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CHAPITRE 1 : LES ÉVOLUTIONS DE L’INDUSTRIE FRANÇAISE DE

2.3. Les atouts concurrentiels actuels : la créativité et la réactivité

2.3.2. La réactivité un atout supérieur à l’anticipation

Traditionnellement, les entreprises de l’industrie de l’habillement réduisent les délais de fabrication en adoptant une logique d’anticipation sur la demande. Anticiper en fonction d'informations prévisionnelles sur la demande exige de consommer des ressources et d'immobiliser des moyens financiers dans des stocks qui présentent des risques si les prévisions sont erronées. Traditionnellement, ce sont les distributeurs qui supportent ces risques puisqu’ils passent commande auprès des fabricants six mois à l’avance. Ainsi, jusqu’aux années soixante-dix, l’ensemble des industriels et distributeurs étaient cantonnés à des tâches spécialisées : d’un côté, la création à partir des tendances lancées par les créateurs ou les grands couturiers et la fabrication des produits, avec l’aide des sous-traitants dans certains cas ; et de l’autre côté, la vente.

Les risques de stockage devenant de plus en plus élevés -- particulièrement dans l'habillement où les cycles de vie des produits sont très courts, et où la demande est volatile -- un nouveau type de distributeurs a décidé d’adopter une logique de réactivité en complément de cette logique d’anticipation afin de mettre sur le marché un produit en adéquation avec les " goûts du moment " et donc de passer commande auprès des fabricants en fonction de l’évolution de ces goûts. La réactivité signifie pour la firme, une capacité de répondre rapidement aux exigences des consommateurs (Coriat, 1990). Dans un délai aussi court que possible, l'entreprise et ses fournisseurs ou sous-traitants doivent être capables de remettre en question leur propre organisation en fonction des évolutions de la demande.

Ainsi, le temps fait partie des armes mobilisées par les nouveaux acteurs de l’industrie de l’habillement pour prendre des parts de marché aux acteurs traditionnels. Ces distributeurs délaissent le rythme biannuel de création des produits et se lancent dans le stylisme pour recréer la mode du moment pour tous.

À côté des produits banalisés vendus à prix réduits par les hypermarchés ou par la vente par correspondance, et des produits sophistiqués vendus à des prix élevés dans des petits magasins indépendants de détail, apparaît donc un type hybride de produits appelés " produits modes ", vendu à des prix moyens voire bas24

Ce nouveau type de produits résulte de la mise en œuvre d’une stratégie de " création réactive " ou de " reproduction réactive " de produits à succès. La " création réactive " consiste à offrir des modèles de vêtements d’une nouvelle tendance lancée, moins de deux mois auparavant, à un défilé haute couture, ou par un consommateur de " renommée " qui personnalise la mode lancée par les grands couturiers.

dans les chaînes spécialisées ou dans les magasins de gros du Sentier parisiens, marseillais ou lyonnais.

La " reproduction réactive " consiste à offrir des produits dits d’actualisation (Parat, 1998). L’actualisation des produits se fait en fonction des dernières meilleures ventes réalisées et connues par le biais de l’informatique dans les points de vente de détail. Ces articles ne sont donc que la copie parfois améliorée d’articles des collections. L’objectif est de tester le succès d’un produit avant de lancer sa fabrication. Ainsi, la clientèle est rarement déçue de ne pas trouver le " modèle du moment ", " the clothe to wear ", celui qu’il faut porter pour être dans la tendance. L'adoption de cette logique de réactivité permet une baisse des efforts pour augmenter la variété de l'offre puisqu'il s'agit de reproduire ou éventuellement d'améliorer les articles dont les ventes sont satisfaisantes. Elle permet donc une baisse des coûts directs de la conception du produit et de la gestion des stocks de produits finis réduits au minimum, et une diminution des coûts indirects de la mévente.

Le mode de production mis en œuvre par ces acteurs, qui permet une parfaite réactivité, est ce que l'on appelle le " juste-à-temps ". Toute opération de production est synchronisée avec une demande émanant directement ou indirectement du marché. Un poste de travail en aval du processus productif informe d'un besoin réel qui doit être satisfait par le poste de travail situé immédiatement en amont du premier et ainsi, une série de besoins se déclenche en cascade le long du processus productif (Tarondeau, et Huttin, 2001).

L'une des conditions pour être réactif est de posséder des boutiques en propre (succursales25

) ou d’utiliser des franchises26

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Pour exemple, chez Pimkie, le prix moyen d’un petit haut est de 6€, le prix moyen d’une jupe, d’un pantalon ou d’une robe d’été est de 25€, celui d’une veste est de 40€.

, qui permettent aux fabricants de s’informer sur les tendances du marché et sur l’accueil fait à leurs produits.

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La mise en œuvre de cette stratégie s’appuie aussi sur une multitude de technologies nouvelles qui facilitent la distribution, le marchandisage, l'analyse des ventes et la gestion des inventaires, ainsi que le réapprovisionnement en continu.

