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Les programmes de gestion de la colère

Chapitre 1: Introduction et revue de littérature

1.3 Les programmes de gestion de la colère

Selon Fauteux (2010) et Lench (2004) nous serions en proie à intervenir de plus en plus auprès de personnes colériques. Il n'est donc pas surprenant que dans les dernières années, nous ayons assisté à une prolifération de ressources visant à aider les personnes ayant « un problème de colère » à mieux le gérer. Celles-ci prennent forme de livres (section 'self-help') et notamment de thérapie en individuel ou en groupe, ou plus communément, de programmes de prévention ou de gestion de la colère. À titre d’exemple, un parcours sur le site web du magasin Chapters en utilisant le mot-clé "anger management" a révélé qu'il y aurait autour de cinq cents livres traitant de la question et offrant des techniques pour l'identifier, la contrôler voir même l'éliminer. De plus, il existe environ 19 programmes de gestion de la colère juste dans la région d' Ottawa-Gatineau et si on y incluait les thérapeutes en pratique privée, ce chiffre monterait de façon exponentielle.

Il ressort de notre revue de littérature une tendance vers la mise en place de mesure non plus uniquement de type "curatif", mais de plus en plus "préventif". Une illustration de cette tendance est l'augmentation des programmes à caractère préventif implantés dans les milieux scolaires (CIRCM, 2003). Certaines recherches préconisent d'ailleurs que les interventions précoces ou proactives notamment destinées aux jeunes enfants s'avèrent plus efficaces pour pallier aux conséquences négatives de la colère et de l'agression (Lochman et coll., 2006; Lench, 2004; Kassinove, 1995). De telles pratiques permettraient d'éviter que le problème de la colère ainsi que les difficultés qu'il occasionne ne se perpétuent à l'âge adulte (Thomas, 2003; Bidgood et coll., 2010). Lochman et coll. (2006) ajoutent d'ailleurs que de tels programmes de prévention

seraient d'autant plus prometteurs puisqu'elles peuvent être implantées à travers divers milieux et ainsi pallier aux différents problèmes.

En lien avec la diversité, il existe une grande variété de programmes de gestion de la colère (ou des émotions en général) notamment en ce qui a trait au type de programme offert, à l'approche utilisée ou encore à la population visée. Dans son livre Treatments for anger in specific populations: theory, application, and outcome, Fernandez (2013) révèle les différentes thérapies adaptées aux besoins de diverses populations (ex: automobilistes "colériques", ceux qui ont subi un trauma, ceux qui ont un problème de consommation, etc.). Kassinove (1995) identifie six approches utilisées pour le traitement de la colère soit "cognitive therapies, relaxation-based therapies, skills training therapies, exposure based treatments, cathartic treatments, multicomponent treatments" (p. 110). Ces approches, bien que différentes les unes des autres, visent ultimement l'acquisition d'une meilleure régulation des émotions. Kassinove (1995) va plus loin encore en proposant un "ideal treatment of adult anger problems" (p. 152) ainsi que pour les enfants d'ailleurs, et ce traitement consiste en une évaluation et une intervention fortement individualisée au problème de colère de la personne.

D'autres techniques dites alternatives émergent également dans l'intervention auprès des personnes "colériques" (Lochman et coll., 2006 et Currie, 2004). Dans cette optique, on assiste entre autres à l'implantation d'activités telles le jeu "Pax good behaviour"

(http://goodbehaviorgame.org) qui, sous une forme ludique, poursuivent les mêmes objectifs que les programmes de prévention et de gestion de la colère soit l'acquisition d'une meilleure maîtrise de soi, meilleure autorégulation et en général d'une meilleure gestion de soi. D'autres programmes adoptant une approche alternative incluent par exemple l'intervention sous forme artistique telle qu'en jouant de la musique (Currie, 2004). Le CIRCM (2003), quant à lui, rend compte de la diversité des programmes offerts dans les écoles québécoises selon les différents groupes d'âge et les besoins (ex.: régulation des émotions en général ou colère spécifiquement;

habiletés sociales, etc.). Similairement, Lochman et coll. (2006) et Bidgood et coll. (2010) identifient une variété de programmes universels qui sont offerts aux jeunes dans le but de les aider à gérer leur colère ou leurs émotions en général.

Force est de constater que s'il existe différentes approches/programmes comme nous venons de le montrer pour répondre au problème de la colère chez des populations et dans des contextes variés, il ne reste qu'elles ont en commun le fait de se centrer principalement sur

l'individu comme source du problème. En effet, prenons l'exemple des programmes proposés dans le guide qui a été produit par le CIRCM (2003). Ceux-ci ont mis l'accent sur trois aspects, soit les habiletés sociales, les habiletés sociocognitives et la régulation des émotions et l'autocontrôle. Or, comme on peut le constater, ce sont des objectifs très individualisant puisqu'il n'y a aucune mention d'objectif visant des causes externes et plus larges comme par exemple la réévaluation du contexte scolaire. Pourtant, Dorvil et Mayer (Tome II, 2001) dénoncent l'accent mis sur les élèves lorsqu'on traite de la question de la violence scolaire alors que la dynamique scolaire aurait un impact sur la colère chez les élèves et aurait besoin d'être analysée davantage.

