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Opérateurs en ruban et instabilité thermique

7.1.1 Instabilité du code torique

Comme nous l’avons vu en5.3.2.6, le code torique admet des opérateurs logiques qui sont des opérateurs de Pauli supportés sur des boucles non-triviales. Par exemple,Z¯1 est un produit tensoriel d’erreur suivant une boucle du réseau qui fait le tour du tore, cf. Fig. 5.10. Les générateurs logiques X¯1,X¯2,Z¯1 et Z¯2 sont des opérateurs non-locaux qui agissent sur un nombre macroscopique de qubits. Toutefois, ils peuvent être imités par une séquence d’erreurs locales car ils sont des produits tensoriels d’opérateurs à un corps. Nous allons maintenant voir ce phénomène de deux points de vue différents : d’abord en tant que séquence d’erreurs locale puis en terme d’anyons qui se propagent et percolent.

7.1.1.1 Séquence d’erreurs

Une séquence d’erreurs locales peut imiter un opérateur logique en appliquant successivement des erreurs sur un qubit suivant une boucle non-triviale. Par exemple, numérotons les qubits du support de Z¯1 de 1 àL. On remarque alors que Z¯1 =QL

k=1Ek où Ek applique une erreur Z sur le qubit k

Ek(ρ) = ZkρZk (7.1)

Or, tous les états intermédiaires ne sont que des premiers états excités, dont l’énergie est la valeur du gap, ici 2. En effet, seuls les opérateurs étoiles situés aux extrémités de la chaîne qui supporte l’opérateur partielN`

k=1Zk anti-commutent avec cet opérateur. Pour tous les opérateurs étoiles au milieu de la chaîne, il est impossible de distinguer l’opérateur partiel de l’opérateur logique Z¯1. Ainsi, la barrière d’énergie de cette séquence d’erreurs logique est très faible et surtout indépendante de la taille du réseau. De la même façon, il est possible de construire une séquence d’erreurs à partir de n’importe lequel des autres générateurs logiques X¯1,X¯2, ouZ¯2, c’est-à-dire suivant n’importe quelle boucle non-triviale.

Évidemment, l’environnement qui appliquerait successivement des erreurs Z sur des qubits adjacents suivant une boucle non-triviale n’est pas naturel. On parle alors de modèle adversaire.

Toutefois, même pour un modèle plus réaliste où les erreurs apparaissent au hasard sur n’importe

quel qubit, une erreur logique finira par apparaître. Pire, cela se fait alors dans un temps indépendant de la taille du système [109]. Nous allons voir que le plus simple pour comprendre ce phénomène est de penser aux erreurs en terme de création et de propagation d’anyons.

7.1.1.2 Percolation d’excitations thermiques

L’application d’une erreur Z sur un qubit sur un état fondamental |Ωicorrespond à créer une paire d’anyons à partir du vide, ce qui demande une énergie de valeur 2. Or, une fois créés, ces anyons peuvent se propager sans coût en énergie et se retrouver arbitrairement loin l’un de l’autre.

Si leur ligne de vie constitue une boucle non-triviale lorsqu’ils fusionnent pour redonner le vide, ils auront effectué une action non-triviale dans l’espace fondamental. En plus de se déplacer, ces anyons peuvent aussi fusionner avec des anyons de même type provenant d’une autre paire (et il s’agit d’anyons abéliens pour lesquels la fusion est déterministe). Il suffit alors que des anyons percolent suivant une boucle non-triviale afin qu’une erreur logique apparaisse. Cela demande une durée de temps indépendante de la taille du système [109].

7.1.2 Intuition : propagation d’anyons et opérateurs ruban

Pour des systèmes topologiques autres que le code torique, la propagation d’anyons suivant une boucle non-triviale devrait avoir une action non-triviale dans l’espace fondamental. Ainsi, ces modèles devraient aussi être instables thermiquement. Toutefois, il n’est pas évident qu’un hamiltonien CPC topologiquement ordonné, défini à partir d’une famille de projecteurs élémentaires, admette un modèle anyonique pour ses excitations de basse énergie. C’est bien évidemment le cas si le hamiltonien est construit à partir d’un modèle anyonique, comme pour les modèles habituels d’ordre topologique [80,103, 104], mais cela n’est pas évident en général. L’intuition est toutefois qu’il existe bien un modèle anyonique pour tout hamiltonien CPC topologiquement ordonné. Notre article vient d’ailleurs conforter cette impression et peut être vu comme un premier pas vers la démonstration rigoureuse de ce résultat.

