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Les autres missions : un champ à explorer

4 Les apports de la littérature au débat sur le fonc- fonc-tionnement des pôles

4.2 Les missions des pôles

4.2.2 Les autres missions : un champ à explorer

La question des missions des pôles au-delà de la R&D a déjà été évoquée et soulève de nombreuses questions. L’absence de financements dédiés et la focalisation de l’évaluation sur les projets collaboratifs a conduit à un développement limité de ces actions, alors même que les acteurs publics leur assignent de nouvelles tâches. A cette timidité des pôles, qui s’atténue avec la seconde phase de la politique, répond le nombre limité des travaux de recherche sur les missions complémentaires des pôles, même si la question de la formation a suscité plusieurs études.

La plupart des auteurs qui étudient l’implication des pôles dans le champ de la for-mation et de la gestion des compétences soulignent l’existence d’un paradoxe. Alors que les pôles ont pour but le renforcement de la compétitivité des filières et des territoires et le développement d’avantages différentiels, ils ne portent encore que peu d’attention aux ressources que constituent les compétences et la main d’œuvre spécialisée (Maury 2008). L’accord sur les enjeux de la formation est assez largement partagé, mais les actions concrètes restent très limitées comme l’a montré l’évaluation nationale en 2008 (C. M.

International et Boston Consulting Group 2008a). A ce constat s’ajoute le fait que « les pôles se saisissent des questions d’emploi et de compétences pour des raisons, selon des modalités et avec une intensité très variées » (Bertrand et al. 2008, p.1). C.

Maury souligne le rôle du contexte propre à chaque pôle et à chaque filière et distingue notamment le rôle incitatif de situations de pénurie de main-d’œuvre ou d’absence de for-mations adaptées sur le territoire du pôle (Maury 2008). S.Fen-Chong et F. Pallez montrent de même que l’intérêt remarqué du pôle Nucléaire Bourgogne pour la formation et même pour les questions de gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences est lié au vieillissement de la main d’œuvre dans la filière qui pose la question du renouvelle-ment des compétences (Fen-Chong et Pallez 2010). Ce dernier exemple montre bien que la formation et les compétences placent au cœur de l’analyse les liens entre le pôle et son territoire. Les actions de cartographie des compétences ou des formations voire la labellisation de formations par les pôles, qui constituent souvent la seule forme d’action (Groupe Alpha 2008), supposent en effet l’identification de bassins d’emploi ou d’aires de recrutement qui traduisent un lien évident au territoire. Comme le précise un rapport sur le sujet, « l’espace ne prend pas la même signification pour tous les objets des pôles : la recherche, les projets de développement, les aires utiles de coopération, de création éven-tuelle d’emplois, de recrutement, de formation. Aussi n’y a-t-il pas un mais des territoires

du pôle » (Bertrand et al. 2008, p.3).

Une des ambiguïtés du champ de la formation procède en effet de l’hésitation entre une approche territorialisée et une approche sectorielle à l’échelle de la filière. C. deGerymet en lumière la coexistence de régulations sectorielles et territoriales autour de la formation dans le cas du pôle PASS (Gery2010). Dans cette filière, les syndicats professionnels, dont on a déjà évoqué l’importance, ont longtemps conduit à privilégier une approche sectorielle tandis que les acteurs grassois avaient déjà amorcé une réflexion territorialisée, notamment dans le cadre du SPL des parfums. Le pôle s’est donc emparé précocement des questions de formation et constitue un « exemple atypique de régulations sectorielle et territoriale conjointes » (ibid., p.13). Les pôles montrent en effet une tendance quasi systématique à se limiter aux qualifications supérieures et à une approche universitaire de la formation, au détriment de la formation continue et des autres emplois spécialisés. C’est notamment le cas des pôles qui font le plus de place à la R&D au contraire de ceux dans lesquels les questions productives pèsent davantage. Malgré ce que pourrait suggérer ce tableau contrasté, les pôles sont à l’origine de réels changements d’autant que les établissements d’enseignement supérieurs ont largement cherché à se positionner par rapport aux pôles, entrainant l’affirmation de thématiques au niveau régional. Ainsi que l’affirme une étude déjà citée, « les pôles commencent à jouer un rôle significatif dans la reconfiguration géographique du supérieur et des spécialisations thématiques sur le territoire national » (Bertrandet al. 2008, p. 5) et font émerger des formes d’organisation nouvelles (Tixier 2010).

La littérature sur les autres formes d’action et thèmes pris en charge par les pôles est beaucoup plus modeste. On peut citer la question de l’intelligence économique territoriale abordée par K. Bouabdallahet A.Tholoniat(BouabdallahetTholoniat2006) et qui figure parmi les missions des pôles ou la mise en œuvre d’une démarche dévelop-pement durable décrite par D. Chabaultdans le cas de la Cosmetic Valley (Chabault 2008). Ces problématiques transversales, issues de politiques et de grandes priorités na-tionales (à l’image du Grenelle de l’environnement) sont pourtant susceptibles de faire émerger de nouvelles formes de mise en réseau des pôles et des acteurs qui placent les logiques territoriales au cœur de l’analyse (Grandclement 2012) et posent la question des niveaux d’échelle pertinent (chapitre 6).

