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Chapitre 4: Les résultats

4.1 Intervenir sur la colère: une tâche complexe et ambivalente

4.1.2 Les indicateurs de la colère

Identifier et évaluer la nature problématique de la colère constitue une tâche complexe.

Lorsqu’elle ne s’exprime pas en effet de manière physique, comment évaluer si une personne est colérique et si cette colère est problématique ? Quels sont les critères ou les indicateurs utilisés?

Souvent, cette tâche peut reposer sur l’analyse des mots utilisés par la personne « colérique »;

comment celle-ci parle de sa colère, raconte son histoire. L’une des intervenantes, Mathilde, avance cette idée quant à la façon dont elle identifie la colère à partir du discours des personnes colériques :

"La manière qu'elle parle, elle va dépendemment où elle est rendue, oui elle peut arriver à l'identifier mais la manière quand qu'elle raconte les choses, les mots qu'elle choisis, je suis un peu biaisée parce que c'est sûr que j'ai d'la faci... j'suis aidée par les antécédents, j'vais aller par toutes sortes de choses mais si je fais référence par contre à quand j'étais à l'aide sociale ou on rencontrait pas les gens dans un contexte comme celui là et puis j'savais pas nécessairement quand j'rencontrais le client comment l'entrevue allait s'passer pas, le le le pedigree de cette personne là. Ok j'sais juste que elle est sur l'aide sociale et j'arrivais à un moment donné à détecter sa colère justement même si elle était même pas en colère. Alors, il y a vraiment dans l'discours de la personne des ... des choses qui nous met la puce à l'oreille pis qui nous font croire 'garde elle a un potentiel là si tu fais pas attention, tu la cherches tu la trouves t'sais. Mais oui, j'pense que c'est faisable de l'savoir avant même que la p.... je dirais pas là en 5 minutes par exemple, c'est pas en s'asseyant en entrevue que tu t'dis ça y est, elle est en colère, mais j'te dirais qu'au bout d'une demi-heure - une heure tu finis par voir un profile de personnes en colère" (Mathilde)

 

Brigitte quant à elle admet que la limite entre une colère jugée « normale » ou « acceptable » et celle dite problématique reste ambiguë. Lorsque la colère n’est pas physique, son évaluation dépend des perceptions de la personne colérique d’elle-même. Il existerait quelque chose comme un seuil personnel quant à ce qui est considéré acceptable ou non en termes de colère et reconnaître ce seuil soi-même lorsqu’on est en colère serait la preuve d’une « gestion des émotions »

"[...] c'est quand même être capable de faire preuve d'une certaine forme de gestion des émotions de s'dire ici c'est pas acceptable j'pense que dans ces cas il faut revoir ben la compréhension de c'est quoi être, c'est quoi acceptable, pourquoi t'sais avec ma conjointe c'est plus acceptable alors qu'avec mon agent de probation ça l'est pas du tout" (Brigitte)

Comme l’indique ce dernier extrait, le seuil de tolérance envers la colère est rarement défini de manière isolée. Il se fait souvent dans le cadre d’une interaction avec d’autres :

"  C'est quand la personne dans l'fond qui reçoit ou qui entend la manifestation de ta colère et cette personne-là bon elle a un inconfort pis justement elle se sent victime ou en tout cas ben là quand c'est physique c'est c'est plus ... c'est plus facilement identifiable, mais quand on reçoit des menaces tout ça pis qu'on se sent justement là mal à l'aise, inconfort, qu'on a peur que ça dégénère t'sais j'pense que là ça ça devient c'est sûr c'est pas comme une limite qui est très claire qui est vraiment tangible là je pense que c'est assez c'est beaucoup de l'ordre des perceptions.

T'sais y a des gens pour qui y a un certain seuil qui est plus qui ...

qui est encore acceptable tandis que d'autres le seuil est plus bas d'autres c'est plus élevé [...] Quelqu'un qui ... qui est en colère pis qui est seul, t'sais on ... on verra pas de de conséquences si on veut, mais là t'sais quand ... quand y a une ... c'est dans le cadre d'une interaction avec quelqu'un ou bon pis qu'y a quelqu'un qui est victime ben c'est là qu'on ... c'est de cette façon-là qu'on en vient à voir des indicateurs que c'a été problématique là le plus souvent la [...] Pis t'sais y a aussi ... ça part souvent du fait que bon y a souvent eu dans d'autres, pas ici mettons, mais dans d'autres, les milieux de vie y a certaines tolérances aussi qui ...

qui s'installent" (Brigitte).

