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CHAPITRE 3 : L’INTENSITÉ VARIABLE DE LA COLLABORATION ENTRE

3.2. Facteurs déterminants de l’intensité du pouvoir

Dans les travaux portant sur le pouvoir, on peut distinguer deux types de pouvoir selon le caractère exogène ou endogène (à la relation dyadique) des mécanismes de production. Respectivement, soit le pouvoir existe dans les structures préexistantes à l’espace d’action, on

parlera de pouvoir structurel, à l’instar de Fiol et al. 47 (2001) ou Lepers48 (2003, p. 18) ; soit il naît de décisions prises par les parties dans l’espace d’action, on parlera de pouvoir

relationnel49.

3.2.1. Facteurs exogènes déterminants de l’intensité du pouvoir

Le pouvoir étant directement lié au degré de dépendance unilatérale, nous faisons référence aux analyses des facteurs déterminants de la dépendance pour présenter ceux de l’intensité du pouvoir.

Dans la littérature, deux facteurs principaux de la dépendance apparaissent. (B) est dépendant de (A), d’une part si (B) réalise avec (A) une part de son chiffre d'affaires importante, autour de 30% selon Baudry (1995), ou d’autre part si (B) est confronté à des coûts de transfert élevé s’il veut changer de client. Plus (A) contribue aux ventes et profits de (B) ou plus (B) doit supporter des coûts importants en cas de réutilisation de ses capacités productives avec d’autres partenaires, et plus (B) est dépendant de (A).

Un pouvoir net ayant son origine dans l’asymétrie des rapports de dépendance (Pfeffer et Salancik, 1978), on peut dire qu’un acteur (A) détient un pouvoir structurel sur (B), dès lors que (A) dispose de plus nombreuses disponibilités d’alternatives (Emerson, 1962) parce que les coûts de transfert auquel il se voit confronté sont plus faibles que ceux de (B) (Porter, 1982 ; Cadotte et Stern, 1979) ; ou dés lors que (B) réalise une part significative de son chiffre d'affaires avec (A) (Baudry, 1995 ; Stern et El Ansary, 1992 ; Porter, 1982).

Brousseau (1993), propose de mesurer le pouvoir d’un acteur (A) vis-à-vis de (B), à partir des écarts existants entre la spécificité des actifs détenus par ces acteurs. (A) détient un pouvoir sur (B) dès lors que les actifs qu’il détient sont plus spécifiques que ceux détenus par (B). Cette approche du pouvoir nous paraît simplificatrice, car la détention d’actifs spécifiques implique parfois une impossibilité d’utiliser ces actifs avec d’autres entreprises (particulièrement dans un secteur en déclin).

En effet, il se peut qu’un sous-traitant (A) devienne totalement dépendant d’un donneur d'ordres (B) parce qu’il est le seul à distribuer le type de produits qu’il fabrique pour

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Fiol et al., 1994, utilisent le terme de pouvoir structurel pour désigner le pouvoir associé à la position d’un individu ou d’un groupe dans un réseau.

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Lepers, 2003, utilise le terme de pouvoir structurel pour désigner le pouvoir qui découle de l’asymétrie des ressources existantes et se fonde sur l’influence incontournable des structures de domination lors de la relation. Il s’impose de facto aux acteurs ;

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Lepers (2003) utilise le terme de pouvoir relationnel pour désigner le pouvoir qui est créé au cours de la relation d’échange et va influencer le pouvoir structurel.

lui avec des actifs très spécialisés. De son côté, le donneur d'ordres peut mobiliser des actifs non-spécialisés qui peuvent être redéployés pour concevoir et distribuer un autre produit qui nécessite d’autres actifs que ceux de (A). Les sous-traitants que nous avons rencontrés ont tenu des discours du type : " Mes donneurs d'ordres peuvent rompre à tout moment la relation avec moi. Je ne veux donc pas acheter un actif spécialisé sur une tâche car, je ne pourrai pas redéployer ces actifs dans d’autres transactions ". Si les actifs sont idiosyncratiques aux besoins de (B), ils sont faiblement redéployables, donc (A) ne peut pas trouver facilement un nouveau partenaire. Par ailleurs, la volatilité de la demande peut rendre les besoins de (B) très ponctuels.

