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Quand nous donnons un seul nom à plusieurs choses, parce que leurs définitions sont apparentées, en partie les mêmes et en partie différentes, nous avons dit que le nom appartient à chacune des choses analogues, certes, mais plus à la première qu’aux autres. Mais comment ordonner les choses analogues?

Est premier ce dont la définition se retrouve en tous: par exemple, 1 י instrument médical est celui dont le médecin se sert, mais la définition de l’instrument ne se retrouve pas dans celle du médecin.98

Ainsi, quand nous donnons un seul nom à plusieurs choses dont les définitions viennent les unes des autres, le nom appartient le plus proprement à la chose dont la définition est placée dans toutes les autres définitions. La première définition du nom, en effet, est celle de laquelle viennent toutes les autres, parce que toutes les autres sont faites à partir d’elle.

Il faut dire que dans tous les noms qui sont dits analogiquement de plusieurs choses, il est nécessaire que tous soient dits par rapport à une chose unique; et à cause de cela, il faut que cette chose unique soit posée dans la définition de toutes les choses. Et parce que “la notion que signifie le nom, c’est la définition”, comme il est dit au quatrième livre des Métaphysiques, il est nécessaire que ce nom soit dit antérieurement de ce qui est posé dans la définition des autres choses, et postérieurement des autres choses, selon l’ordre dans lequel elles s’approchent plus ou moins de cette première chose; comme sain qui est dit de l’animal, tombe dans la définition du sain qui est dit de la médecine, laquelle est dite saine en tant qu’elle cause la santé dans l’animal; et dans la définition du sain qui est dit de l’urine, laquelle est dite saine en tant qu’elle est un signe de la santé de l’animal.99

98 ARISTOTE, Éthique à Eudème, traduction Vianney DÉCARIE, Librairie philosophique J. Vrin, Paris, et Les Presses de l’Université de Montréal, Montréal, 1991, livre VII, chapitre II, 1236a20.

99 SAINT Thomas D’Aquin, Summa theologiae, op. eit., tomus I, pars I, questio XIII, articulus VI,

corpus, 82324-41: “Dicendum quod in omnibus nominibus quae de pluribus analogice dicuntur, necesse est quod omnia dicantur per respectum ad unum; et ideo illud unum oportet quod ponatur in definitione omnium. Et quia “ratio quam significat nomen, est definitio”, ut dicitur in IV Metaph., necesse est quod illud nomen per prius dicatur de eo quod ponitur in definitione aliorum, et per posterius de aliis, secundum ordinem quo appropinquant ad illud primum vel magis vel minus; sicut sanum quod dicitur de animali, cadit in definitione sani quod dicitur de medicina, quae dicitur sana inquantum causai sanitatem in animali; et in definitione sani quod dicitur de urina, quae dicitur sana inquantum est signum sanitatis animalis.”

Par exemple, quand nous disons du soleil qu’il éclaire la terre, et d’un professeur qu’il éclaire un étudiant, nous avons deux choses auxquelles nous donnons le même nom

éclairer, et dont les définitions viennent l’une de l’autre. La définition de éclairer, en effet, quand nous disons du soleil qu’il éclaire la terre, est faire connaître les choses visibles. Et la définition de éclairer, quand nous disons d’un professeur qu’il éclaire un étudiant, est ce qui est à l’intelligence dans le même rapport que faire connaître les choses visibles est am yeux. Ainsi, la définition de éclairer, quand nous disons du soleil qu’il éclaire la terre, est placée dans la définition de éclairer, quand nous disons d’un professeur qu’il éclaire un étudiant. Et le nom éclairer appartient donc plus proprement au soleil qu’à un professeur.

