notamment le cas pour les thèses comme le montrera la section suivante. Il ne s’agit donc pas ici de rendre compte de l’ensemble de ces travaux, ni sur le plan théorique, ni sous l’angle des monographies proposées. L’objectif est plutôt de pointer quelques résultats et études de cas qui éclairent notre analyse de la politique nationale.

Une grande partie des travaux sur la gouvernance des pôles de compétitivité naît soit du constat de l’originalité des processus qu’elle abrite et de l’idée que « les pôles sont une nouvelle forme organisationnelle » (Verlaque 2008, p.1), soit de celui des limites des théories et concepts traditionnels de ce champ disciplinaire (Assens2003 ;Carluer 2006 ;Gomez2009). On peut notamment citer l’incertitude sur les formes de gouvernance qu’a fait naitre la labellisation de 71 pôles très divers ou les relations entre les pôles et leurs membres. L’enjeu pour la gouvernance des pôles est en effet de faire émerger et de mener

à bien un projet collectif, et de susciter et pérenniser l’adhésion d’acteurs industriels et scientifiques. Si ces derniers sont impliqués dans la gouvernance, ils en sont également les interlocuteurs et conditionnent leur implication aux bénéfices de différentes natures qu’ils espèrent en retirer (Ehlinger,PerretetChabaud2007). AudreyVerlaqueconclut à partir du cas du pôle Mer que le pôle est une forme organisationnelle à plusieurs niveaux qui associe une méta-organisation pilotée par l’équipe d’animation, des sous-réseaux au-tour de champs technologiques ou de thèmes spécifiques et enfin des projets collaboratifs, autour d’un porteur de projet (Verlaque2008). Ce fonctionnement à géométrie variable dans de nombreuses activités des pôles et à différents niveaux, notamment sous la forme du projet, du groupe de travail ou de la communauté d’intérêts, pèse sur les modes de gouvernance.

Plusieurs études empiriques mobilisent cette même notion de réseau pour étudier la gouvernance des pôles. C. Bruyère et A. Verlaque utilisent par exemple le concept de « réseau clignotant » qui désigne la formation d’une ou plusieurs chaînes d’acteurs à architecture modulable en fonction des besoins et l’activation de nœuds en fonction des participations et des opportunités (Bruyère et Verlaque 2009). Il s’agit de rendre compte des processus qui conduisent des chaines d’acteurs à se former et à se désagréger selon les projets. L’enjeu est alors pour les pôles de mettre en œuvre des formes de gou-vernance adaptées, capables notamment de s’appuyer sur les leaders locaux qui émergent au sein de ces chaines d’acteurs à échelle fine. Dans ce modèle, le réseau fait figure de solution organisationnelle aux défis qui se posent aux pôles puisqu’il permet d’assurer une forme de pérennité des liens même si tous les nœuds ne sont pas activés à un ins-tant donné. Etudiant le pôle PEIFL, F. Fulconis et J. Joubert soulignent l’absence de hiérarchie forte dans les réseaux de ce pôle et l’existence d’un double cercle d’acteurs qui corrobore l’idée de réseaux à géométrie variable (Fulconis et Joubert 2009). A un centre qui fonctionne en réseau autour des acteurs dominant s’ajoute un réseau de membres plus lâche et peu hiérarchisé. Il est assez remarquable de constater qu’au-delà des efforts conceptuels de ces travaux, des questions concrètes telles que la répartition des postes dans les différents organes de la gouvernance des pôles et les équilibres qui en résultent ne sont que peu abordées. Elles s’effacent souvent derrière la description du rôle d’individus charismatiques ou au contraire d’organisations collectives telles les syndicats professionnels qui par la légitimité qu’ils possèdent permettent de dépasser en partie la question des équilibres politiques. La place de certains types d’acteurs dans la gouvernance et le fonctionnement des pôles a toutefois fait l’objet de travaux plus précis.

La question de l’intégration des PME posée à l’échelle nationale trouve un écho privi-légié dans les questions de gouvernance. M. Gadille et M. Pélissier questionnent ainsi les relations croisées entre les modes de gouvernance des pôles et l’intégration des acteurs les

plus marginaux dans le cas du pôle SCS. Du fait de la diversité des acteurs, en termes de moyens ou de vision de l’innovation, mais aussi des équilibres sectoriels, les PME du logiciel et du multimédia peinent à exister dans le pôle, notamment face aux entreprises de la microélectronique et des TIC qui défendent une vision technologique de l’innovation.

