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5.3 Modèle canonique : le code torique

5.3.3 Propriétés topologiques

Dans cette section, nous passerons en revue les propriétés topologiques du code torique. En premier lieu, nous vérifierons que le code torique possède un fondamental topologiquement ordonné, selon la condition (5.5). Nous montrerons ensuite que les excitations de basse énergie du code torique sont décrites par un modèle anyonique. Finalement, nous verrons que la dégénérescence du code dépend de la topologie de la surface 2D.

5.3.3.1 Indiscernabilité locale des états fondamentaux

Nous allons vérifier que le fondamental du code torique obéit à la condition d’ordre topologique donnée par l’éq. (5.5). Soit Oloc un opérateur local. On veut connaître l’action de l’opérateur local à l’intérieur du fondamental, i.e., on s’intéresse à l’opérateur P OlocP où P est le projecteur sur le fondamental. Pour vérifier la condition TQO, nous allons

– expliciter la structure du projecteur sur l’espace fondamental P – « nettoyer » l’opérateur local en le multipliant par un stabilisateur

– montrer que les opérateurs dont le support est une réunion de courbes ouvertes créent des états excités

Structure du projecteur fondamental L’espace fondamental est l’espace propre commun asso-ciée à la valeur propre +1 de tous les stabilisateurs S ∈ S. Le projecteur sur l’espace fondamental est donc l’intersection des projecteurs sur l’espace propre +1 des stabilisateurs. En fait, il suffit de considérer les projecteurs sur l’espace propre +1 d’une famille génératrice de S, par exemple les opérateurs étoiles et les opérateurs plaquettes. Ainsi, le projecteur P est le produit des projecteurs associés à chacun de ces opérateurs, i.e.,

P =Y

s∈Λ

I+As 2

Y

p∈Λ

I+Bp

2 (5.18)

Or, chacun de ces produits a une structure bien particulières. Le produit P+ = Q

s∈ΛI+As

2 est proportionnel à la somme sur tous les opérateurs de Pauli de type X dont le support est une réunion de boucles ferméesB contractibles sur le réseau réciproque

P+=Y

s∈Λ

I+As 2 = 1

2n/2 X

B⊂Λ

XB. (5.19)

Voyons que c’est le cas sur l’exemple de trois opérateurs étoiles situés sur trois sites adjacents s1,s2 et s3. On a

Y3 i=1

I+Asi =I+As1 +As2 +As3 +As1As2 +As1As3 +As2As3 +As1As2As3 (5.20)

Chaque terme correspond à boucle différente ou à une réunion de boucles (pour As1As3). Par exemple, les termes As1As2, As1As3 etAs1As2As3 sont représentés sur la figure 5.11.

Fi g u r e 5.11Trois exemples d’opérateurs boucles sur 3 sites.

En a), le produitAs1As2 devient un opérateur rectangle sur 6 sites. En b), le produit As1As3 est supporté sur deux boucles disjointes. En c), le produitAs1As2As3 est un opérateur rectangle sur 8 sites.

De même, le produit P ≡Q

p∈Λ I+Bp

2 est proportionnel à la somme de tous les opérateurs de Pauli de type Z dont le support est une réunion de boucles fermées contractibles du réseau direct

P = Y

p∈Λ

I+Bp 2 = 1

2n/2 X

B0⊂Λ

ZB0. (5.21)

En fait, les stabilisateurs sont exactement les opérateurs de la forme XBZB0. Autrement dit, P =X

S∈S

S. (5.22)

Procédure de nettoyage Ainsi, lorsque l’on s’intéresse à P OlocP, on peut « nettoyer » Oloc en le mutlipliant par un stabilisateur S afin d’obtenir un nouvel opérateur Oloc0 =OlocS qui agit de la même façon dans l’espace fondamental puisque P Oloc0 P =P OlocSP =P OlocP. En particulier, on peut éliminer tous les opérateurs de Pauli dont le support est une réunion de boucles fermées, i.e., les stabilisateurs. Ainsi, on peut remplacer tout opérateur Oloc par un opérateur équivalent pour le code de la forme

Oloc= X

Pi∈S

αiPi+ X

Pi∈S/

βiPi → O˜loc = X

i

αi

!

I+ X

Pi∈S/

βiPi (5.23)

et les opérateurs de Pauli locaux qui ne sont pas dans le groupe stabilisateur ont un support géométrique qui est une réunion de courbes ouvertes.

Courbes ouvertes créent des excitations De tels opérateurs peuvent être écrits comme le produit tensoriel d’opérateurs PO agissant chacun sur une courbe ouverte O, i.e., ils sont de la forme

O

O⊂supp(Pi)

γOPO. (5.24)

Un tel opérateur PO anti-commute avec les générateurs g(i) du groupe stabilisateur situés aux extrémités de la courbe ouverte. On a donc, pour tous états fondamentaux |Ωi,|Ω0i

hΩ0|PO|Ωi=hΩ0|POg(i)|Ωi=−hΩ0|g(i)PO|Ωi=−hΩ0|PO|Ωi (5.25) ce qui montre que hΩ0|PO|Ωi= 0. On en déduit que

P POP = 0 (5.26)

et donc que l’action d’un opérateur de Pauli dont le support est une réunion de courbes ouvertes est nul à l’intérieur de l’espace fondamental. Ils ne font apparaître que des états excités.

