• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 3 : L’INTENSITÉ VARIABLE DE LA COLLABORATION ENTRE

1.1. Proposition d’une typologie des dispositifs de coordination

Gérer une relation de sous-traitance consiste à limiter les risques de défaillance qui lui sont associés. Ces risques sont multiples, mais notre intérêt se porte sur ceux qui mobilisent le plus de ressources, c’est-à-dire, pour reprendre les termes de Williamson (1985), les risques de défaillances intentionnelles qui résultent de l’adoption d'un comportement opportuniste du sous-traitant. Les défaillances concernent essentiellement les délais, la qualité ou l’accaparement de la quasi-rente. De nombreuses études mettent en avant le fait que les relations partenariales génèrent une quasi-rente (Aoki, 1986, 1988 ; Hill, 1995 ; Dyer, 1997 ; Sako et Helper, 1998). Or, par définition, le mérite de cette quasi-rente n'est attribuable à aucun co-contractant individuellement. Grâce à la mise en œuvre d'un type spécifique de coordination, chacun des partenaires voit la productivité de ses ressources augmenter sans qu'il soit possible d'imputer ce surplus de productivité à l'une des parties. Comme il n'existe pas de critère " objectif " permettant de partager cette quasi-rente, chaque partie tente naturellement de se l'approprier, d'où le risque de hold-up (Goldberg, 1976 ; Alchian et Woodward, 1988)

Des dispositifs de coordination sont mis en œuvre dans le but de limiter ces risques liés à la sous-traitance. Ces dispositifs de coordination sont complémentaires les uns des autres. Nous proposons de classer ces dispositifs de coordination par référence à deux dimensions : leur mode d’action (l’incitation ou la coercition) et la nature du système auquel ils appartiennent (juridique, économique, social ou organisationnel).

1.1.1. Les différents modes d’actions des dispositifs de coordination

Les théories des incitations, de l’agence, des coûts de transaction ou des conventions mettent en avant l’existence de mécanismes complexes d’interaction qui sont mis en œuvre pour limiter les risques de défaillance qui ont soit un pouvoir coercitif (surveillance, punition), soit un pouvoir incitatif (récompense)50. Nous parlerons respectivement de dispositifs coercitifs ou de défiance et de dispositifs incitatifs. Ces dispositifs de coordination correspondent à deux modes de coordination distincts : respectivement, soit la coordination est basée sur l’autoritarisme, le supérieur opère par une contrainte et une coercition directe et matérielle des conduites, il fait peser une menace de sanction (le grec classique désignait cet ordre arrangé ou disposé par le terme de taxis [Hayek, 1980]) ; soit la coordination est basée sur l’incitation et la négociation, le supérieur opère par une incitation à agir, il laisse au dominé une certaine marge de manœuvre, autrement dit ce dernier a la possibilité de choisir un comportement parmi plusieurs alternatives, néanmoins le supérieur influence le dominé en faisant une promesse de gain s’il adopte un comportement qui va dans l’intérêt du supérieur (le grec classique désignait cet ordre issu de la pratique par le terme de Kosmos [Hayek, 1980]).

Mac Gregor (1960) pense que le mode de la coordination choisi (incitatif ou coercitif) résulte directement des suppositions implicites sur la nature humaine et le comportement des hommes. Un management autoritaire suppose que l’individu moyen éprouve une aversion innée pour le travail et qu'il fait tout pour l’éviter. A cause de cette aversion, il doit être contraint, contrôlé, dirigé, menacé de sanction si l’on veut qu’il fournisse les efforts nécessaires à la réalisation des objectifs organisationnels. L’individu moyen préfère être dirigé, évite d’avoir des responsabilités, a peu d’ambition et recherche la sécurité avant tout.

A l’opposé, le management participatif est fondé sur l’hypothèse que pour l’individu moyen, l’effort au travail est aussi naturel que le jeu ou le repos. L’individu moyen peut donc s’auto-diriger et s’auto-contrôler ; l’engagement personnel pour atteindre les objectifs de son travail est en fait le résultat d’une recherche de satisfaction de besoins sociaux, de satisfaction de l'ego et du besoin de réalisation de soi. L'individu moyen apprend, dans les conditions voulues, non seulement à accepter mais à rechercher des responsabilités. La capacité d’exercer son imagination, son ingéniosité et sa créativité au service d’une organisation est largement répandue parmi les hommes.

50

Nous considérons ces deux types de management et de supposition sur la nature humaine comme des idéaux-types au sens de Weber (1922), qu’on ne retrouve pas tels quels dans la réalité mais combinés de différentes manières parce que la nature humaine est complexe et possède des caractéristiques en contradiction les unes avec les autres. Ainsi, nous abordons la gestion des relations de sous-traitance comme une combinaison des dispositifs coercitifs et des dispositifs incitatifs afin de limiter au maximum les risques liés à la transaction. Dans la mise en place des principes organisateurs de la relation, tout l’enjeu est de trouver le juste équilibre entre autoritarisme et négociation.