Ainsi, afin de formaliser que la barrière d’énergie des hamiltoniens CPC 2D est constante, nous utiliserons l’approche qui consiste à exhiber une séquence d’erreurs logique. Dans le cas du code torique, le raisonnement reposait sur deux ingrédients : l’existence d’un opérateur logique supporté sur une boucle et le fait que cet opérateur soit un produit tensoriel. Plus généralement, nous

parlerons d’opérateur ruban pour un opérateur logique trivial supporté sur une boucle non-triviale avec une largeur indépendante de la taille du système. Nous allons voir dans la prochaine section qu’un tel opérateur logique en ruban existe pour tout code stabilisateur topologique, et plus généralement pour tout hamiltonien CPC topologique.

La première étape afin de montrer l’existence de tels opérateurs logiques en ruban est de montrer qu’il existe un ruban non-corrigible. Il s’agit d’un travail technique que nous avons préféré placer dans l’annexe D car il n’est pas strictement nécessaire afin de comprendre notre article. Afin de replacer notre travail dans le contexte de la littérature, il est toutefois important de rappeler les articles de la littérature permettant d’atteindre ce résultat. Le premier1 résultat général sur l’existence d’opérateurs ruban pour les codes stabilisateurs 2D est du à Bravyi et Terhal [106]. Ils ont montré comment déformer un opérateur logique afin qu’il n’agisse que sur un ruban grâce à un résultat clé, le lemme de de nettoyage (cf. section D.1.1). Cet outil technique a été étendu au cas plus général des codes CPC par Bravyi, Poulin et Terhal [107] pour devenir le lemme de désintrication holographique (cf. section D.2.2). Il utilise crucialement le fait que les projecteurs élémentaires qui définissent le code commutent. Ensuite, Haah et Preskill ont utilisé cet outil afin de prouver l’existence d’opérateurs ruban pour les codes CPC [108].

L’existence de tels opérateur ruban suffit à prouver que la barrière d’énergie est indépendante de la taille du système dans le cas particulier des codes stabilisateurs. En effet, les opérateurs logiques pour ces codes sont des opérateurs de Pauli qui sont des produits tensoriels de transformations unitaires à un corps. Par exemple, pour le code torique, un opérateur logique est Z¯1 =N`

k=1Zk où k indice les qubits le long du tore. Il est représenté sur la Fig. 7.1 a). L’environnement peut donc construire séquentiellement l’opérateur en appliquant un opérateur de type Nm

k=1Zk, i.e, une chaîne ouverte sur m sites, représentée sur la Fig. 7.1 b). Dans ce cas, seuls les opérateurs étoiles situés aux extrémités de la chaîne seront violés, i.e., l’état sera un état propre −1 de ces opérateurs. Cela correspond à une quantité constante d’énergie au-dessus du niveau fondamental.

Ce raisonnement est très général pour tout opérateur logique en ruban qui est de plus un opérateur produit, ce qui est le cas pour tout code stabilisateur.

Pour des codes non stabilisateurs, on ne pense pas qu’il existe toujours un opérateur logique qui soit un opérateur produit. Ainsi, l’application séquentielle d’un opérateur logique n’est pas évidente, tel que remarqué dans [108]. La contribution technique de notre article est d’exhiber une séquence d’erreurs logique qui applique séquentiellement l’opérateur ruban pour tout code CPC.

1. Un résultat similaire a été obtenu indépendamment pas Kay et Colbeck [110].

Fi g u r e 7.1 Application partielle d’un opérateur logique pour un code stabilisateur. Dans un code stabilisateur, les opérateurs logiques agissent sur une ligne et sont des opérateurs de Pauli, en particulier des opérateurs produits. Par exemple, l’opérateur logiqueZ¯1=N`

k=1Zkest représenté en a). Il est possible de construire séquentiellement cet opérateur en appliquant progressivement des opérateursZ selon une ligne, tel que l’opérateur intermédiaire est une chaîne partielle, de la formeNm

k=1Zk avecm < `, comme représenté en b). Dans ce cas, le système possède une énergie qui n’est qu’une constante au-dessus de l’énergie fondamentale puisque seuls les opérateurs étoiles situées aux extrémités de la chaîne sont violés, i.e., l’état du système est un état propre−1de ces opérateurs.