Preuve de l’indiscernabilité par une observable locale En combinant les résultats (5.23) et (5.26), on obtient que l’action d’un opérateur local à l’intérieur de l’espace code se réduit donc être proportionnel à l’identité

P OlocP = X

i

αi

!

P =c(Oloc)P. (5.27)

5.3.3.2 Modèle d’anyons

Premiers états excités = chaîne d’erreur Après nous être intéressés à la structure des états fondamentaux du code torique et avoir montré que l’espace fondamental est topologiquement ordonné, nous aimerions mieux comprendre la structure des états excités. Un premier pas dans cette compréhension a été de constater que les opérateurs de Pauli dont le support est une réunion de courbes ouvertes ne produisent que des états excités, cf. éq. 5.26. Nous allons maintenant déterminer quels sont les premiers états excités et montrer qu’il s’agit de quasi-particules anyoniques.

Le comportement anyonique fournit l’intuition de l’instabilité thermique, démontrée au chapitre 7, qui apparaît pour les mémoires topologiques 2D.

Le hamiltonien du code torique est particulièrement simple. Il est non-frustré et composé d’une somme d’opérateurs qui commutent deux à deux, dont les valeurs propres sont ±1. On peut ainsi penser à chaque opérateur étoile ou plaquette comme à une contrainte locale. Si elles sont toutes respectés, l’état est dans le fondamental, mais la violation d’une d’entre elle, i.e., être dans l’espace propre −1 d’un opérateur étoile ou plaquette correspond à une énergie additionnelle de

∆E = 2.

Est-il possible d’avoir un état d’énergie∆E? Supposons qu’une seule contrainte soit violée, par exemple un opérateur étoile, i.e. As|φi=−|φi. Dans ce cas, la valeur moyenne du produit des tous les opérateurs étoiles sur|φi est−1, ce qui contredit le fait que ce produit donne l’identité, cf.

éq (5.16)

Par contre, il est possible d’avoir des états d’énergie 2∆E qui sont précisément les premiers états excités. Un exemple d’un tel état est celui obtenu à partir d’un état fondamental |ψi en appliquant une erreur Zi sur un qubit i. Cette erreur anti-commute avec les opérateurs étoiles des sites si adjacents à ce qubit, modifiant leur valeur propre de +1 à −1. En effet, Zi|ψi=ZiAsi|ψi=−AsiZ|ψi. Ainsi, du point de vue de l’énergie deux quasi-particules viennent d’apparaître, chacune associée à une énergie∆E, à partir du vide.

Supposons maintenant qu’on applique une autre erreur Zj sur un qubit j adjacent au qubit i. Cette nouvelle erreur va anti-commuter avec les opérateurs des sites adjacent. Or, un site est adjacent aux deux qubits i et j. L’opérateur étoile de ce site change de signe deux fois et sa contrainte est donc satisfaite. En d’autres termes, seuls les opérateurs aux extrémités de la chaîne ZiZj voient leur contrainte violée. En terme de quasi-particules, on a donc déplacé celle-ci sans payer une énergie additionnelle, ce qui est représenté sur la figure 5.12. On peut ainsi bouger les quasi-particules, ce qui revient à allonger la chaîne d’erreur Z. Une telle erreur est représentée sur

Fi g u r e 5.12Propagations de quasi-particules électrique.

Fi g u r e 5.13 Anyons élémentaires du code torique : erreurs élémentaires de type magnétique (m) et électriques (e).

la figure 5.13.

Il apparaît donc deux types de quasi-particules, l’une associée aux chaines d’erreur Z, que nous appellerons des excitations électriques, l’autre associée aux chaînes d’erreur X, que nous appellerons excitations magnétiques. Notons que ces excitations électriques, associées à des violations d’opérateurs étoiles, vivent sur des sites alors que les excitations magnétiques, associées à des violations d’opérateurs plaquette, vivent sur des plaquettes, i.e, des sites du réseau réciproque.

Il s’agit de quasi-particules qui apparaissent en paires à partir du vide. Une erreur de type Y va faire apparaître une paire d’excitations magnétiques et d’excitations électriques. On peut aussi considérer qu’une excitation magnétique accompagnée d’une excitation électrique correspond à une quasi-particule composite.

Nous montrerons dans l’annexe C quelles sont les statistiques anyoniques de ces quasi-particules. Ce qu’il est important de retenir pour la suite est que ces anyons se propagent sans coût énergétique. De façon remarquable, tous les hamiltoniens locaux gappés dont le fondamental

obéit à la condition (5.5) ont des états excités qui semblent obéir à un modèle anyonique11. La relation entre les deux est encore mal compris, mais notre travail sur la stabilité des mémoires quantiques est un premier pas vers une meilleure compréhension de ce lien.

