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Districts et clusters : des modèles de territorialisation de la production Qu’il s’agisse des districts italiens et du dynamisme de la Troisième Italie ou des

2 Territoires et échelles de l’innovation

2.1 Districts, clusters, technopôles : pourquoi les régions qui gagnent gagnent-elles ?

2.1.1 Districts et clusters : des modèles de territorialisation de la production Qu’il s’agisse des districts italiens et du dynamisme de la Troisième Italie ou des

clusters américains de la Silicon Valley ou de la Route 128 (Saxenian 2000), le prin-cipal point de tension procède de l’intrication entre ces cas d’étude et les constructions théoriques qu’ils ont inspirées, tout à la fois « idéal-type, cas paradigmatique et modèle territorial » selon la formule d’A. Grondeau(Grondeau2007, p.13). Tous ont conduit à promouvoir le modèle de ce que J.L. Guigou appelle « l’entreprise-territorie », c’est à dire l’idée que certaines configurations spatiales de la production favoriseraient le dé-veloppement économique des territoires et des acteurs qui y sont localisés. M. Grossetti propose sur le mode de l’interrogation une forme de plus grand commun dénominateur, tout en soulignant la complexité des mécanismes à l’œuvre (Grossetti 2004, p.175).

« Le critère général qui vient à l’esprit est que l’on doit s’intéresser au système local à partir du moment où on ne peut plus comprendre les logiques et le fonctionnement des individus et des organisations présents sans y faire référence. Mais peut-on aller plus loin ? Peut-on définir des seuils, pourquoi pas quantitatifs, dans la densité des relations locales à partir desquels on pourrait travailler ? Ces seuils devraient-ils concerner les relations marchandes, non marchandes, la circulation des personnes, la structure des réseaux sociaux ? » Districts etclustersrassemblent des concentrations localisées d’entreprises autour d’un secteur industriel, au sein desquelles apparaissent des externalités positives source d’un avantage compétitif pour les acteurs, mais les mécanismes ne sont pas décrits et théorisés de la même manière. Tous ces modèles partagent en revanche une lecture systémique du fonctionnement de ces concentrations localisées d’entreprises et placent la proximité phy-sique et les processus d’agglomération au cœur du raisonnement. Le losange ou diamant de Porter (Porter 1993) en est l’exemple le plus poussé. Les externalités locales de connaissance, la circulation du savoir tacite et la mobilité professionnelle d’une part, le rôle de la proximité dans la formation de denses réseaux de relation (ce que PierreVeltz appelle des « externalités relationnelles ») d’autre part, expliquent la tendance des en-treprises à s’agglomérer et l’avantage comparatif lié à la localisation dans le cluster. Ils peuvent toutefois se combiner de manière sensiblement différente et s’inscrivent dans des corpus théoriques ou disciplinaires variés.

Outre la référence au modèle marshallien et à l’idée abondamment reprise de la cir-culation des connaissances et des savoir-faire dans « l’atmosphère », les auteurs italiens ont mis l’accent sur l’encastrement des relations économiques dans le tissu social et sur la dimension culturelle des mécanismes. La célèbre définition donnée par G. Becattini ne fait ainsi pas directement référence à des mécanismes ou relations de nature économique et voit dans le district « une entité socio-territoriale caractérisée par l’association active,

dans une aire territoriale circonscrite et historiquement déterminée, d’une communauté de personnes et d’une population d’entreprises industrielles, (. . .) [où] la communauté et les entreprises tendent, pour ainsi dire, à s’interpénétrer » (Becattini 1992, p.36). Les travaux sur les districts ont d’ailleurs mis l’accent sur l’originalité des processus d’inno-vation dans des secteurs artisanaux ou à faible intensité technologique en décrivant le rôle des compétences techniques, des savoir-faire et des processus d’apprentissage collectif dans le développement d’innovations incrémentales hors de tout effort intensif de R&D.

