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Cartographier et représenter les pôles : les enjeux méthodologiques

d’une géographie des réseaux d’innovation

Introduction

0.1 Du réseau comme métaphore spatiale au questionnement géographique

L’opposition réseau/territoire et l’irréductibilité supposée de ces deux concepts sont un axe structurant et ancien de la pensée des réseaux. « Discontinu et lacunaire », le réseau est perçu comme « posé » sur le territoire (Lévy2006c, p.795) et cette idée de la surimposition du premier sur le second, l’image d’une « couche géologique supplémentaire » (Offneret Pumain1996, p. 106) a marqué du fait de son caractère suggestif. La mondialisation, les développements des TIC, les progrès des transports, l’essor des diasporas ont contribué tout à la fois à promouvoir la figure du réseau, « véhicule des relations à distance via la connexité », selon la formule de D. Pumain et à l’opposer au territoire, « support des liens continus de la proximité » (ibid., p.13). Ce fonctionnement binaire, incarné par le terme fourre-tout de déterrritorialisation fait obstacle à l’utilisation du réseau dans le raisonnement géographique et impose de préciser le contenu de ce concept.

L’utilisation la plus simple du terme de réseau s’applique évidemment aux réseaux techniques et par suite aux réseaux de transports en général (Dupuy1991). De ces réseaux techniques procède l’idée d’un changement de métrique et donc de rapport à la distance, qui oppose métrique topologique et métrique topographique. Cette étape est décisive puisqu’elle introduit une approche théorique et métaphorique du réseau comme ensemble de liens entre des points qui peuvent être de différentes natures. Ainsi, le réseau n’est plus seulement « une matrice technique » mais est aussi « une technologie de l’esprit »

(Offner et Pumain 1996, p.106), c’est à dire une façon de penser ou de conceptualiser des réalités variées. Dans une réflexion d’aménagement de l’espace, le réseau apparaît comme une « matrice d’organisation de l’espace » (Offner et Pumain 1996, p.106), à la manière dontCerdapensait le réseau viaire comme produisant l’espace urbain (Lévy 2006c).

Appliqué à des réalités non strictement spatiales, il constitue une forme de concep-tualisation et de codification de l’information, comme dans le cas des réseaux de relations sociales. De la convergence entre « la matrice technique » et « la technologie de l’esprit » sont nés des corpus théoriques et méthodologiques porteurs, à l’image du rôle joué par la théorie des graphes qui « a progressivement dégagé la notion de réseau social de ses aspects métaphoriques pour en faire un véritable outil d’analyse en sciences sociales » (Offner etPumain1996, p.144). Le réseau est alors « transformation et représentation de l’information qu’il véhicule » (ibid., p.106). Les réseaux sociaux utilisent le concept de réseau hors de son acception spatiale et l’utilisent pour étudier les groupes sociaux et les individus hors de leur inscription spatiale, proposant un prisme de lecture différent. La géographie française a peu recouru à cette approche, privilégiant en matière de réseaux les processus de circulation plutôt que les systèmes spatialisés de relations sociales (ibid.).

Comme le suggère cette dernière formule, la notion de réseau social ne suppose en effet pas l’absence de toute dimension spatiale. La capacité des réseaux à sécréter des phéno-mènes d’appartenance et donc d’identité ne fait plus débat (Lévy 2006c). La question de l’inscription spatiale de ces réseaux, leur rôle dans la production de territoire est donc au cœur des travaux actuels sur les réseaux, dès lors que l’on dépasse la confusion entre le concept géographique de réseau et son « usage non géographique comme métaphore spatiale » (ibid., p.795). Le couple réseau-territoire n’est ainsi plus envisagé dans une opposition stricte mais dans une lecture dialectique :

Ne peut-on pas envisager le réseau social non comme une alternative au territoire, mais comme un mode de fonctionnement qui instaure de nouveaux territoires ? Ne peut-on avancer l’hypothèse qu’il existe dans l’espace un po-tentiel de relations qui, selon qu’elles sont ou non activées par des réseaux, conduisent à l’émergence de ces nouveaux territoires ? (Offner et Pumain 1996, p.141).