[...] à quoi dirait-on que s’oppose “proprie” [proprement], dans l’expression “proprie loquendo” [à proprement parler]? À première vue, on pourrait dire que cela s’oppose à

improprie [improprement]. On sait qu’à propos du sens ou de la signification des mots, on parle de sens propre et de sens impropre. Le sens impropre sera quelquefois appelé le sens métaphorique. [...] Ainsi donc, propre s’oppose à impropre. Mais propre à son tour peut se subdiviser. Bien sûr si le mot est univoque, il n’y a alors pas de problème, ce mot n’aura qu’un sens propre. Mais dans le cas du mot analogue on retrouve plusieurs sens propres en tant qu’opposés à impropre. Comment alors signifier le “per prius et posterius” [antérieurement et postérieurement] ? Dans le cas du “per prius” [antérieurement], parce qu’il s’agit de la définition complète, parfaite, propre, on dira “proprie loquendo” [à proprement parler], “Proprie” [proprement] veut dire alors “ratio propria” [définition propre].100

Par exemple, quand nous disons d’une boîte en carton qu’elle est une boîte, d’une boîte aux lettres qu’elle est une boîte, et d’une boîte vocale qu’elle est une boîte, nous avons trois choses auxquelles nous donnons le même nom boîte, et dont les définitions viennent les unes des autres. La définition de boîte, en effet, quand nous disons d’une boîte en carton qu’elle est une boîte, est tel contenant rigide. Celle de boîte, quand nous disons d’une boîte aux lettres qu’elle est une boîte, est tel contenant rigide pour recevoir le courrier. Celle de boîte, quand nous disons d’une boîte vocale qu’elle est une boîte, est tel contenant auditif pour recevoir le courrier sonore. Ainsi, la définition de boîte, quand nous disons d’une boîte vocale qu’elle est une boîte, est faite à partir de celle de boîte, quand nous disons d’une boîte aux lettres qu’elle est une boîte. Le nom boîte appartient donc plus proprement à une boîte aux lettres qu’à une boîte vocale. Et de même, la définition de boîte,

quand nous disons d’une boîte aux lettres qu’elle est une boîte, est faite à partir de celle de

boîte, quand nous disons d’une boîte en carton qu’elle est une boîte. Le nom boîte

appartient donc encore plus proprement à une boîte en carton qu’à une boîte aux lettres ou à une boîte vocale.

Nous pouvons donc ordonner les choses analogues à partir de leurs définitions, créer “une ordonnance des homonymes selon leur proximité ou leur éloignement conceptuel par rapport à la nature unique à laquelle ils se rapportent tous.”100 101 La chose dont la définition est placée dans celle des autres, en effet, vient avant les autres, et le nom lui appartient plus proprement qu’aux autres.

chose dite ou nommée le plus proprement > moins le moins (métaphori- proprement > proprement > quement)

Dite ou nommée premièrement, avant. Dite ou nommée absolument. A la définition de laquelle se rapportent les définitions de toutes les autres choses.

Dont la définition est dans

les définitions de toutes les autres choses.

Dite ou nommée deuxièmement, après. Dite ou nommée relativement. Dont la définition se rapporte à la définition de la première chose.

Dans la définition de laquelle est la définition de la première chose.

100 DIONNE, Maurice, Le problème de l’analogie, op. cit., page 40.

Deuxième partie

Dans la première partie de cette étude, nous avons regardé le mot analogue lui-même, ses propriétés. Dans la deuxième, nous regarderons les manières dont le mot analogue est divisé.

Nous avons dit qu’il y avait plusieurs manières selon lesquelles nous pouvons donner un même nom à plusieurs choses dont les définitions sont en partie les mêmes et en partie différentes. Mais quelles sont ces manières? Combien y en a-t-il? Thomas d’Aquin peut-il nous aider à comprendre de quelles manières nous pouvons diviser le mot analogue?

[...] nous voulons savoir comment S. Thomas concevait lui-même la division de l’analogie; seuls nous intéressent donc les textes où cette division est ébauchée, - ébauchée, car il ne nous faudra jamais perdre de vue que S. Thomas n’a pas composé un traité “De Nominum Analogia” [sur l’analogie des noms].102