Cette vision a toutefois été enrichie, du fait de la place croissante de l’innovation tech-nologique dans les districts de type italien, mais aussi grâce à l’approfondissement des travaux empiriques qui ont conduit à considérer le district comme « un milieu créatif » (Becattini 1991), capable d’abriter des processus d’innovation technologique (Garo-foli1992). Le district fonctionne ainsi comme « un laboratoire cognitif où sont élaborées de manière complexe des connaissances et des informations et où sont générées des valeurs sociales et culturelles* » (BelussietPilotti2002, p.125). Le savoir technologique y est le « produit de mécanismes inductifs ascendants [“bottom-up”] plus que d’un mécanisme déductif et descendant [“top-down”] qui partirait de principes scientifiques généraux* » (ibid., p.135).

Dans l’approche anglo-saxonne, et même si le terme a une acception extrêmement large, les clusters reposent davantage sur une lecture en termes de relations économiques entre les entreprises, et notamment sur le rôle de la proximité, de la concurrence et de l’agglomération comme source des externalités positives. La concurrence est notamment considérée par Porter comme un stimulant de l’ensemble des composantes du losange qui garantit le maintien de la diversité, interdit le repli sur soi, l’inertie ou les accommode-ments entre concurrents10 (Porter1993). Les flux d’information concernant les besoins ou les technologies, stimulés par la proximité et la mobilité professionnelle ou l’essaimage, constituent pour Porter « l’énergie » qui sous-tend le fonctionnement du cluster. Le losange repose ainsi à la fois sur la facilitation des flux d’information et sur la congruence des objectifs au sein des grappes (ibid.). La multiplication des études empiriques a par la suite conduit à enrichir le modèle du cluster en montrant le rôle de la confiance dans les relations et donc du partage de normes, de valeurs et de représentations et de liens informels (Karlsson,JohanssonetStough2005). Les auteurs anglo-saxons ont égale-ment mis l’accent sur des secteurs à plus forte intensité technologique et sur les territoires métropolitains dans une lecture portée par exemple par A. Scott qui fait de la ville le lieu de la division sociale du travail et qui les a conduit à identifier des « mosaïques de districts » dans ces métropoles (Scott 2001 ; Grossetti 2004).

10. Cette vision s’inscrit dans une lecture plus large du fonctionnement de l’économie qu’il n’est pas question de discuter ici.

La question des échelles pertinentes, des secteurs concernés (et donc des relations science-industrie peu présentes dans les districts) constitue donc un autre facteur de mise en tension des modèles. L’opposition dans le cas français des systèmes productifs locaux (par exemple autour des travaux du Glysi, Ganne 1992) et des technopôles (Benko 1991) en est un exemple même si les lignes de fracture sont souvent plus complexes encore. L’objectif n’est de toute façon pas ici d’entrer dans le détail des modèles mais plutôt de montrer comment les mécanismes décrits dans la section 1 ont été intégrés dans une approche territoriale des relations industrielles et des processus d’innovation, dans une

« démarche qui vise à expliciter les logiques d’organisation et les logiques de spatialisation (. . .) de ces organisations industrielles locales » (Benko, Dunford etLipietz 1996).

2.1.2 Les leçons des typologies : l’importance de l’ouverture et de l’intégra-tion des clusters à petite échelle

La densité de la littérature sur les districts et clusters a donné lieu à de nombreux efforts de synthèse et mise en forme des différentes théories et études empiriques et no-tamment à des typologies. Ces revues de littérature et typologies offrent une image inté-ressante des principaux questionnements théoriques actuels et constituent également un point de départ essentiel pour l’analyse des circulations de modèles théoriques et empi-riques entre les sphères politiques et empiempi-riques. Nous proposons de nous arrêter sur trois classifications qui proposent des approches complémentaires.

M.Grossettis’inscrit tout à fait dans cette volonté en proposant une redéfinition du concept de système productif local pour mieux penser les processus d’innovation et pour

« analyser diverses formes productives (technopôles, systèmes locaux de sous-traitance, activités rares à marché mondial, etc) » (Grossetti2004, p163). Il souligne notamment la diversité des territoires productifs dont les modes d’organisation et de fonctionnement ressortissent aux deux types dominants que sont les grappes de petites entreprises tra-ditionnelles et les technopôles ou districts technologiques, ainsi que la confusion née de la diversité des angles d’étude mis en œuvre. Ce constat le conduit à mettre en œuvre des critères variés touchant à la fois à la localisation et l’échelle des systèmes locaux, aux modes d’organisation industrielle, à la nature des processus d’innovation et enfin aux formes de coordination et aux structures relationnelles collectives et individuelles. La fi-gure 1.5 présente cette typologie et montre que les critères de localisation et de nature des processus d’innovation semblent être les plus discriminants, ce qui tend à conforter nos questionnements.

