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5.2 Ordre topologique

5.2.1 Exemple introductif : liquide de spin

Afin de fixer graphiquement les idées, nous allons nous intéresser à un exemple de modèle topologique, celui des liquides de spin. Il a l’avantage de donner une intuition graphique de l’ordre topologique. Plus précisément, nous nous intéresserons aux modèles de dimères [84]. Ces modèles sont utiles pour décrire la dynamique de dimères présents dans les phases antiferromagnétiques désordonnées de spins-1/2. Deux phases génériques peuvent apparaître : un liquide de spin qui ne brise aucune symétrie et un cristal de dimères. Nous allons nous intéresser au liquide de spin, qui

réseau du cristal. Dans ce sens, l’eau est plus symétrique que la glace.

2. Pour une discussion historique, voir [82].

3. Historiquement, le terme topologique provient du fait que les modèles effectifs des hamiltoniens dont les fondamentaux présentent de l’ordre topologique sont des théories de champ quantique topologiques.

Fi g u r e 5.1État VBS avec `=√

5sur un réseauL= 6 avec conditions périodiques.

exhibe de l’ordre topologique, en nous basant essentiellement sur l’article [85] et en nous inspirant de [86].

5.2.1.1 États à liaisons de valence

Un état à liaison de valence (valence bond solid ou VBS) est un état où chaque électron d’un réseau appartient à une liaison de valence, i.e., appartient à une paire d’électrons dans un état singulet |ψi. Généralement, on restreint la portée des liaisons de valence en imposant une portée maximale `. Un tel état est représenté graphiquement par un réseau de points où chaque liaison de valence est représentée par une arête (représentées en bleu sur la figure 5.1). L’ensemble des états à liaison de valence ne constituent ni une famille linéairement indépendante ni une famille orthogonale. Toutefois, cette base surcomplète est un outil intuitif pour décomposer les états. Plutôt que de considérer un état VBS, on peut considérer une superposition d’entre eux. Si la superposition ne favorise aucun des états VBS, i.e., si toutes les amplitudes sont les mêmes, on obtient un état RVB, proposé en 1973 par Anderson [87] comme un candidat comme état fondamental d’un liquide de spin.

5.2.1.2 Invariants topologiques

En raison des contraintes géométriques, c.-à-d. le fait que les liaisons connectent deux sites et que chaque site appartient à exactement une liaison, les états RVB présentent des propriétés topologiques qui ne peuvent pas être modifiées par une opération locale. Ces propriétés peuvent être décrites par un invariant topologique appelé parité d’intervalle [88]. Considérons une réseau L×L avec conditions aux frontières périodiques, autrement dit untore. Pour simplifier, supposons que

L soit pair. Soit un état VBS à courte portée sur ce réseau, par exemple celui de la figure 5.2.

Traçons une ligne verticale entre la première colonne et la seconde colonne de points. Cette ligne

Fi g u r e 5.2Calcul de la parité d’intervalle d’un état VBS.

Pour chaque ligne verticale, le nombre de liens coupés est pair et pour chaque ligne horizontale, le nombre de liens coupés est impair.

coupe six liaisons de valence. On peut alors recommencer cette procédure en traçant une ligne verticale ailleurs dans le réseau. On remarque que le nombre de liaisons coupées sera toujours pair. Le même raisonnement peut être appliqué avec des lignes horizontales et on constate que le nombre de liaisons coupées est toujours impair. On dira alors que la parité d’intervalle est paire verticalement et impaire horizontalement.

Ces corrélations sont déjà remarquables, mais elles sont de plus invariantes si on effectue un changement local dans la configuration des liaisons. Un tel changement local, représenté sur la figure 5.3, correspond à deux sites proches qui échangent leur extrémité d’une liaison de valence. Comme montré sur la figure 5.3, la parité d’intervalle est conservée. Plus généralement, tout changement local préserve la parité d’intervalle : il s’agit d’un invariant topologique.

Afin d’obtenir une intuition de ce résultat, rappelons-nous qu’un réseau carré avec conditions périodiques correspond à un tore. Les courbes fermées non-triviales sur un tore sont celles qui font le tour d’un des deux axes du tore : ce sont les seules qui ne peuvent pas être déformées jusqu’à devenir un point. Or, on peut remarquer que sur la figure 5.3, que la courbe obtenue par l’union des anciennes liaisons et des nouvelles liaisons est une courbe fermée triviale. Généralement, toute

Fi g u r e 5.3Invariance de la parité d’intervalle d’un état VBS sous changement local.

Les deux nouvelles liaisons (en rouge) sont obtenus à partir de deux anciennes liaisons (en pointillé) suite à une transformation locale. Considérons la droite horizontale qui coupent les deux nouvelles liaisons. Son nombre de liaisons coupées, inscrit dans le carré rouge, est passé de 1 à 3, cf. Fig.5.2. Il est donc demeuré impair et la parité d’intervalle est inchangée.

modification locale correspond à une courbe triviale et ne change pas la parité d’intervalle. Au contraire, un grand nombre de changements locaux correspondant à une courbe fermée non-triviale peut changer la parité d’intervalle, comme représenté sur la figure 5.4. Or, une telle transformations demandent un nombre macroscopique de changements locaux.

On définira une classe topologique comme l’ensemble des états VBS pouvant être obtenus grâce à un petit nombre de changements locaux, petit devant la dimension du tore. Or, nous venons de voir que la parité d’intervalle caractérise les différentes classes topologiques. Il existe donc quatre classes topologiquement distinctes représentées sur la figure 5.5, chacune caractérisée par la parité des liaisons dans les intervalle horizontaux et la parité des liaisons dans les intervalles verticaux. Un état RVB particulièrement intéressant est la superposition équi-amplitude de tous les états VBS appartenant à la même classe topologique.

5.2.1.3 Transition de phase et paramètre d’ordre

Il est possible d’écrire un hamiltonien dont l’espace fondamental est généré par les états RVB correspondant à chacun des secteur topologiques [84]. Ainsi, sur un géométrie torique, l’espace

Fi g u r e 5.4 Changement de la parité d’intervalle d’un état VBS par un nombre macroscopique de changements locaux. La courbe fermée obtenue par union des anciennes liaisons (pointillées) et des nouvelles liaisons (pleines) fait le tour du tore et est donc non-triviale.

La parité d’intervalle verticale est passée de paire à impaire, cf. Fig.5.2.

fondamental est engendré par les quatre états correspondants à chacun des secteurs topologiques.

Cet espace fondamental sera topologiquement ordonné, ce que nous allons définir rigoureusement dans la section suivante. En particulier, cet espace fondamental est prometteur afin d’encoder de l’information quantique.

Fi g u r e 5.5 États VBS avec`=√

5sur un réseauL= 6. Chacun appartient à un secteur topologique différent. La classe topologique peut être déterminée par les parité d’intervalle (o=impair, e=pair) verticale et horizontale, appellée parité d’intervalle. Figure tirée de [85].