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Des externalités de connaissance au milieu local

1 Des théories de l’innovation aux enjeux géogra- géogra-phiques

1.3 L’inscription spatiale de la production de connaissance

1.3.3 Des externalités de connaissance au milieu local

Dans ces théories, le milieu local repose en partie sur l’importance du contact phy-sique et sur la circulation d’informations et de connaissances tacites, résumée en anglais par le doublon «local buzz and face-to-face» (Storper etVenables 2004). Ce «buzz» consiste en un « flux d’information spécifiques, renouvelé continuellement, et en des pro-cessus d’apprentissage volontaires et non planifiés dans des rencontres organisées ou inat-tendues* » (Bathelt,Malmberget Maskell2004, p.37). La concentration d’acteurs de différentes natures renforce « le caractère hautement interactif du processus d’innova-tion entre les entreprises et l’environnement scientifique, entre producteurs et clients au niveau industriel et entre les entreprises et leur environnement institutionnel* » (Malm-berg,Solvell etZander 1996, p.90). L’encastrement social de ces liens (section 1.4.3) contribue donc à les renforcer puisque la proximité réduit le risque d’une utilisation

op-Table1.2 – La mobilité des différentes formes de savoir (Malmberg,Solvell et Zan-der 1996, p. 92)

Type of knowledge High mobility Low mobility

Knowledge embedded

portuniste des informations sensibles qui circulent de cette manière.

Cet encastrement rencontre la question des barrières qui participent à cet ancrage local des processus de diffusion. Ces dernières vont à l’encontre de l’idée d’une circulation accrue des connaissances avec la mondialisation et les progrès des TIC et tiennent à la nature de ces connaissances mais aussi à leur inscription sociale et physique. La distinction entre savoir tacite et codifié doit donc être enrichie, comme le montre le tableau 1.2.

L’encastrement des connaissances et des processus de production de connaissances contribue à réduire la distance cognitive au sein des clusters et à l’accroitre entre les clusters, ce qui freine leur diffusion hors de leurs limites. Ce schéma peine toutefois à rendre compte de la mise en réseau des clusters et de la circulation des connaissances à petite échelle. Il se heurte également au caractère stratégique de la distance cognitive comme garante du renouvellement des connaissances et de la production d’innovations radicales. Il est donc nécessaire de changer d’échelle pour enrichir cette géographie de la circulation des connaissances.

1.3.4 La nécessité d’un changement d’échelle : «local buzz and global pipe-lines»

Les études les plus récentes ont en effet remis en cause l’opposition simple entre savoir tacite et échelle locale d’une part, savoir codifié et échelle globale d’autre part (Bathelt, MalmbergetMaskell 2004). Elles ont notamment mis en lumière les conditions dans lesquelles savoir tacite et codifié peuvent être diffusés tous les deux à la fois localement et à l’échelle globale. De la même manière que pour le savoir tacite, des coûts importants existent pour identifier, assimiler et appliquer le savoir codifié, qui n’est en outre à l’origine

d’innovations qu’à condition d’être combiné avec des connaissances tacites, qui elles sont inscrites dans un environnement local. Sur le plan spatial, cette découverte implique que lesclustersles plus dynamiques sont ceux qui « parviennent à construire et pérenniser des canaux permettant l’échange de connaissances à moindre coût avec les points névralgiques [hotspots] les plus pertinents à l’échelle du monde* » (ibid., p.33). L’enjeu est alors de comprendre la structure des relations construites par les acteurs à l’intérieur desclusters et entre les clusters. De très nombreux travaux ont contribué à nuancer fortement le rôle de la proximité physique dans la diffusion des connaissances et le caractère stratégique de l’ouverture sur des sources de connaissance extérieures dans les processus d’innovation (parmi de très nombreux autres et dans des contextes très différents :Boschma etTer Wal 2007 pour un district italien dans l’industrie de la chaussure ; He 2006 ; Owen-Smith etPowell 2004 dans le cas du cluster des biotechnologies de Boston).

