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CHAPITRE 1 : LES ÉVOLUTIONS DE L’INDUSTRIE FRANÇAISE DE

2.2. L'externalisation se généralise et l'industrie se fragmente

Dans toutes les industries de biens de consommations, d'équipement ou de biens intermédiaires, le nombre de variantes et d’options dans la définition du produit final n'a cessé de croître depuis la fin des années soixante. Nous assistons à l'introduction continue et accrue de la variété.

Avec la montée de ce critère d'efficacité, la taille des lots (ou séries) diminue, les grands ateliers de fabrication ou les usines connaissent de grandes difficultés et la taille des confectionneurs se réduit. Par exemple, le secteur du textile-habillement à Roubaix a vécu des fermetures massives d'entreprises de 100 à 800 salariés au bénéfice de créations spontanées de petites unités de 10 à 50 employés, toutes dans le façonnage (confection) (El Oualidi et Vaesken, 2000). On peut aussi citer les entreprises fabricantes de Cholet qui à la fin des années soixante-dix employaient un total de 7 000 à 8 000 salariés, et faisaient indirectement travailler presque autant de travailleurs chez leurs sous-traitants locaux. Dix ans plus tard, ces entreprises n’ont conservé au sein de leurs usines et ateliers qu’une unité pilote dotée de tous les métiers techniques, les forces productives étant toutes localisées à l’étranger. Cette stratégie a amputé la main d’œuvre des trois quarts des effectifs : on estimait qu’en 2005, seulement 1 800 salariés étaient employés dans l'industrie choletaise, et que la baisse a été bien supérieure, pour ne pas dire quasi-totale chez les sous-traitants (Courault, 2005).

Cet environnement très fluctuant, dans lequel les besoins exprimés par la demande changent régulièrement et rapidement, exige que le sous-traitant organise son atelier ou son usine de manière flexible au niveau des compétences et des horaires de travail. Selon les termes de Atkinson (1985), il faut que son organisation soit caractérisée par une flexibilité fonctionnelle et numérique. Afin de réaliser rapidement des petites séries, les unités de fabrication mettent en place des groupes autonomes, et forment leur personnel pour qu’il

devienne polyvalent (un même opérateur est associé à plusieurs tâches et plusieurs postes). Cette organisation permet d’augmenter les références de produits traitées par collection et de diminuer en même temps les en-cours de production (réduction des goulots d’étranglement), ce qui abaisse, in fine, le stock de produits finis (Courault et Parat, 2000).

Par ailleurs, comme le souligne Atkinson (1985), l'externalisation constitue une source de flexibilité qualitative pour l'entreprise. Aujourd’hui, la totalité des marques font appel à la sous-traitance de manière plus ou moins systématique. C'est un moyen de mobiliser sur le marché externe des compétences spécialisées que ne possèdent pas ses employés. Le recours à des ressources supplémentaires externes, mobilisables à court terme permet d'avoir un coût de revient en fabrication variable (élevé pendant la période d'approvisionnement et de fabrication, bas pendant la période de conception). Le maître d'ouvrage se recentre alors sur son métier : la conception et commercialisation. C'est-à-dire qu'il allège ses coûts fixes (unités de production, salaires, charges sociales, frais généraux, approvisionnement, logistique), en les transférant en achat de prestation ou de produits sur devis.

A court terme, les entreprises disposent d'une capacité de production fixe pour faire face à une charge variable en fonction des demandes du marché. Les stocks devenant rapidement obsolètes, les entreprises dans l'habillement ne peuvent jouer sur des décalages temporels (créer des stocks en période de sous charge et satisfaire la demande à partir de ces stocks en période de surcharge). Pour équilibrer charge et capacité, elles n’ont pas d’autres alternatives que de recourir à la sous-traitance.

Selon l’enquête annuelle d'entreprises17 (EAE) de 2003 (SESSI, 2004), 83 % des 906 entreprises de l'habillement de plus de 20 personnes ont donné des travaux en sous-traitance, soit 14 % du chiffre d'affaires hors taxe de l’industrie. Ces pourcentages sont en progression par rapport à 1984 où près de 57 % avaient confié des travaux en sous-traitance. Si on prend en compte la totalité des entreprises du secteur (y compris les entreprises de moins de 20 personnes), les deux tiers de la production sont réalisées en sous-traitance (Souquet/SESSI, 2003).

