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Chapitre 2: Cadre théorique

2.3 La « discipline » de Foucault

Foucault a démontré à travers son oeuvre le renversement qu'a connu le pouvoir dans les sociétés modernes. Jadis, les personnes ayant commis un crime étaient punies par des châtiments infligés directement sur le corps physique, cependant, de telles pratiques ont laissé place, à la fin du XVIIIe siècle, à de nouvelles pratiques punitives qui tenaient compte des exigences humanistes du Siècle des Lumières. Ces pratiques punitives n'agissent plus directement sur les corps physiques, mais passent plutôt par le corps abstrait (l'âme et la pensée) grâce à des dispositifs variés et à première vue invisibles, mais toujours dans l'objectif de produire des corps physiques qui sont productifs, utiles et dociles. Foucault (1975) définit les « disciplines » comme étant des « méthodes qui permettent le contrôle minutieux des opérations du corps, qui assurent l'assujettissement constant de ses forces et leur imposent un rapport de docilité-utilité » (p. 139).

A priori simple comme définition, celle-ci revêt pourtant une grande complexité dans son déploiement. Selon la perspective foucaldienne, la discipline est associée à la notion de pouvoir;

notion qui elle-même est inséparable du concept de « savoir ». Il nous faut donc penser le concept de discipline en termes de rapport pouvoir-savoir puisque c'est à partir de ce dernier que s'opèrent les différents dispositifs visant à contrôler les conduites des individus. En effet, le pouvoir à la fois produit et repose sur le savoir et inversement, tout savoir implique des relations de pouvoir.

Il s'agit d'un pouvoir disciplinaire décentralisé qui se traduit en une multitude de techniques, de stratégies et de dispositifs qui s'inspire des différentes sources de savoirs et s'opère à tous les niveaux de la société assurant ainsi un contrôle et une surveillance permanents et omniprésents sur les individus, tout en restant invisible ou anonyme aux yeux de ces derniers. Par ailleurs, celui-ci ne s'impose pas comme contrainte à ceux qui n'ont pas de pouvoir, mais plutôt

« il les investit, passe par eux et à travers eux; il prend appui sur eux, tout comme eux-mêmes,

dans leur lutte contre lui, prennent appui à leur tour sur les prises qu'il exerce sur eux. » (Foucault, 1975, p.31). En d'autres mots, les différents procédés disciplinaires sont à la fois le produit des connaissances acquises sur les sujets et l'instrument d'assujettissement de ces derniers, et à l'inverse les individus s'appuient sur ces mêmes dispositifs disciplinaires pour lutter contre leur assujettissement. Par ailleurs, il ne s'agit pas d'un pouvoir absolument détenu par un groupe social dominant, mais bien d'un pouvoir qui se construit de par ses positions stratégiques et ses effets sur les sujets qu'il domine pouvant ainsi conduire à un renversement de position des sujets dominés. De fait, son fonctionnement engage un ensemble d'interactions verticales et horizontales et allant dans les deux sens. De plus, le pouvoir disciplinaire engage chaque individu dans son espace tout en le gardant en lien avec les autres autour de lui, de cette façon, il peut être présent partout et exercer son influence sur toute la population tout en investissant chaque personne individuellement. Il consiste donc à surveiller et contrôler l'individu et sa conduite en tout temps afin de pouvoir l'utiliser à ses fins. Et bien que ces procédés disciplinaires paraissent individualisant puisqu'ils façonnent chaque individu dans son unicité à devenir un être qui se conforme et qui est productif, ils le maintiennent en relation aux autres, qui eux-mêmes sont façonnés par des techniques similaires, auxquels il est continuellement comparé, hiérarchisé, homogénéisé et dont il est parfois exclu. C'est donc à travers ces mécanismes de comparaison et de différenciation que le pouvoir disciplinaire maintient son contrôle et utilise l'ensemble des individus distincts. Or, tout système de comparaison/différenciation sous-tend une mesure prédéfinie à partir de laquelle l'ensemble des éléments est évalué. Il s'agit du noeud même de l'entreprise du pouvoir disciplinaire comme Foucault (1975) l'a noté : « Les dispositifs disciplinaires ont sécrété une « pénalité de la norme », qui est irréductible dans ses principes et son fonctionnement à la pénalité traditionnelle de la loi » (p.185). Aujourd'hui, la discipline ne consiste plus tant à punir les individus en se référant à la loi et au crime y correspondant, mais plutôt à définir le crime en fonction de normes communes et d'identifier les criminels à partir de caractéristiques qui en découlent. Nous reprendrons les propos de Foucault auxquels nous avant déjà fait référence dans la section précédente, soit : « Il est vrai que c'est la société qui définit, en fonction de ses intérêts propres, ce qui est considéré comme un crime: celui-ci n'est pas naturel » et de ce fait même, la norme à suivre. Ainsi, sont considérés criminels ceux qui se sont écartés de la norme et qu'il faut ramener pour assurer le maintien du bon fonctionnement et de la productivité au sein des différentes institutions. Les dispositifs disciplinaires permettent donc