Ces travaux contribuent à nuancer la vision mécaniste de la diffusion des externalités de connaissance à l’échelle locale en soulignant que cette dernière est liée aux caractéris-tiques de chaquecluster, à son histoire, aux relations sociales et aux interactions entre les entreprises mais aussi que le contenu et la nature de ces externalités peuvent varier d’un cluster à l’autre. S. Breschi et F. Lissoni critiquent en outre la littérature empirique sur les externalités locales de connaissance, soulignant que ce concept tend à simplifier de manière excessive la grande variété des mécanismes de diffusion de connaissances, y com-pris à l’échelle locale (Breschi etLissoni 2001). Ils invitent au contraire à reconsidérer les mécanismes de diffusion du savoir tacite, estimant que cette diffusion peut tout à fait se faire à distance, sans se traduire in fine par des externalités locales de connaissance :

« knwoledge may flow and yet not spillover » (ibid.). La circulation des connaissances au sein des clusters peut se révéler extrêmement sélective selon la structure des collabora-tions et des relacollabora-tions entre les entreprises (Giuliani2005). Même si la diffusion est décrite comme « fréquente, large, relativement peu organisée et largement automatique* » (Ba-thelt,MalmbergetMaskell2004, p.40), le bénéfice lié à ces externalités ne procède pas uniquement de la co-localisation mais dépend aussi de la capacité des firmes à déve-lopper des liens solides et à s’insérer dans les réseaux de relation, y compris à l’intérieur des clusters (Boschma et Ter Wal2007).

Il est réciproquement possible, et nécessaire, pour les entreprises de se brancher sur des canaux de diffusion de connaissance ouverts sur l’extérieur, y compris pour accéder à des connaissances tacites et hautement stratégiques : « decisive non incremental know-ledge flows are often generated through “network pipelines” rather than through indirect spontaneous “local broadcasting” » (Bathelt,MalmbergetMaskell2004). Les liens forts tissés à l’intérieur desclusters font en effet courir le risque d’un surencastrement que peuvent pallier des liens plus diversifiés et ouverts sur l’extérieur (Uzzi1997). Ce dernier

type de liens stratégiques de portée interrégionale ou internationale implique des efforts et un coût supérieur pour les entreprises pour dépasser les obstacles liés à la distance. Leur caractère stratégique n’en est que plus grand puisque les acteurs impliqués doivent choisir soigneusement leurs partenaires en fonction des bénéfices escomptés, de leur propre capa-cité d’absorption et de la nature et valeur des connaissances accessibles, tout en décidant des connaissances échangées en retour.

L’intérêt de ce modèle qui articule «local buzz » et «global pipelines» réside dans sa capacité à penser l’imbrication des niveaux d’échelle. La construction de liens locaux et de liens vers l’extérieur est au cœur des stratégies des entreprises (Maskell2001a ; Tay-lor etAsheim 2001) mais elle conditionne également la croissance et le renouvellement des clusters puisqu’une partie des connaissances extérieures recueillies par les entreprises est susceptible d’alimenter les processus de diffusion d’externalités de connaissances à l’échelle locale, bénéficiant ainsi à l’ensemble des acteurs locaux. « Plus les entreprises d’un cluster s’engagent dans la construction de pipelines vers l’extérieur, plus la quantité de connaissances et d’informations sur les marchés et les technologies injectée dans les réseaux locaux est grande et plus lebuzz dont les acteurs locaux bénéficient est grand* » (Bathelt, Malmberg et Maskell 2004, p.41). Comme le montrent E. Giuliani et M. Bell dans leur analyse d’un cluster viticole chilien, les processus d’apprentissage et d’accumulation de connaissances à échelle méso sont conditionnés par des déterminants locaux tels que les caractéristiques des entreprises ou la structure des réseaux relationnels intra-cluster (GiulianietBell 2005). Loin d’être « dans l’air » comme le suggérerait la métaphore marshallienne, « les connaissances tendent à s’accumuler et rester à l’intérieur des limites des entreprises et des réseaux* » (Boschma etTer Wal 2007). Ces conclu-sions conduisent à élargir le questionnement aux déterminants de la mise en réseau des acteurs, que ce soit à l’intérieur des clusters ou dans le cadre de relations à distance. Il s’agit de ne pas se cantonner à la géographie de la circulation des connaissances pour saisir la richesse des relations qui construisent la géographie de l’innovation. Cet élargissement du champ de la problématique impose de préciser le cadre théorique dont des éléments ont été évoqués ponctuellement en interrogeant la notion de proximité.

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