Ces auteurs soulignent l’absence d’une gouvernance capable d’assurer une régulation entre les différentes communautés professionnelles. L’enjeu est en fait celui de la définition de la stratégie du pôle sur la base d’intérêts divergents mais aussi celui de la position de la gouvernance et de la structure d’animation entre un rôle de médiation et de représentation des intérêts de la majorité des membres (Gadille etPélissier 2009 ; J.2010).

Il ne s’agit toutefois pas de faire des PME les victimes du fonctionnement institué par les pôles de compétitivité. S.Fen-Chongmontre par exemple comment le SPL du Silicon Sentier a incité ses membres à adhérer au pôle francilien Cap Digital pour accroitre ses chances d’obtenir un mandat d’administrateur (Fen-Chong 2009). D’autres auteurs se sont également interrogés à plus petite échelle sur la spécificité des pôles principalement composés de PME. Affirmant que le dispositif des pôles de compétitivité ne convient pas aux PME du fait d’une conception de l’innovation et de la performance peu adaptée, R.

Boquet et ses coauteurs étudient les formes d’adaptation des dispositifs institutionnels aux attentes des PME dans ces cas très spécifiques (Boquet et al. 2009). A partir des cas du pôle PASS et du pôle de la vallée de l’Arve, elles décrivent le rôle des formes d’organisation collectives anciennes issues d’un fonctionnement en district industriel ou SPL qui s’affirment comme des médiateurs entre le pôle et les PME. Cette dernière étude montre d’ailleurs le passage progressif dans la vallée de l’Arve d’une gouvernance associa-tive à une gouvernance dite territoriale grâce à l’intégration de nouveaux acteurs et à des liens accrus avec les collectivités qui jouent un rôle de coordination. Les évolutions de la gouvernance des pôles au fur et à mesure de leur fonctionnement constituent de fait une autre interrogation majeure.

4.1.3 La structuration des pôles ou « le pilotage chemin faisant » (S. Fen-Chong)

Les études citées jusqu’alors ont la particularité de se concentrer davantage sur le pi-lotage des pôles et notamment la construction de leur stratégie. D. Chabault souligne cette lacune et cherche au contraire à comprendre comment émerge et se structure la gou-vernance d’un pôle en posant notamment la question de la construction empirique de mé-canismes de coordination entre les acteurs (Chabault 2009b). L. Castro Goncalves et J. Tixier se donnent un objectif similaire en étudiant le processus de structuration de deux pôles de compétitivité dans le domaine de la médecine, Medicen et Lyon Biopôle

(Castro Gonçalves et Tixier 2007). Tous soulignent l’importance d’une approche multi-niveaux et systémique susceptible de saisir les processus de coévolution des diffé-rentes dimensions. L’approche dynamique privilégiée ici conduit à considérer la structure des pôles à la fois comme le résultat mais aussi comme le médium des interactions entre les acteurs dans un processus récursif : elle est à la fois « contraignante et habilitante » (ibid., p.6). Si le pôle Medicen privilégie un fonctionnement cloisonné entre les théma-tiques et les projets, hérité du fonctionnement traditionnel des acteurs régionaux, le pôle Lyon Biopôle repose lui sur des objectifs communs élaborés et coordonnés par les grands industriels du secteur, membres fondateurs du pôle.

D. Chabault met en œuvre une analyse convergente en interrogeant dans sa thèse les fondements des mécanismes de coordination d’acteurs dont les représentations et les logiques d’action diffèrent mais s’intéresse plus concrètement au rôle de certains acteurs dans ce processus et dans la gouvernance du pôle. Il compare le rôle déterminant de la société ST Microelectronics au sein du pôle S2E2 et de l’animateur du réseau de la Cosmetic Valley et les ressorts de leur légitimité dans la communauté de ces deux pôles.

Si le dernier peut se prévaloir, au moins en théorie, d’une forme de neutralité, ce n’est pas le cas d’une grande entreprise. Les formes de légitimité mobilisées pèsent sur la communauté créée et les activités qu’elle mène. Cette étude montre d’ailleurs que ces acteurs-pivots ont joué un rôle clé dans la construction du pôle en mettant leur légitimité au service de la construction accélérée d’un projet et d’une gouvernance mais que cette position est remise en cause par la suite à mesure que le pôle s’affirme. Elle confirme notamment que

« différents mécanismes sociopolitiques, des arrangements sociaux et des normes sociales ont lieu en dehors des mécanismes formels de gouvernance et semblent se révéler tout aussi puissants dans leur capacité à influencer le pilotage du réseau et son évolution » (Chabault 2009a, p.125 ; Lévy et Talbot 2010).