1.1.2. Les différents systèmes d’appartenance des dispositifs de coordination

Pour limiter les risques que le sous-traitant adopte un comportement opportuniste, les donneurs d'ordres recourent à divers dispositifs de coordination qui sont des règles ou des normes qui encadrent et régulent, de manière objective ou subjective, le comportement du sous-traitant.

On distingue quatre types de systèmes, d’espaces institutionnalisés, auxquels peut appartenir un dispositif de coordination : le système juridique, le système économique, le système organisationnel et le système social.

Le système juridique regroupe l’ensemble des normes et des règles juridiques (coercitives ou incitatives) dont le non respect implique une action devant les tribunaux. Les dispositifs juridiques sont donc les dispositifs qui impliquent une formalisation des engagements de chacun des partenaires.

Le système économique regroupe l’ensemble des normes et des règles établies de manière informelle qui régulent la transaction économique et dont le non-respect implique une sanction pécuniaire mise en œuvre par l’autre partie -- on utilisera le terme de sanction individuelle -- ou par l’ensemble de la profession -- on utilisera le terme de sanction collective.

Le système organisationnel regroupe l’ensemble des normes et des règles propres à l’organisation constituée par l’association du donneur d'ordres avec son sous-traitant, et dont le non-respect implique une baisse des responsabilités et une privation de la participation à la prise de décisions concernant les objectifs de l’organisation.

Le système social regroupe l’ensemble des normes propres soit à la relation affective que nouent le donneur d'ordres et son sous-traitant, soit au groupe social auquel ils appartiennent. Le non respect de ces normes inter-personnelles implique une exclusion de la relation intime et éventuellement du groupe social. Si la relation d'affaires continue, elle sera

distante, plus aucun privilège ne sera accordé, les liens interpersonnels seront froids (cf. la description des relations arm’s length par B. Uzzi, 1997).

La mobilisation des dispositifs juridiques et économiques suppose l’individu mû par le gain pécuniaire et guidé par un calcul coût-avantage. Les dispositifs organisationnels et sociaux font référence aux logiques non économiques qui guident les acteurs. La mobilisation d’un dispositif organisationnel suppose l’individu mû par des intérêts non pécuniaires à appartenir à une organisation constituée en vue d’atteindre un but prédéfini. Ces intérêts peuvent être la participation à la prise de décision, le travail en équipe, l’initiative, la responsabilité. La mobilisation d’un dispositif social suppose l’individu mû par l’intérêt à nouer des liens affectifs avec autrui.

1.1.3. Présentation de notre typologie des dispositifs de coordination

De manière synthétique, nous considérons que les relations de sous-traitance s’inscrivent dans un cadre coercitif de contraintes économique (menace de pauvreté), organisationnelle (menace de rétrogradation), juridique (menace de sanction juridique) et sociale (menace d’exclusion sociale) et sont régies par des incitations juridiques (promesses formelles de gains monétaires), économiques (promesses informelles de gains monétaires), organisationnelles (promesse de participation à la prise de décision) et sociales (bien être social).

Tableau 4.1. : Typologie des dispositifs de coordination

Système

Mode d’action

Juridique Economique Organisationne l Social Incitation Promesse formelle de gain monétaire Promesse de gain monétaire Promesse de participation à la prise de décision Promesse de gain de bien- être social Coercition Menace de sanction juridique Menace de sanction pécuniaire Menace d’exclusion du processus décisionnel Menace d’exclusion du groupe social

Nous adoptons une approche " dimensionnaliste " du management des relations de sous-traitance, c’est-à-dire que nous considérons que les différents éléments qui composent le management, les dispositifs de coordination, sont autant de dimensions caractérisant le management de la relation de sous-traitance. Cet outil de classement des différents dispositifs

de coordination s’intègre dans notre démarche de constitution d’un modèle intégrateur du management des relations de sous-traitance, établissant une interdépendance entre ses composantes. A l’instar de ce que Brulhart et Favoreu (2003) appellent le courant " intégratif " ou " intégrateur ", nous considérons que les mécanismes formels et les dispositifs sociaux de coordination interagissent et sont complémentaires. Notre objectif n’est pas d’instaurer une hiérarchie dans l’efficacité de ces différents dispositifs. Nous cherchons à décrire et à expliquer comment se fait la régulation dans les relations de sous-traitance. Notre travail ne s’inscrit donc pas dans le courant des théories relationnelles qui soulignent l’importance de la socialisation dans les relations coopératives (Granovetter, 1985 ; Ring et Van de Ven, 1992) ou dans celui des théories contractuelles qui insistent sur l’importance des dispositifs formels, des règles et des procédures standardisées dans la construction d’engagements basés sur la réciprocité des rapports (Joly et Mangematin, 1995). Le fait qu’il existe ou n’existe pas une hiérarchie dans cet ensemble de dispositifs, n’est pas l’objet de notre travail. Une forme de gouvernance (le réseau, le marché et la hiérarchie) utilise la plupart du temps une combinaison d’outils de coordination enchevêtrés (Bradach et Eccles, 1989). L’objectif de notre analyse empirique est d’expliquer comment cette combinaison s’opère dans la réalité des relations de sous-traitance.

1.2. La nécessaire complémentarité entre les différents dispositifs de