Parmi les typologies de districts, la plus reprise est pourtant sans doute celle d’A.

Markusen, qui, dans un article au titre évocateur, met l’accent sur l’ancrage spatial

Figure 1.5 – Une typologie des systèmes productifs locaux (Grossetti 2004, p.174)

des districts dans un contexte de redistribution spatiale des activités de production :

«sticky places in slippery places» (Markusen 1996b). Elle propose une lecture moins systématique que M. Grossetti mais soulève des questions importantes. Elle définit aux côtés du district marshallien ou italien, des districts « rayonnants » dont la structure est organisée autour d’une ou plusieurs grandes entreprises, des districts à ancrage public, dominés par des acteurs économiques et industriels publics (entreprise publique, complexe militaro-industriel. . .) et enfin des plates-formes satellites marqués par la présence de filiales ou établissements d’entreprises multinationales. Outre l’accent mis sur le rôle des grandes entreprises et des institutions publiques, A.Markusenpropose ici une approche qui dépasse l’analyse des institutions locales au profit d’une réflexion sur l’inscription de l’ensemble des acteurs dans des réseaux à plus petite échelle. Son appel dès 1996 à l’identification de « types de districts et de modes de fonctionnement, à l’intérieur comme à l’extérieur, plus élaborés et diversifiés » (ibid., p.310) a largement ouvert la voie à l’élargissement du modèle desclusters.

C’est dans ce même esprit que M.H. Depret et A. Hamdouch ont récemment pro-posé une revue critique de la littérature, qui, bien que limitée aux secteurs de hautes technologies, est une des plus exhaustives et abouties. On se référera notamment avec profit au tableau synthétique qui recense et ordonne une cinquantaine d’études théoriques et empiriques récentes selon leurs orientations et leurs apports (Depret etHamdouch 2009a, p.30). Ils distinguent deux dimensions discriminantes que sont d’une part « le de-gré d’ouverture extra-territoriale » (opposant des logiques centrifuges et centripètes), et d’autre part la nature des relations entre les acteurs au sein du cluster (opposant une approche concurrentielle ou marchande et une approche réseau). Quatre grandes logiques de clusterisation apparaissent le long de ces deux dimensions.

– La première rassemble les travaux pour lesquels les clusters associent une faible ouverture sur d’autres échelles spatiales et des relations internes essentiellement formelles. A l’image dePorter, ces auteurs dépeignent lesclusterscomme des sys-tèmes clos, sans que cela nuise à leur dynamisme puisque l’équilibre entre concur-rence et relations de confiance est à l’origine d’externalités locales de connaissance.

– La seconde catégorie décrit le cluster comme « un système spatialement distribué le long d’une chaine de valeur » et nuance fortement le rôle de la proximité spatiale face au facteur clé qu’est la proximité organisationnelle (y compris à l’échelle locale) et à l’importance de relations et d’interactions fortes à longue distance.

– Le troisième type met l’accent sur les relations coopératives, formelles et informelles, dans le fonctionnement desclusters, en insistant soit sur le réseau comme forme spa-tiale d’organisation soit sur les réseaux sociaux. Il s’agit d’une lecture centripète qui considère lesclusters comme « des réseaux socialement et territorialement ancrés »

(ibid., p.36).

– Le dernier groupe de travaux définit quant à lui les clusters comme des réseaux ouverts sur l’extérieur et polycentriques, opérant à de multiples échelles spatiales.

Cette dernière typologie place comme les précédentes l’inscription spatiale et les jeux d’échelle au cœur de la réflexion et constitue donc autant une revue des travaux récents qu’une critique de la prégnance des logiques d’agglomération et de proximité spatiale dans les travaux sur les liens entreclusters et innovation, appelant à de nouveaux questionne-ments.

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