Le terme d’actifs spécifiques a donc un double sens : il s'agit soit d'actifs spécifiques à un besoin unique exprimé par un seul acteur, soit d'actifs spécialisés dans une tâche spécifique qui peut être ordonnée par plusieurs acteurs. Si on utilise le terme d’actifs spécifiques dans le premier sens, la dépendance du sous-traitant augmente énormément tandis que celle du donneur d'ordres n'augmente pas s'il ne s'engage pas sur le long terme pour ordonner des fabrications qui utilisent ces actifs spécifiques. Si on utilise le terme d’actifs spécifiques dans le 2ème sens, l'acquisition des actifs spécifiques augmente le pouvoir de négociation du sous- traitant, diminue sa propre dépendance étant donné que ces actifs sont spécialisés, mais pas dans les besoins d’un acteur unique.

Brousseau (1993, p161) reconnaît que des investissements dans des actifs spécifiques ne sont effectués qu’à la condition que l'autre partie intéressée offre une garantie sur le partage des risques ou sur la durée du contrat. Implicitement, l’acquisition d’actifs spécifiques augmente sa propre dépendance, ce qui implique que, de son côté aussi, l’autre doive augmenter sa dépendance. Ainsi, nous pensons que l’acquisition par un acteur (A) d’actif spécifique n’est pas à l’origine de la création d’un pouvoir de (A) sur (B), puisque l’acquisition ne se fera qu’à la condition que la dépendance de (B) augmente aussi par le biais de la signature d’un contrat par exemple.

Ainsi, pour mesurer les rapports de pouvoir entre deux entreprises, nous pensons que la seule analyse des performances est insuffisante, elle doit être nécessairement complétée par une analyse des coûts de redéploiement vers d’autres alternatives.

L’ensemble de ces caractéristiques s’impose aux partenaires au moment où ils décident de réaliser ensemble une transaction. Cet ensemble détermine dans quelle mesure les acteurs peuvent exercer un pouvoir sur leur partenaire. Néanmoins, ils ont la capacité d’agir

sur ces caractéristiques pour que le partage du pouvoir évolue. Prenant acte du caractère stratégique du pouvoir, nous pensons qu’il est pertinent d’exposer la manière avec laquelle les acteurs peuvent augmenter leur pouvoir sur l’autre autrement dit, d’exposer les facteurs endogènes déterminant l’intensité du pouvoir.

3.2.2. Facteurs endogènes déterminants de l’intensité du pouvoir

Bien que prédéfini par des caractéristiques préexistantes à la relation, chaque partie a la capacité d'augmenter son pouvoir de négociation. Ainsi, le dominé a les moyens d’alléger la menace de sanction économique qui pèse sur lui.

Dans la littérature gestionnaire et sociologique, de nombreuses études ont démontré que lors de l’échange, l’inéquité de la répartition de la valeur ajoutée était positivement corrélée au déséquilibre de pouvoir entre les acteurs (Cook et Emerson, 1978 ; Heide, 1994 ; Joshi et Arnold, 1997 ; Molm, 1994). Ainsi, plus le pouvoir du donneur d'ordres sur son sous- traitant est important moins la marge bénéficiaire accordée au sous-traitant est grande. Dans cet esprit, lorsque la dépendance unilatérale s’avère trop pénalisante l’acteur dominé tente de mettre en place des stratégies spécifiques (Blau, 1964 ; Emerson, 1962 ; Filser, 1989). Ces stratégies consistent à renforcer la dépendance du dominant vis-à-vis de lui et/ou à diminuer sa propre dépendance. Ainsi les dépendances réciproques de chaque partie sont rééquilibrées. De ces stratégies spécifiques mises en œuvre au cours de la réalisation de la transaction, naît un pouvoir appelé pouvoir relationnel. Si le pouvoir relationnel du dominé est aussi fort que le pouvoir structurel du dominant, on passe d'une coopération-domination à une coopération libre fondée principalement sur la confiance.