Ces questionnements théoriques s’accompagnent de questionnements méthodologiques quant aux outils permettant de révéler, de décrire, de représenter et d’analyser ces réseaux et leur rôle dans l’émergence de nouveaux fonctionnements territoriaux. Le concept de réseau bouleverse en effet la façon de mesurer la distance, dans l’espace ou entre les groupes sociaux, de décrire l’appartenance et l’identité ou encore de penser les hiérarchies et les échelles (Lévy 2006b). Le problème est plus grand encore quand il est utilisé pour

décrire des réalités sociales et comprendre leur inscription dans l’espace, il impose donc un effort méthodologique important. En effet, « la métaphore du réseau recouvre des réalités différentes qui ne peuvent être réduites à un même modèle et n’ont en commun que l’aspect formel » (Offner etPumain 1996, p.175).

0.2 Penser l’opposition réseau/territoire dans le cas des pôles de compétitivité

Ces questionnements théoriques trouvent un écho frappant dans le cas des pôles de compétitivité. Ils témoignent autant de la diffusion du réseau comme métaphore et solution politique que des interrogations qu’elle fait naitre quant à leur organisation territoriale.

L’abondante littérature scientifique sur les pôles de compétitivité n’a que peu abordé les enjeux de la géographie des pôles de compétitivité à l’échelle locale ou régionale. Si les logiques de constitution des pôles et les jeux d’acteurs sont bien documentés, leur traduc-tion géographique est plus rarement envisagée. Cette dimension se limite le plus souvent à une évocation des changements d’échelle déjà cités ou de la continuité observée avec les systèmes productifs qui préexistent aux pôles (Mendez 2008). De manière générale, ces thèmes sont abordés à l’échelle nationale et dans le cadre de réflexions plutôt théoriques sur la politique nationale. Seules de rares études se sont posées la question des dynamiques territoriales des pôles et de l’élargissement de leur aire d’influence en travaillant à plus grande échelle (Barabel et al. 2009).

La faible place des enjeux spatiaux dans les travaux sur les pôles de compétitivité peut surprendre dans la mesure où ils étaient au cœur des débats théoriques et politiques qui ont précédé la naissance des pôles de compétitivité. Le choix des territoires visés par les politiques industrielles et d’aménagement du territoire, leur taille, les formes spatiales susceptibles de favoriser l’innovation, la place à donner aux réseaux sont autant de ques-tions qui plaçaient la dimension géographique au premier plan. Ce paradoxe s’explique par les ambiguïtés et les non-dits dans la mise en œuvre de la politique que le chapitre 2 a décrits. Le débat, jamais vraiment tranché, entre une lecture territoriale et une approche centrée sur les réseaux a ainsi donné naissance à la formule problématique de territoires-réseaux pour caractériser les pôles de compétitivité. Une analyse approfondie de la place de l’espace dans la politique nationale des pôles est donc un préalable indispensable.

Au-delà de cette analyse de la politique nationale et de sa mise en œuvre, se pose la question des outils méthodologiques susceptibles de permettre une connaissance et une compréhension plus précises et concrètes du fonctionnement spatial des pôles de compétitivité. La complexité des formes d’organisation nées de la politique des pôles, et notamment l’imbrication des niveaux d’échelle, interrogent les cadres théoriques et les

outils de la géographie.

L’analyse des enjeux spatiaux de la mise en œuvre de la politique des pôles ouvrira une réflexion sur les outils et les sources à mobiliser pour décrire, comprendre et représenter l’organisation spatiale des pôles de compétitivité (1). La recherche de nouveaux outils méthodologiques conduira à présenter les apports des méthodes d’analyse des réseaux sociaux, leur mise en œuvre dans un questionnement géographique et leur application aux réseaux d’innovation et aux pôles de compétitivité (2).

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