d'observer ces écarts, de les évaluer et de les corriger pour ramener chaque individu à adopter des conduites normées. À défaut de pouvoir imposer une homogénéisation absolue de l'ensemble des conduites, les dispositifs disciplinaires visent à implanter la norme comme valeur optimale à atteindre contraignant ainsi chaque individu à s’y mesurer. Chaque individu se l'approprie et l'intériorise avec le temps au point que la poursuite de la conformité à cette norme devient quant à elle quasi naturelle et complètement dissociée du pouvoir auquel elle doit son origine.

Parallèlement, le pouvoir disciplinaire établit également des peines (la norme sécrète des micropénalités) pour ceux qui s'écartent de la norme diminuant ainsi le désir de recourir au crime et à la répression, renforçant d'autant plus les intérêts à maintenir la conformité. Dans les sociétés disciplinaires, la peine ne fait pas référence aux châtiments infligés sur le corps, mais plutôt à des mesures plus abstraites qui passent notamment par la privation des droits et libertés et par une souffrance plus psychologique/émotionnelle. Ainsi, si la norme en soi ne paraît pas attrayante à l'individu, l'épreuve de la peine tant redoutée constitue une force importante pour garder l'individu sur le chemin de la conformité.

Ces différentes stratégies amènent l'individu à continuellement se situer par rapport à la norme, à évaluer de la sorte la distance qui le sépare ou le rapproche des autres, et à se comparer à ces derniers. De cette façon, il maintient une conduite conforme à la norme donnée et est capable de reconnaître ceux qui s'en écartent. Tout individu se retrouve ainsi constamment sous la loupe de la norme. Ses moindres gestes, mouvements, paroles, caractéristiques sont passés sous un regard inquisiteur et normalisateur. Foucault (1975) réfère à ce mécanisme en termes d'examen et de surveillance; les deux étant indissociables et composantes essentielles des institutions disciplinaires. En effet, ces dernières « ont sécrété une machinerie de contrôle qui a fonctionné comme un microscope de la conduite; les divisions ténues et analytiques qu'elles ont réalisées ont formé autour des hommes, un appareil d'observation, d'enregistrement et de dressage. » (p. 175). Les qualités de l'examen et de la surveillance n'ont cessé d'évoluer avec le temps. Les activités d'observation et de surveillance ne sont plus uniquement du ressort des surveillants dans les pénitenciers, aujourd'hui elles se sont intégrées aux nombreuses nouvelles sciences, dont la psychiatrie et la psychologie semblent avoir une influence particulière. Elles opèrent de façon insidieuse et minutieuse en s'immisçant dans les espaces les plus profonds et les plus intimes de la vie de chaque individu et prennent plusieurs formes notamment « de tests, d'entretiens, d'interrogatoires, de consultations » (p. 228). Leur objectif est de corriger et

normaliser les conduites des individus. Par ailleurs, ces différents dispositifs disciplinaires se traduisent au sein de toutes les institutions que ce soit l'hôpital, l'école, le milieu de travail, la famille, etc.

2.4 Modèle proposé: les imbrications du constructivisme, de l'interactionnisme et de