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6.4 Thermalisation et barrière d’énergie

6.4.2 Barrière d’énergie

Si l’environnement amène deux états fondamentaux distincts |Ωi et |Ω0i au même état bruité ρ, il sera impossible de récupérer l’information quantique encodée dans la mémoire. En effet, l’opération de récupération finale ne dépend que de l’état finalρ de la mémoire. Une autre façon de voir les choses est de considérer la séquence d’états intermédiaires résultant du modèle de bruit et de la thermalisation. Si celle-ci fait passer d’un état fondamental |Ωi à un état fondamental différent|Ω0i, alors l’état récupéré sera différent de l’état initialement encodé et une erreur logique sera apparue sur le code. Ainsi, la séquence d’erreurs {Ek}Tk=1 aura réussi à simuler l’opérateur logique Lqui relie ces deux états fondamentaux. Dans ce cas, on parlera d’une séquence d’erreurs logique.

On va donc s’intéresser tout particulièrement à l’énergie maximale des états intermédiaires d’une telle séquence logique, que nous appellerons une barrière d’énergie. On aimerait que pour toute séquence de transformations locales qui font passer la mémoire d’un état fondamental à un état fondamental orthogonal, la barrière d’énergie soit grande,i.e., qu’elle grandisse avec la taille du système. Autrement dit, on aimerait que les bassins d’attraction associés à des états fondamentaux différents soient séparés par une barrière d’énergie.

Fi g u r e 6.4Paysage d’énergie entre deux bassins d’attractions d’états fondamentaux |Ωi et|Ω0i L’axe des ordonnées représente l’énergie alors que celui des abscisses correspond intuitivement à des transformations locales.

6.4.2.1 Paysage d’énergie

Intuitivement, une telle barrière d’énergie qui séparerait les différents états fondamentaux du hamiltonien garantirait la préservation de l’information encodée face à l’action de l’environnement.

Nous allons donc décrire ce qui se passe dans un paysage d’énergie où le marcheur est l’état de la mémoire et l’altitude correspond à l’énergie des états intermédiaires. Cette image est forcément imparfaite, en particulier parce qu’on encode de l’information quantique et donc que le code est un sous-espace vectoriel et non pas un ensemble discret de mots-code. Toutefois, elle a le mérite de donner une intuition (peut-être dangereuse) sur ce qui se passe.

Initialement, la mémoire est préparée dans un état fondamental, et toute transformation locale aura pour effet d’augmenter l’énergie. Ainsi, on se trouve au fond d’une vallée, comme sur la figure 6.4. Il existe d’autres vallées correspondant aux autres états fondamentaux. Le tunnel qui permet de passer d’une vallée à l’autre est un opérateur logique. Or, pour les codes topologiques, ces opérateurs sont non-locaux et il est donc interdit de les emprunter. Une autre façon de voir les choses est que le marcheur est limité à faire de petits pas et l’opérateur logique demanderait des bottes de sept lieux.

La question qui se pose est de savoir s’il est possible de passer d’une vallée à l’autre grâce à une suite de petits pas (transformations locales) et surtout si cette séquence est probable. Une mesure approchée de cette probabilité est de regarder l’état intermédiaire de plus haute énergie.

Fi g u r e 6.5 Séquence d’erreurs logique entre deux états fondamentaux|Ωi et|Ω0i

L’axe des ordonnées représente l’énergie alors que chaque point est un état intermédiaire ρt=TrA[Et. . .E1(Ω⊗ρA)].

6.4.2.2 Définition formelle

Plus précisément, une séquence d’erreurs logique {Ek}Tk=1 prend un état fondamental et après une durée polynomiale dans la taille du système,i.e. T ∈poly(n), l’amener dans un état ρT dont la projection sur l’état fondamental soit différente de l’état initial. L’idée est de modéliser une situation où deux états fondamentaux distincts |Ωi et |Ω0i aboutissent au même état bruité ρ, comme sur la figure 6.5. On va donc s’intéresser à une séquence d’erreurs logique {Ek}Tk=1 qui à partir d’un état fondamental |Ωi aboutit à un état finalρT =TrA[ET . . .E1(Ω⊗ρA)] qui soit (i) proche d’un état fondamental et (ii) dont la projection sur l’espace fondamentalΩ0 ≡PCρTPC soit distincte de l’état initial. Formellement, on a donc

Tr[PCTrA[ET . . .E1(Ω⊗ρA)]]≥1−1 (6.18) Tr[ΩTrA[ET . . .E1(Ω⊗ρA)]]≤2 (6.19) où apparaît un système ancillaire A. Celui-ci sert à modéliser les effets non-Markoviens de l’environnement. En effet, l’erreur Et+1 peut dépendre non-seulement de l’état ρt, mais aussi de l’histoire de l’évolution de la mémoire. Ce point technique sera important pour le résultat démontré dans notre article.