"[...] ça devient très difficile parce qu'aussi les standards des individus qui changent beaucoup, tu peux aller dans une relation où c'que pour quelqu'un c'est ben normal de s'traiter de nom quand ça fait pas notre affaire pis tout ça, pis qu'eux autres c'est comme ça qu'y ont vu ça là, leurs parents c'étaient comme ça là, pis tu rentres dans une autre relation pis t'auras même pas un ...

un échange de nom t'sais ça c'est non toléré c'est ... c'est inacceptable, ça s'fait pas t'sais. Fait que là t'as les standards t'as comme la tolérance qui diffère fait que j'pense que c'est en fonction de chaque individu [...] on est devenu moins tolérant

t'sais des fois là tu peux être au téléphone avec un service qui ...

qui ... qui ... qui t'fais ... qui t'fais travailler on va dire ça comme ça là, pis là tu vas exprimer ton cont... ton mécontentement là pis la personne va tout simplement te dire écoutez, changez de ton monsieur pis tout ça, pis écoutez j'suis en train de vous parler de comment chu pas content pis j'vous crie pas après, j'vous traite pas d'nom, mais y a quelque chose qui fait pas d'bon sang, j'aime pas l'ton que vous utilisez envers moi. Donc, ça c'est correct, mais encore la comme n'importe quoi ça doit être raisonnable [...]"

(Michael)

Bien que définir et évaluer la colère « problématique » demeure une tâche complexe et ambivalente, il n’empêche qu’à l'unanimité, les intervenants considèrent que la colère, lorsqu’elle est problématique, engendre inévitablement des conséquences négatives. Ces dernières sont

considérées comme étant des indicateurs pour évaluer si une colère est « normale » ou

« problématique ». C'est ce que Michael exprime d'ailleurs:

"[...]  fait que faut pas nécessairement juste se fier aux impacts, mais les impacts en disent beaucoup sur peut-être si la colère est problématique ou non t'sais souvent les pertes, les conséquences, on peut regarder ça [...]"

Brigitte, quant à elle, s'appuie sur les informations recueillies des judiciarisations antérieures résultant de la commission d'actes violents pour déterminer si une personne a une colère problématique:

"[...] un des critères que bon on regarde en premier ben moi là j'peux pas dire que c'est tout l'monde là, mais est-ce qu'il y a d'autres antécédents de cette nature-là. Pis par la ... t'sais violence, c'est autant des menaces que du harcèlement que des ...

des gestes de violence physique t'sais quand c'est sûr que quand y a d'autres antécédents ben t'sais ça donne quand même un indication que c'est un comportement qui qui s'répète pis que bon de toute évidence qui qui s'est pas réglé au fil du temps là".  

Parmi les conséquences mentionnées, on retrouve l'impact négatif sur autrui, les pertes de relations, la perte des enfants, la perte d'emploi, ou encore la commission d'actes violents ou inappropriés tels la consommation de substance et des délits pouvant mener à la judiciarisation:

"[...] ça va avoir un impact sur les relations là avec leurs proches puis que justement leur entourage ou leur réseau social vont avoir tendance à vouloir s'éloigner de cette personne-là justement parce qu'elle va faire comme soit des crises ou que ça l'affecte vraiment ses relations sociales là" (Émilie)

" la colère comme que j'dis ça peut être adéquat, ça peut être correct, mais maudit qu'y en a beaucoup qui finissent avec des ... des ... des charges, des dossiers criminels, à cause de cette, ben pas à cause de l'émotion, mais à cause de leurs conduites [...] Donc, ben évidemment c'est quand que on... y a des signes t'sais des gens qui s'éloignent de toi, la perte d'amis, la perte de relations, bon les échecs, les pertes d'emploi, j'sais pas j'viens peut-être ... j'l'ai déjà nommé bref toutes les pertes qui s'engendrent par rapport aux gens alentours de nous, les malaises qu'ont peut créer," (Michael)

"Ça t'amène à faire des choses encore là que si tu l'as laissé prendre toute la place, serait probablement pas ça si t'était plus, moins pas plus, mais moins affecté, moins en colère. On l'voit des gens en colère ça consomme souvent, ça prend des ... ça fait des mauvais choix parce que c'est sous l'émotion tout l'temps." (Mathilde)

4.1.3 Colère vs Violence

La plupart des intervenants rencontrés s'accordent pour dire que colère et violence sont deux formes d'expérience distinctes. Michael a d'ailleurs insisté pour faire cette distinction lors de la rencontre. Voici ce qu'il suggère:

" [...] en premier lieu, j'trouve que c'est important de ... de ... de ...

bien connaître la distinction entre les deux parce que la violence c'est le comportement c'est c'qui vise à contrôler, c'est c'qui cause l'intimidation d'la peur, des douleurs aux autres personnes. Donc une fois qu'ça c'est saisi c'est déjà un bon début t'sais j'veux dire là on met les choses en perspective, là c'est ... ton claquage de porte, ton criage, ton traitage d'... c'est plus d'la colère ça là là. Ta colère, tu ... t'as manqué ton coup tu l'as pas gérée là. Là t'es en train de blesser les gens avec les ... parce que justement tu comprends pas c'qui s'passe t'as pas fait d'introspection t'as pas réfléchi en premier lieu j'dirai ça."