5 Conclusion

L’analyse de la genèse politique des pôles de compétitivité puis des inflexions qui ont accompagné leur mise en œuvre révèle l’existence de plusieurs points de friction qui tiennent tous aux relations entre les différentes parties impliquées et aux niveaux d’échelle

auxquelles elles se déploient. La spécificité de cette politique réside en effet dans les nom-breuses interfaces qui établissent un dialogue entre les acteurs, à différentes échelles et différents moments du fonctionnement des pôles, et autorisent des adaptations régulières ou pour reprendre la belle formule de S. Fen-Chong un « pilotage chemin-faisant ».

L’appel à projet qui a créé les pôles, les modalités d’attribution des fonds publics et les évaluations régulières à l’échelle nationale et à l’échelle locale et régionale constituent au-tant d’occasions de confrontation du modèle proposé par l’Etat et des projets et stratégies des acteurs locaux et régionaux qui s’en emparent et le font évoluer.

Le relatif flou qui accompagne ce mode de fonctionnement, et qui en est en fait la principale condition de possibilité, laisse dans l’ombre plusieurs enjeux tels que la réalité du fonctionnement spatial des pôles, l’inscription de la diversité des pôles dans une politique nationale unique ou la prise en compte des trajectoires propres aux territoires locaux et régionaux. Très concrètement, ni le cadre politique construit par l’Etat, ni les études empiriques de la littérature ne permettent de cerner l’organisation spatiale d’un pôle, son périmètre, l’aire de recrutement de ses membres, les modalités de son ancrage local ou la place qu’y jouent les réseaux d’acteurs. Le débat entre logique de réseau et logiques territoriales, omniprésent dans la littérature, n’a pas donné lieu à des travaux empiriques.

Si la littérature a très bien montré que les pôles sont des formes d’organisation complexes et multiniveaux qui intègrent des réseaux d’acteurs à géométrie variable, elle n’a pas prolongé ce questionnement dans le champ géographique. Le concept de réseau n’est envisagé que dans sa dimension organisationnelle, sans que son inscription spatiale soit interrogée. De la même manière, la diversité des pôles est reconnue mais elle a le plus souvent été abordée soit sous la forme de monographies, soit sous celle de typologies et de classifications économétriques à l’échelle nationale.

Si ce chapitre a permis de souligner les points de tension qui traversent la politique nationale des pôles et confirmé l’intérêt de l’entrée politique, il invite donc à renverser l’angle d’analyse et à observer la genèse des pôles, leur fonctionnement et les relations entre les divers acteurs, entreprises, laboratoires ou collectivités territoriales, à l’échelle locale et régionale.

Le chapitre 1 s’est attaché à proposer des outils théoriques et conceptuels pour penser les processus de coévolution des territoires et des réseaux et l’imbrication des niveaux d’échelle. Il a aussi montré la nécessité de prendre ses distances avec le référentiel unique des clusters pour mettre en lumière son articulation avec d’autres formes d’organisation de la production et de l’innovation et faire notamment une place aux réseaux. La créa-tivité et la capacité d’adaptation des acteurs donnent naissance à des formes hybrides qui interrogent l’inscription spatiale des processus d’innovation et remettent en cause le bel emboitement des niveaux d’échelle. Il a aussi souligné l’intérêt pour la réflexion des interfaces où ces formes entrent en relation et « des espaces chevauchants, contigus » dans lesquels elles se déploient (Gumuchianet al. 2003).

Le chapitre 2 a montré que les pôles de compétitivité ont introduit une rupture avec les référentiels des politiques industrielles et d’aménagement du territoire. Le changement d’échelle voulu par cette politique, la place différente faite auxclusters et aux technopôles conduisent à questionner l’impact spatial de cette politique. L’analyse des multiples inter-faces entre l’Etat et les acteurs locaux ouvertes par la politique des pôles suggère que ces derniers constituent un de ces « espaces chevauchants, contigus6» et invite à une analyse de leur organisation spatiale à grande échelle. La mise en question du rôle du politique dans l’innovation et la relecture des politiques territoriales comme des innovations soumises à des cycles conduit aussi à s’intéresser à leur impact sur les structures et les hiérarchies spatiales à l’échelle nationale ou locale. A ce titre, l’intégration du temps et des cycles économiques, territoriaux et politiques dans la réflexion théorique était indispensable.

Ces deux premiers chapitres ont donc contribué à élaborer le cadre théorique et à y inscrire un questionnement politique dans une approche descendante. Ils ouvrent ainsi la voie à un changement d’échelle pour apporter des réponses aux silences de la politique na-tionale et de la littérature sur la réalité de l’organisation spatiale des pôles et l’inscription de leur diversité dans un cadre unique.

6. ou commutateurs si l’on préfère la terminologie proposée par P. Clavalpour analyser les phéno-mènes de cospatialité (Lévy2006a).

Cartographie des pôles et nouvelle

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