Nous proposons de distinguer deux types de facteurs endogènes à la relation de sous- traitance déterminant l’intensité du pouvoir. Certains rééquilibrent les rapports de pouvoir en augmentant la dépendance du dominant, d’autres en diminuant la dépendance du dominé.

3.2.2.1. Facteurs augmentant la dépendance du dominant

Dans la littérature, deux facteurs sont présentés comme susceptibles d’augmenter la dépendance du dominant : l’investissement dans une ressource spécifique valorisée par le partenaire et la formation de coalitions.

En développant une ressource spécifique valorisée par le partenaire, par exemple une qualité ou un service spécifiquement adapté aux besoins du client, l’acteur améliore ses performances, réduit l’attractivité des partenaires alternatifs et augmente la dépendance du

client (Blau, 1964 ; Frazier, 1983) qui ne cherche plus l'affrontement (du moins de manière moins intense) (Koenig et Joffre, 1992). Ainsi, on se trouvera dans une situation d'interdépendance où chacun des partenaires contrôle certains actifs non maîtrisés par l'autre, mais indispensables à l'action de ce dernier.

Si pour augmenter la dépendance de son partenaire dominant, le lésé doit investir dans une ressource qui est valorisée uniquement par ce partenaire, cet investissement sera effectif à la seule condition qu’il ait la certitude que son partenaire dominant restera fidèle. Autrement dit, le dominé doit avoir confiance dans l’engagement durable du dominant dans la relation. Cette confiance est soit basée sur un contrat formel, soit construite dans le temps grâce aux échanges inter-personnels. Dans le contexte de non-réciprocité des rapports de pouvoir, le passage via des investissement spécifiques, d'une relation fondée sur le pouvoir à une relation où la dépendance est mutuelle, ne peut se faire qu'à la condition qu'une confiance contractuelle ou relationnelle se construise.

La formation de coalitions, en diminuant les alternatives pour le dominant, augmente sa dépendance vis-à-vis du dominé. Dans cette configuration, deux ou plusieurs acteurs vont s’unir afin de réduire leur dépendance face à celui qui détient le pouvoir. De ce regroupement naît un pouvoir susceptible de modifier ou d’inverser les relations de dépendance antérieures (Pfeffer et Salancik, 1978). Lorsque " deux ou plusieurs membres s’unissent afin de former plus qu’un dans le processus de négociation avec celui qui représente le pouvoir ", on utilise le terme de coalition (Emerson, 1962). D’un côté, le client peut augmenter son pouvoir de négociation en se liant avec d'autres clients pour faire d'importantes commandes, de l’autre côté, les fournisseurs ou sous-traitants peuvent augmenter leur pouvoir de négociation en s'associant pour tous refuser des conditions inacceptables de vente.

Néanmoins, cette solution est limitée puisque la formation de coalitions ou d'ententes fait l'objet de restrictions légales.

3.2.2.2. Facteurs diminuant la dépendance du dominé

Dans la littérature, deux facteurs sont présentés comme étant susceptibles de diminuer la dépendance du dominé : le développement d’un réseau de partenaires alternatifs et le redéploiement de ses ressources dans d’autres domaines.

Si le fournisseur diversifie son portefeuille de partenaires potentiels, le client ne peut plus faire jouer " la menace d'un éventuel changement de fournisseur au moment du renouvellement du contrat pour un nouveau modèle " (Aoki, 1988). Ainsi, le fournisseur peut davantage discuter les conditions imposées par le client.

En redéployant ses ressources dans d’autres domaines, la partie dominée réduit l’intérêt porté à la ressource octroyée par l’acteur dominant. Il peut s’agir d’une stratégie d’intégration amont, aval, transversale (voir Filser, 1989, p129). Cette solution intervient généralement en dernier ressort (Blau, 1964 ; Emerson, 1962). Dans le cas du sous-traitant très dépendant de son donneur d'ordres, cette solution est cependant limitée puisque le changement pur et simple de partenaire, autorisé par la loi puisqu'il est indépendant juridiquement, est rarement possible puisque la dépendance économique est, par définition, liée aux manques d'alternatives disponibles.

3.3. Interprétation de la notion d’intensité de collaboration fondée sur l’approche