Le fait que les structures possédant des capacités propres de production soient de moins en moins nombreuses se reflète dans l’évolution des chiffres de sous-traitance de

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Ces chiffres sont basés sur l’EAE, qui ne prend pas en compte les entreprises de moins de 20 salariés alors qu’elles représentent 90,7 % des entreprises en 1995 (12992 sur un total de 14327) dans l’industrie de l’habillement. Ces chiffres sont donc présentés ici uniquement pour rendre compte de la tendance à la désintégration verticale.

capacité18, versus sous-traitance de spécialité19

La production proprement dite intervient pour une part de plus en plus faible dans la valeur finale des produits. Les dépenses de conception et de distribution font que, selon la qualité de l’article, le prix de vente au détail varie entre trois (produit basique) et quinze fois (article de mode sophistiqué) de son prix à la sortie de l’usine (Chaponnière, 2003). Au niveau du secteur de l’habillement, les investissements effectués en dépenses de recherche et les investissements commerciaux sont donc prioritaires par rapport aux investissements productifs. Ils sont aujourd’hui les facteurs clés de succès des entreprises du secteur : c’est par l’augmentation des investissements immatériels qu’une entreprise de l’habillement peut acquérir ou renforcer son avantage compétitif.

. Depuis le début des années 90, la part de la sous-traitance de capacité dans le montant total de la sous-traitance industrielle enregistre une baisse (elle passe 32,6 % en 1990 à 15,9 % en 2003), tandis que la sous-traitance de spécialité enregistre une hausse (elle passe de 67,4 % à 84,1 %) (SESSI-EAE, 1991 et 2004).

Par ailleurs, la concurrence devenant intense, il est de plus en plus difficile pour une entreprise d’être polyvalente. Or, la fabrication demande des compétences très différentes de celles mobilisées pour la conception et la commercialisation. De ce fait, les acteurs de l’habillement se concentrent sur le cœur de leur métier (Palpacuer, 1996).

L’évolution du taux de valeur ajoutée permet de rendre compte de la désintégration des entreprises du secteur de l’habillement qui se désengagent des stades de production.

Le taux de valeur ajoutée, défini comme le support entre la valeur ajoutée20

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La sous-traitance de capacité correspond aux cas où l'entreprise donneuse d'ordres, équipée elle-même pour effectuer une production, a recours à une autre entreprise, soit occasionnellement pour faire face à une hausse momentanée dans sa production ou à un incident technique, soit de façon plus habituelle parce que, désireuse de conserver une capacité propre dans une fabrication déterminée, elle entend utiliser des capacités de production disponibles à l'extérieur.

et le chiffre d'affaires, est l’indicateur le plus couramment utilisé pour exprimer le degré d’intégration verticale d’une entreprise ou d’un secteur, mesurant ainsi l’intensité de l’activité de transformation. Un ratio élevé traduit l’existence d’un processus de production comportant une part importante de transformation des produits dans la filière de fabrication. Pour le secteur de l’habillement, on observe une baisse sensible de cet indicateur sur la période 1993- 2003, qui passe de 34,64 % à 25,6 %. On peut interpréter cette évolution comme une baisse du degré d’intégration des entreprises de l’habillement.

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La sous-traitance industrielle est dite de spécialité lorsque l'entreprise donneuse d'ordres décide de faire appel à un spécialiste disposant des équipements et de la compétence adaptés à ses besoins parce qu'elle ne peut ou ne souhaite pas se doter des moyens nécessaires au lancement ou au développement d'une fabrication, ou encore parce qu'elle estime ses installations insuffisantes ou insuffisamment compétitives pour cette fabrication.

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Tableau 1.8. : Evolution du taux de valeur ajoutée dans le secteur de l’habillement

NAP 1993 1995 1998 2000 2003

VAHT (M d’€) 3 466,89 € 3 163,24 € 2 901,56€ 2 877,48 € 2688 € CAHT (M d’€) 10 007,75 € 10 215,87 € 10 041,5€ 10 154,32 € 10 494€

VA/CA 34,64 % 30,96 % 28,9 % 28,34 % 25,6 %

Source : SESSI (1995, 1997, 2000, 2002, 2005), " La situation de l’industrie "

Cette baisse du taux de valeur ajoutée rend compte d’une mutation majeure de l’industrie de l’habillement : le désengagement des activités de production des fabricants (assemblage et finition) dont le métier est en pleine évolution. Certains de ces industriels tendent à devenir donneurs d'ordres exclusifs. Ils conservent les stades de création et de conception et prennent en charge la commercialisation de leurs vêtements, tandis que la fabrication est confiée à des façonniers français ou étrangers.

Ces évolutions de l’industrie de l’habillement ont changé la donne et modifié les atouts concurrentiels qui ne sont plus les mêmes qu’il y a 10 ans.