En effet, ils révèlent que les communications dysfonctionnelles (ex: professeur agressif, ne font pas preuve d'écoute ou d'ouverture aux questions ou commentaires), l'illusion d'une démocratie et la perpétuation de la violence par l'ensemble des employés (directeurs, enseignants et personnel non enseignant) au sein de l'établissement scolaire sont autant de causes contribuant à l'émergence de la violence ou de la colère chez les élèves. Pourtant, lorsqu'il s'agit d'adresser le problème, les programmes ciblent les élèves uniquement. Lochman et al. (2006) ont également soulevé l'influence de l'environnement scolaire, dont la gestion des classes par les enseignants, sur les comportements agressifs chez les élèves. Les autres programmes mentionnés dans cette section reposent également sur des stratégies ciblant les individus ayant ou étant à risque de développer un problème de colère.

Ceci reflète la tendance actuelle à appréhender les problèmes dans les sociétés occidentales contemporaines. Nous assistons de plus en plus à une réduction des problèmes sociaux ainsi que les personnes qui en sont concernées à des problèmes biologiques. Comme l'a dit Otero (2012), il y a une réduction des « populations problématiques aux dimensions problématisées ». De ce point de vue, les personnes colériques sont réduites à leur incapacité de réguler/contrôler leur colère et c'est sur cette dernière justement que se fondent principalement les

« traitements » ou les programmes/interventions qui sont censés y pallier. Le problème avec cette tendance est que les facteurs sociaux plus larges exerçant une influence sur l'expérience et l'expression de la colère individuelle sont occultés. Pourtant, la personne en colère s'indigne soit parce qu'elle se sent menacée physiquement ou psychologiquement (DiGiuseppe et Tafrate, 2007;

Thomas, 1993) ou encore parce qu'elle fait face à une insulte ou une injustice (Thomas, 1993;

Fauteux, 2010). En effet, des conditions telles la pauvreté, conditions de travail difficiles, précarité financière, précarité en terme de logement, discrimination, etc. qui posent une menace

au bien-être des personnes sont autant de facteurs pouvant être à l'origine de la colère d'une personne, mais qui sont ignorés puisque le problème demeure présenté en terme de dysfonction biologique - régulation de la colère. Otero (2003) indique que dans les sociétés contemporaines toute situation sociale pourrait faire l'objet d'une intervention dans la mesure où les problèmes d'origine sociopolitique sont réduits en des problèmes individuels. Il offre une réflexion critique au sujet des interventions en santé mentale. Selon lui, ces interventions visent à créer des individus « adaptés », en d'autres termes qui sont en mesure de réguler leurs conduites conformément aux exigences et normes préétablies par le milieu dont il fait partie plutôt que d'adresser les sources du problème, qui vont au-delà des causes individuelles (Otero, 2003). Si les terminologies ne cessent d'être modifiées dans le monde de l'intervention sociale pour paraître moins négatives, il appert néanmoins que ces méthodes se traduisent en stratégies de contrôle social et de normalisation des individus plutôt qu'en dispositifs de changement social permettant réellement de pallier aux problèmes sociaux rencontrés. En effet, avant Otero, Schur (1976) avait déjà présenté également une analyse intéressante des différentes formes de thérapies visant la prise de conscience de soi et la maîtrise de soi qu'il dénonce comme étant des pratiques qui ignorent la responsabilité des structures sociales, qui engendrent des conditions sociales difficiles et qui renforcent plutôt, à outrance, la responsabilité individuelle. Ces deux perspectives rendent compte du processus d'individualisation des problèmes sociaux et des mécanismes de normalisation et de contrôle social qui entrent en jeu. En effet, ces différents programmes visent à ramener les individus à se conformer à la norme de régulation de ses émotions et à prendre la responsabilité face à leurs émotions et leurs conduites et cela, dans le but notamment d'assurer harmonie sociale et productivité. Ainsi, la diffusion des divers programmes portant sur la gestion de la colère à travers les différents milieux renvoie à l'idée qu'il existe une certaine norme en terme d'expression de la colère. Par conséquent, cela amène les individus à constamment s'auto-évaluer afin de déterminer les risques que leur colère ne soit problématique et donc ne les fasse basculer dans la déviance ainsi qu'à évaluer les autres par rapport à cette dernière, exerçant ainsi un contrôle à la fois individuel et social.