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PARTIE II : Les artistes azuréens au cœur de l’enquête

Chapitre 2. Qui sont les artistes azuréens ?

2. Une profession masculine

L’enquête a mis en évidence l’inexistence de discrimination à l’entrée des femmes dans le champ artistique, ces dernières représentant presque la moitié de notre population d’artistes. Néanmoins, leur chance de réussite dans ce domaine reste particulièrement faible même si une évolution est perceptible en la matière.

Les femmes ont toujours eu une pratique artistique que ce soit pendant l’Antiquité, au Moyen Âge ou à la Renaissance. Le XIXe siècle, plus qu’aucun autre ne voit l’association entre les femmes et la pratique artistique, néanmoins celle-ci était avant tout considérée comme une activité de loisir.

Dans les milieux bourgeois du XIXe s, il était de bon ton que les jeunes filles de bonne famille apprennent le piano, mais aussi le dessin ou l’aquarelle. En ce sens, l’activité artistique féminine reste encore aujourd’hui assimilée à une activité de loisir à forte connotation sociale. C’est là le paradoxe de l’activité artistique féminine : nombreuses dans le

78 Citation extraite du site officiel de la ville de Nice. 79 B

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domaine des Arts Plastiques, leur chance de réussite dans le milieu est très faible. La reconnaissance artistique varie significativement en fonction du sexe comme le constate Raymonde Moulin80. D. Pasquier précise quant à lui que les femmes « ont moins de quatre

chances sur cent de se situer dans le groupe de forte visibilité sociale81. »

Dans le monde de l’art, la pratique artistique féminine reste assimilée à de l’amateurisme. Ainsi, pour D. Pasquier, les femmes artistes ont évité pendant longtemps le domaine arts majeurs préférant s’épanouir dans des formes artistiques moins prestigieuses et délaissées par les hommes. Cette attitude réduisait certes leur prestige, mais leur facilitait la vie sur le plan économique et en termes de représentation. « Avoir de l’audace à la fois dans

son milieu, dans sa carrière, et dans sa conduite pouvait conduire à la catastrophe82. » Au

XIXe s, le discours médicalisé des hommes de lettres et de sciences, cautionnant les idéologies bourgeoises plaçait la femme comme une éternelle mineure dont la seule planche de salut se trouvait dans l’enfantement. Toute femme sortant de ce devoir était marginalisée et dépréciée. Les Arts ne faisaient pas exception à la règle. Tout était mis en œuvre par les hommes pour empêcher les femmes d’entreprendre des carrières artistiques. Comme le dit si bien Anne Higonnet, dans le domaine spécifique des arts, l’obstacle le plus important que rencontraient les femmes qui voulaient faire carrière était lié à l’idée de génie. Cette notion était intrinsèquement liée à la masculinité. Les femmes artistes qui tentaient de se faire reconnaître dans les arts majeurs étaient donc impitoyablement raillées et tournées en dérision. On les accusait d’imiter et de plagier les œuvres masculines relevant du génie, la science légitimant par des « preuves irréfutables » une prétendue infériorité intellectuelle du sexe faible. Ces théories discriminatoires, répandues dans l’ensemble des mentalités du XIXe siècle, portèrent leurs fruits et les femmes suffisamment obstinées pour pouvoir poursuivre n’étaient pas reconnues. Des artistes peintres comme Louise Breslau ou Virginie Demont- Breton, autrefois connues sont maintenant tombées dans l’oubli. Les sculptures si sensuelles et travaillées de Camille Claudel ont été « effacées » de l’histoire de l’art pendant des années, de même que les œuvres de Rosa Bonheur qui n’ont été « redécouvertes » que récemment. À de rares exceptions, comme celles de Mary Cassatt et de Berthe Morisot, les femmes peintres célèbres étaient rarissimes. Celles qui souhaitaient entreprendre une carrière dans les arts se

80 MOULIN (R.), Artistes. Essai de morphologie sociale, op.cit.

81 PASQUIER (D.), « Carrières de femmes : l’art et la manière », Sociologie du travail, n°4, 1983, p. 418-431,

citation p. 420.

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heurtaient à l’idéologie bourgeoise qui les suspectait d’amoralité. C’est d’ailleurs en détournant à leur profit les idées misogynes dominantes que des artistes telles que Mary Cassatt et Berthe Morisot purent accéder à de brillantes carrières. Mary Cassatt fit ainsi l’éloge de la maternité et des relations mères- enfants à travers des œuvres telles que « Le berceau ». C’est probablement dans ce cadre que l’on peut également placer l’Anglaise Béatrix Potter, devenue très célèbre pour ses illustrations de livres pour enfants.

Cela dit, ces femmes artistes restèrent des exceptions, la plupart d’entre elles évitant les domaines contestés des arts majeurs. Se retranchant vers l’artisanat et les genres mineurs en peinture, elles pouvaient plus facilement gagner leur vie, tout en exprimant à travers leurs œuvres leurs doutes et leurs espérances. Nous retrouvons donc les femmes artistes dans des tâches féminines traditionnelles, ceci leur permettant, cependant parfois d’entreprendre de brillantes carrières.

De cet héritage perdure une discrimination à l’égard des femmes artistes souvent assimilées à des amateurs. Selon certains acteurs de l’Art, il y aurait même manière de peindre typiquement féminine. Si ces stéréotypes s’estompent progressivement, les femmes étant de plus en plus présentes dans le milieu artistique professionnel et représentant la moitié des effectifs des écoles d’art, leur reconnaissance par le milieu politico-artistique reste encore incertaine. Et ce d’autant que le mariage ou la naissance d’un enfant marquent souvent la suspension de leur carrière artistique, si ce n’est leur arrêt définitif. Entre leur vie familiale et professionnelle (beaucoup d’artistes ne pouvant vivre uniquement de leur art), de nombreuses femmes se retranchent du milieu de l’art, ne conservant qu’une activité artistique personnelle. Il est à ce titre nécessaire de constater que les femmes artistes reconnues sont nombreuses à être célibataires ou divorcées.