Les technologies de l'information et de la communication qui ont eu un rôle déterminant dans la réactivité des entreprises sont principalement les codes à barres associés aux lecteurs optiques qui rendent possible le suivi en temps réel de l’évolution de la demande, et l’échange de données informatisées (EDI) qui permet la transmission d'un très grand nombre de renseignements sur les ventes, commandes, matières premières utilisées (etc.) tout en minimisant les erreurs possibles lors de transactions papier. Ces technologies autorisent la remontée et la centralisation des données quantitatives et qualitatives sur les ventes. Leur utilisation permet d'assurer une rotation accrue des stocks. L'analyse en temps réel du niveau des ventes par type de référence facilite aussi l'extrapolation à la période suivante. Ce système de communication peut également déclencher des programmes de fabrication auprès des sous- traitants reliés à l'ordinateur central de la maison mère (Parat, 1998). L’usage de ces technologies exige que le fabricant de vêtements et ses clients se coordonnent pour adopter des technologies et des standards compatibles.

Les technologies d'EDI offertes sont coûteuses, difficiles d'implantation et accessibles surtout aux grandes entreprises c’est-à-dire aux entreprises propriétaires de chaînes de magasins spécialisés ou aux grandes surfaces généralistes. Aujourd'hui, il semble que les entreprises aient intérêt à utiliser les possibilités d'Internet qui, à moindre coût et en toute sécurité, permet de communiquer et de réaliser des transactions en ligne avec ses partenaires.

La conception ou la fabrication assistée par ordinateur (CAO ou FAO) contribuent également à réduire le temps de réaction à la demande et à minimiser le niveau des stocks. Avec la CAO, les phases de conception, patronage, gradation, coupe et montage des prototypes peuvent s'effectuer de façon quasi-simultanée. Concernant la fabrication assistée par ordinateur, la nouvelle génération de matelasseur (qui permettent la découpe simultanée de plusieurs lès de tissu superposés) offre un gain de temps dans les manipulations et un contrôle de la qualité du tissu. Les délais de fabrication sont également raccourcis grâce à l’utilisation de convoyeurs au sol ou aériens, manuels ou automatiques qui permettent de réduire les stocks intermédiaires : les pièces sont transportées d'un poste de travail à un autre par un système de rails et d'aiguillages, très souvent programmable.

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La franchise lie par contrat l'entreprise concédant (le franchiseur, propriétaire de l'enseigne) et des détaillants indépendants qui profitent de l'enseigne, de la notoriété de la marque et de sa logistique et s'engagent, en contrepartie, à respecter la politique du franchiseur (agencement du magasin, gamme minimale de commande imposée…).

SYNTHESE CONCLUSIVE

Ce chapitre a décrit les bouleversements profonds qu’a connus l’industrie française de l’habillement. Au fil de cet exposé, plusieurs points ont été mis en exergue :

Dans l’habillement, comme tous secteurs intensifs en main d’œuvre non qualifiée, la concurrence des pays à bas salaire ne cesse de s’intensifier et la production française de diminuer. Alors que les importations françaises de vêtements en provenance des pays en voie de développement a pratiquement triplé en quinze ans, la production française représente moins du sixième de son niveau en 1990. Néanmoins, le chiffre d'affaires de l’industrie française d’habillement est resté constant grâce au succès du segment haut de gamme et malgré la légère baisse du prix du vêtement depuis 2002.

L’avenir s’obscurcit avec les pays à bas salaires qui tentent de s’imposer sur le segment haut de gamme. Le seul moyen donné aux fabricants français pour éviter durablement cette concurrence, est de proposer aux distributeurs de fabriquer en petites séries des produits " d’actualisation " qui nécessitent une réactivité dont les fabricants des pays à bas salaire ne peuvent faire preuve.

Ces vingt dernières années, le paysage de la distribution de vêtements a été bouleversé par l’arrivée de distributeurs d’envergure internationale, les chaînes spécialisées, qui réussissent en collaboration tacite avec les grands bureaux de style et les médias, à uniformiser les modes à travers la planète entière. Positionnés sur le segment du moyen de gamme pour offrir des produits " modes ", ces distributeurs profitent de débouchés de grande ampleur et arrivent, ainsi, à combiner qualité-créativité, coût et variété. Leur stratégie leur a permis de s’accaparer plus du tiers du marché français en 20 ans seulement.

L’évolution du comportement des consommateurs renforcent la pression concurrentielle qui s’exerce sur le secteur : plus prudents, ils privilégient les bas prix, diffèrent leurs achats aux périodes de soldes, n’hésitent pas à fréquenter plus d’un lieu de magasinage, préfèrent consacrer leur budget aux dépenses de loisir et de santé.

Pour rester compétitif, il faut donc combiner créativité et coût grâce à la réactivité. L’externalisation de tout ou partie de la production via la sous-traitance auprès de petites unités de fabrication qui utilisent une main d’œuvre polyvalente et les nouvelles technologies (EDI, CAO…), la délocalisation de la production et l’intégration de la distribution paraissent aujourd’hui incontournables.