Contrairement à l’idée d’une mise à l’écart des acteurs publics, et notamment des collectivités territoriales, de la gouvernance des pôles, D.Chabaultmontre que ces der-niers sont le principal moteur des évolutions que connaissent les pôles (Chabault2010).

L’Etat joue bien sûr un rôle important par le truchement de l’évaluation des pôles comme on l’a déjà montré mais les collectivités peuvent également s’affirmer comme des acteurs clés en fonction des considérations locales. Dans le cas du pôle S2E2, la mauvaise évalua-tion du pôle (classé dans la dernière catégorie) a conduit à une refonte de la gouvernance et notamment à une plus grande ouverture aux PME. S. Fen-Chong et F. Pallez décrivent le même processus dans le cas du pôle Nucléaire Bourgogne (Fen-Chong et Pallez 2008) qui a dû réorienter son action vers la R&D et a décidé de s’ouvrir à de nouveaux acteurs de secteurs connexes (notamment Alstom qui a entrainé à sa suite de nouvelles PME).

D. Chabaultdécrit plus largement une forme de bifurcation de ses deux pôles d’une trajectoire industrielle vers une trajectoire plus technologique, davantage tournée vers l’in-novation et la R&D. Ces bifurcations s’accompagnent notamment d’une modification des équilibres entre les « micro-collectifs » ou sous-réseaux qui composent les pôles. S’il est vrai qu’« un pôle de compétitivité ne forme pas une entité homogène mais est constitué d’une diversité de micro groupes qui, agrégés entre eux, forment une organisation cohérente », les trajectoires de ces deux niveaux sont étroitement liées par des dynamiques croisées des-cendantes et asdes-cendantes (Chabault 2009a, p.359). Dans le cas de la Cosmetic Valley, l’inflexion de la trajectoire est de plus marquée par la logique d’élargissement du péri-mètre géographique du pôle qui s’ouvre notamment aux acteurs du sud de l’Ile-de-France.

Cette ouverture a accéléré le renforcement de la place de l’innovation en minorant le poids des acteurs locaux à l’origine du pôle et des collectivités territoriales qui défendaient une approche plus ancrée, notamment par le biais des relations industrielles localisés héritées des anciens SPL. Ce dernier exemple montre bien le fonctionnement systémique des pôles de compétitivité et a en outre l’intérêt d’introduire la dimension géographique.

Une autre thèse en sciences de gestion, celle de S. Fen-Chong, propose une lecture complémentaire, en mettant elle aussi l’accent sur une approche dynamique mais en pri-vilégiant la question des modes de pilotage des pôles et de leur émergence (Fen-Chong 2009). Il s’agit par ce choix de dépasser la question de la gouvernance formelle pour obser-ver sa traduction dans le fonctionnement quotidien (ibid.). S. Fen-Chong juge en effet que le pilotage est le lieu privilégié de formes d’adaptation et de négociation des règles et des cadres formels et permet l’évolution des formes d’action ou des objectifs du pôle. Elle souligne par exemple que « le conseil d’administration est clairement un lieu de représen-tation des parties prenantes et de validation, plutôt que de décision stratégique [tandis que] d’autres instances comme le bureau jouent ce rôle de définition de la stratégie et des moyens d’action » (ibid., p.366). Le pilotage autorise également le pôle et ses acteurs à s’affranchir de certaines contraintes ou à les faire évoluer en ouvrant un espace de média-tion avec les parties prenantes externes que sont l’Etat et les acteurs publics. Cette thèse replace en effet les pôles dans leur environnement et montre que : « la frontière entre l’in-terne et l’exl’in-terne est extrêmement mouvante, d’autant que les pôles peuvent redéfinir leur frontière en modifiant leur périmètre thématique ou géographique, ou changer la compo-sition de certaines de leurs instances de gouvernance en y incluant parfois diverses parties prenantes » (ibid., p.321). Elle cite par exemple l’implication de cadres locaux de grandes entreprises dans le pôle qui s’impliquent dans le pilotage sans bénéficier d’un mandat systématique de leur direction centrale ou l’utilisation des pôles par des chercheurs pour réorienter les thématiques d’une équipe de recherche ou d’un laboratoire. Cette vision, qui complexifie encore la lecture des pôles comme des structures multi-niveaux, confirme

en tout cas la nécessité de dépasser les cadres formels pour se concentrer sur les jeux d’échelles qui les parcourent et d’inscrire l’analyse dans une lecture dynamique.

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