Notons que1 et2 n’ont pas besoin d’être petits. Pour que la séquence d’erreurs logique atteigne un état ρT ≡ TrA[ET . . .E1(Ω⊗ρA)] dont la projection sur l’espace fondamental Ω0 =PCρTPC

soit différente de l’état fondamental initial Ω, il suffit que 1+2 <1 car

(1−1)Tr[ΩΩ0]≤Tr[ΩPCρTPC]≤2 (6.20)

Étant donnée une séquence d’erreurs logiqueE ≡ {Ek}Tk=1 et un état fondamental initial |Ωi, on définit la barrière d’énergie, représentée sur la figure6.5, comme l’énergie maximale atteinte par les états intermédiaires au-dessus de l’énergieE0 du fondamental

(E,Ω) = max

k∈J1;TK

Tr[HTrA[Ek. . .E1(Ω⊗ρA)]]−E0. (6.21)

La barrière d’énergie du hamiltonien H est alors la plus petite barrière d’énergie pour toutes les séquences d’erreurs logiques et tous les états fondamentaux initiaux |Ωi

(H) = min

E,Ω(E,Ω) (6.22)

6.4.2.3 Critère de stabilité

La barrière d’énergie permet de formuler un critère suffisant pour la stabilité thermique, celui d’avoir une barrière d’énergie qui grandit avec la taille du système. En effet, si ∆(H)∼Lα, avec α >0, cela veut dire que toute séquence d’erreurs logique fait apparaître un état intermédiaire de très grand énergie, ce qui est peu probable.

Au contraire, si la barrière d’énergie de la mémoire est une constante, il est possible pour l’environnement de passer d’un fondamental à un autre fondamental orthogonal grâce à une séquence d’erreur locale. Ainsi, une accumulation d’erreur locale peut affecter l’état global de la mémoire, ce qui laisse penser qu’elle est instable.

Des résultats d’instabilité qui montrent que tout code topologique 2D ne présente qu’une barrière d’énergie indépendante de la taille du système ont été obtenus par Bravyi et Terhal [106]

en 2009 pour les codes stabilisateurs. Mon directeur, David Poulin, et moi-même avons étendu ce résultat en 2013 à tous les codes CPC topologiques avec cohérence locale [4]. Tous ces résultats reposent sur l’existence d’opérateurs logiques supportés sur une bande 1D, qualifiés d’opérateurs logiques en ruban. Ces contraintes sur l’existence d’une mémoire auto-correctrice en 2D seront l’objet du chapitre suivant.

Instabilité thermique des mémoires topologiques 2D

Dans ce chapitre, nous verrons que les mémoires topologiques 2D dont on sait prouver que leur spectre est stable présentent une instabilité thermique. Cette instabilité repose sur l’existence d’opérateurs logiques non-triviaux en ruban,i.e. dont le support est une région 1D. Nous montrerons tout d’abord pourquoi l’existence de tels opérateurs est source d’instabilité thermique, en se basant sur l’exemple du code torique. Comme démontré en annexeD, ces opérateurs ruban existent non seulement pour les codes stabilisateurs, comme démontré par Bravyi et Terhal [106], mais aussi pour tout code à projecteurs commutatifs (CPC) [107,108]. Ceci nous amènera à notre contribution majeure à ce domaine, l’article

Local topological order inhibits thermal stability in 2D Olivier Landon-Cardinal et David Poulin.

Physical Review Letters,110, 090502 (2013)

qui montre l’existence d’une séquence d’erreurs logique dont la barrière d’énergie est indépendante de la taille du système pour tout hamiltonien CPC topologiquement ordonné qui respecte la condition de cohérence locale. Ainsi, pour tous les modèle topologiques 2D dont on sait prouver la stabilité du spectre, nous montrons qu’ils ne sont pas protégés par une barrière d’énergie grandissant avec la taille du système.

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