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La première définition du nom et la première chose du nom

5.2 Ajouter et enlever une partie de la définition: exemples

6.1.1 La première définition du nom et la première chose du nom

Les choses analogues, avons-nous dit, sont des choses auxquelles nous donnons le même nom parce que leurs définitions sont apparentées, en partie les mêmes et en partie différentes. Mais n’y a-t-il pas un ordre dans les choses analogues? N’y a-t-il pas une première chose à laquelle nous donnons le nom avant de le donner à une autre? Certainement.

[...] l’analogie comportant essentiellement ordre, gradation, exige de toute nécessité un principe de cet ordre, un premier terme de cette gradation, et donc, il faut maintenir que toute analogie, quelle qu’elle soit, requiert un analogué principal auquel se rattachent tous les autres.86

En effet, certaines choses analogues viennent avant certaines autres. Et pourquoi? Parce que les définitions de certaines choses analogues viennent avant les définitions de certaines autres. Mais n’y a-t-il pas plusieurs manières d’ordonner les définitions des choses analogues? Oui, il y a deux manières selon lesquelles la définition d’une chose analogue peut venir avant celle d’une autre.

Or, il faut savoir que ramener les autres manières à une seule première peut être fait de

deux manières. D’une manière, selon l’ordre des choses. D’une autre manière, selon

l’ordre qui est remarqué quant à l’imposition du nom. Les noms, en effet, sont imposés par nous selon ce que nous, nous comprenons, parce que les noms sont des signes des concepts. Or, nous comprenons quelquefois les choses antérieures à partir des choses postérieures. D’où quelque chose obtient antérieurement un nom chez nous, auquel la chose du nom convient postérieurement.87

Ainsi, il y a deux ordres selon lesquels nous donnons un seul nom à plusieurs choses, à savoir un ordre selon la définition du nom, et un autre selon la chose du nom. Et l’ordre

86 PENIDO, Maurillio Teixeira-Leite, Le rôle de l’analogie en théologie dogmatique, op. cit., page 46. 87 Saint Thomas D’Aquin, In duodecim libros Metaphysicorum Aristotelis expositio, op. cit., liber V,

lectio V, #824: “Sciendum est autem, quod reductio aliorum modorum ad unum primum, fieri potest

dupliciter. Uno modo secundum ordinem rerum. Alio modo secundum ordinem, qui attenditur quantum ad

nominis impositionem. Nomina enim imponuntur a nobis secundum quod nos intelligimus, quia nomina sunt intellectuum signa. Intelligimus autem quandoque priora ex posterioribus. Unde aliquid per prius apud nos sortitur nomen, cui res nominis per posterius convenit.”

selon la chose du nom n’est pas toujours celui selon la définition du nom. De telle sorte que nous pouvons donner un nom à une première chose avant de le donner à une deuxième, selon l’ordre de la définition du nom, mais nous pouvons le donner à la deuxième avant de le donner à la première, selon l’ordre de la chose du nom.

Un point cependant auquel il faut faire bien attention, c’est que le “per prius” [antérieurement], dans l’analogie, peut s’entendre de deux façons: ou bien quant à nous, “secundum rationem nominis” [selon la définition du nom], ou bien “quantum ad rem nominis” [quant à la chose du nom]. Si on nous demandait par exemple si les noms qui sont communs à Dieu et à la créature, comme science et sagesse, se vérifient d’abord de Dieu ou de nous? Si nous référons à la “ratio nominis” [définition du nom], ils se vérifient d’abord de nous. Notre science comporte discours, en plus de comporter connaissance distincte de la cause propre, dans le cas de la démonstration “propter quid”. Si par ailleurs on fait la comparaison, on découvre que ce que l’homme connaît, la substance séparée le connaît encore mieux et Dieu encore infiniment mieux. Mais si on essaie de décrire ce qui se retrouve en Dieu, il faudra laisser tomber le discours, etc. Cependant, “quantum ad rem nominis” [quant à la chose du nom], science se dit de Dieu d’abord, même si “secundum rationem nominis” [selon la définition du nom], à savoir selon l’imposition, science se dit d’abord “quoad nos” [quant à nous].88

Par exemple, quand nous disons d’un fruit qu’il est sucré, et du sucre qu’il est sucré,

nous donnons à du sucre le même nom sucré qu’à un finit, parce que la définition de sucré,

quand nous disons du sucre qu’il est sucré, est faite à partir de la définition de sucré, quand nous disons d’un finit qu’il est sucré. Quand nous disons d’un finit qu’il est sucré, en effet, la définition de sucré est de telle saveur douce. Et quand nous disons du sucre qu’il est

sucré, la définition de sucré est la cause de telle saveur douce. Or, nous donnons le nom

sucré à un fruit avant de le donner à du sucre, selon l’ordre de la définition du nom, parce que nous connaissons telle saveur douce avant de connaître la cause de telle saveur douce. Mais selon l’ordre de la chose du nom, nous donnons cependant le nom sucré à du sucre avant de le donner à un fruit, parce que la cause de telle saveur douce vient avant telle saveur douce.89

L’ordre selon la définition du nom n’est donc pas toujours l’ordre selon la chose du

88 DIONNE, Maurice, Le problème de l’analogie, op. cit., page 24.

nom, parce que nous pouvons donner un nom à une première chose avant de le donner à une deuxième, selon l’ordre de la définition du nom, et le donner à la deuxième avant de le donner à la première, selon l’ordre de la chose du nom. Mais pourquoi donc?

[...] le nom d’une chose nommée par nous peut être reçu de deux manières, parce qu’au bien il exprime ou signifie le concept de !’intelligence, parce que les sons de voix sont des marques ou des signes des passions ou des concepts qui sont dans l’âme, et de cette manière le nom est plus premièrement dans les créatures que dans Dieu. Ou bien en tant qu’il manifeste l’essence de la chose nommée à l’extérieur, et de cette manière il est plus premièrement dans Dieu.90

En effet, quand nous ordonnons les choses analogues selon la définition du nom, nous regardons plutôt le nom comme un signe de la définition. Mais quand nous ordonnons les choses analogues selon la chose du nom, nous regardons plutôt le nom comme un signe de la chose.