5.3.3.3 Dégénérescence en fonction de la topologie

La dégénérescence du fondamental du hamiltonien varie selon la topologie de la surface où il est appliqué. Ainsi, pour une sphère, le fondamental est unique car il y a exactement autant de stabilisateurs indépendants que de qubits. Sur un tore, l’espace fondamental est de dimension 4. Plus généralement, sur une variété de genreg, i.e., un tore à g anses, il y aura 2g contraintes globales sur les générateurs. En effet, pour chaque anse, deux boucles non-triviales distinctes apparaissent. Ainsi, la dégénérescence du fondamental sera alors de 22g.

Cette dégénérescence est très intéressante du point de vue du stockage de l’information quantique. En effet, la dégénérescence 22g indique qu’il est possible de définir 2g qubits logiques.

De plus, la condition d’ordre topologique (5.5) montre que toute erreur locale peut être corrigée.

En effet, il s’agit simplement de la condition de Knill-Laflamme [89] pour une erreur locale. Ainsi, il est possible de mesurer les syndromes (les valeurs propres de chaque générateur du groupe stabilisateur) et d’en déduire l’opération de correction appropriée. Toutefois, diagnostiquer l’erreur la plus probable est un problème numérique difficile12 pour lequel plusieurs décodeurs existent.

Ainsi, la correction d’erreur dite active demande beaucoup de ressources. Sur une échelle de temps courte (devant le délai typique d’apparition d’une erreur), il faut mesurer les syndromes, trouver l’erreur la plus probable, appliquer l’opérateur de correction . Il s’agit donc d’une mémoire qui doit être rafraichie en permanence, similaire à une mémoire RAM sur un ordinateur actuel. Or, il serait utile de disposer d’un disque dur quantique, qui encoderait de l’information quantique pour une longue durée, sans demander d’effectuer de la correction d’erreur active. Dans le domaine de l’informatique quantique, on parle alors de mémoire auto-correctrice, et le prochain chapitre s’intéressera aux propriétés désirées pour un tel système.

11. Notons que le caractère anyonique des excitations ne dépend pas de la topologie de la surface sur lequel est défini le hamiltonien. Ainsi, on aurait le même modèle anyonique si on s’était placé sur une sphère ou une variété de genre plus élevée.

12. Pour une excellente introduction aux décodeurs topologiques, rédigée en français, lire le mémoire de maîtrise de mon collègue Guillaume Duclos-Cianci [99].

Mémoires auto-correctrices

Dans ce chapitre, nous discuterons de la notion de mémoire auto-correctrice, l’équivalent quantique d’un disque dur. Nous verrons que deux propriétés sont attendues du hamiltonien d’un tel dispositif : la stabilité du spectre qui résulte de la robustesse à des perturbations et la stabilité thermique qui quantifie la robustesse à l’interaction avec un environnement. Nous verrons que les systèmes topologiques introduits dans le chapitre précédent sont de bons candidats en raison de leur stabilité spectrale. Nous nous interrogerons alors sur leur stabilité thermique. À l’aide d’un modèle simplifié de l’interaction mémoire-environnement, nous formulerons un critère de stabilité thermique, l’existence d’une barrière d’énergie qui grandit avec la taille de la mémoire.

Malheureusement, nous montrerons dans le chapitre suivant que les mémoires topologiques basées sur des systèmes 2D ne présentent pas de telles barrières d’énergie.

Ce chapitre sert donc à mettre en place les notions nécessaires afin de comprendre l’instabilité thermique des mémoires topologiques 2D qui sera discutée dans le prochain chapitre. Notre article, présenté dans le prochain chapitre, prouve que les ingrédients de la stabilité spectrale mènent à une instabilité thermique.

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6.1 Motivation

Une mémoire auto-correctrice serait l’équivalent quantique du disque dur ou de la mémoire flash que l’on retrouve sur nos ordinateurs actuels. Il s’agit d’un système physique encodant de l’information quantique pour une longue période de temps sans nécessiter d’intervention extérieure.

La caractéristique clé par rapport aux codes de correction d’erreur est l’absence d’intervention active afin de le contrôler. Par exemple, pour les codes stabilisateurs, il faut mesurer les syndromes et diagnostiquer les erreurs sur une durée de temps très courte. Au contraire, une mémoire auto-correctrice serait capable de préserver l’information sur une longue durée en raison de l’interaction mémoire-environnement.

Un tel dispositif serait un atout majeur pour le calcul quantique, de la même façon qu’un dispositif de stockage (disque dur ou mémoire flash) est très précieux pour les ordinateurs actuels. En particulier, il permettrait de stocker des états quantiques correspondant à des étapes intermédiaires de calcul ou de stocker un résultat pour pouvoir l’utiliser plus tard. De même, il aurait de profondes conséquences pour la communication quantique et la cryptographie quantique [100]. En effet, la capacité de stocker des messages quantiques ouvre beaucoup de possibilités pour un adversaire quantique [101]. Du point de vue de la science fondamentale, la possibilité qu’un système préserve la cohérence quantique d’une superposition arbitraire d’états macroscopiquement distincts sur une durée arbitrairement longue est une question théorique majeure.