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PARTIE II : Les artistes azuréens au cœur de l’enquête

Chapitre 2. Qui sont les artistes azuréens ?

1. Une profession essentiellement urbaine

Au vu des entretiens et des rencontres fortuites, il est très vite apparu que la profession artistique est essentiellement urbaine. On constate que sur l’ensemble des enquêtés plus des trois quarts vivent dans des communes de plus de vingt mille habitants.

L’éloignement vis-à-vis des grands pôles urbains peut signifier pour l’artiste deux situations aux antipodes l’une de l’autre. Dans un premier cas, la vie à la campagne s’accompagne très souvent de l’image romantique de l’artiste méconnu, solitaire, méprisant les mondanités urbaines et la superficialité des rapports à entretenir avec les confrères, les galeristes et les responsables culturels. En ce sens, le choix de l’artiste de résider dans des

69 MOULIN (R.), op.cit. 70 VESSILLIER (M.), op.cit. 71 LIOT (Fr.), op.cit.

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communes de moins de vingt mille habitants constitue un réel obstacle à son intégration au milieu politico-artistique azuréen et par voie de conséquence à sa reconnaissance.

Mais dans un autre cas, le choix de résider loin de la ville, peut incarner la réussite artistique du « génie créateur » n’ayant plus la nécessité de réactualiser ses relations tant son niveau de reconnaissance l’empêche de tomber dans l’oubli, toute rencontre étant plus avantageuse pour les autres que pour lui-même du fait de sa notoriété.

Ce type de situation reste cependant marginal tant la réussite artistique se fait attendre longtemps. La part des artistes ayant une faible visibilité sociale est importante parmi les personnes interrogées ayant moins de quarante-cinq ans, et très faible parmi les plus connus. La majorité de ces derniers ont plus de soixante ans.

C’est pourquoi les artistes ont tout intérêt à vivre en ville ou dans l’arrière-pays proche d’un grand centre urbain afin de bénéficier de la proximité et du nombre des cercles artistiques et de leurs réseaux. La ville offre en effet de nombreuses opportunités de carrière : c’est là que les artistes entrent en relation avec les principaux acteurs du milieu politico artistique. Qu’il s’agisse de responsables de galeries, de conservateurs de musée, de représentants des conseils municipaux, généraux ou régionaux, de directeurs de F.R.A.C., le milieu urbain est propice aux interactions avec les différents acteurs du milieu de l’art et de la politique culturelle.

De Menton à Cannes, de Vallauris à Vence, plus de cinquante musées, centres d’art et galeries émaillent le tissu urbain de la Côte d’Azur.

Les musées de la Côte d’Azur ne cessent de croître depuis les années cinquante. Le musée Fernand Léger à Biot, la fondation Maeght de St-Paul-de-Vence, le Musée Matisse et le Musée Picasso, le Musée Chagall, le Musée Cocteau à Menton, le Musée de la Céramique et de l’art moderne de Vallauris, le musée de la photographie de Mougins, le musée d’art concret, le M.A.M.A.C. à Nice sont autant d’institutions qui ont pu ou peuvent accueillir les différents artistes de la région.

Nombre d’entre eux ont pu également exposer dans des galeries d’art régionales telles que la galerie Aimé Maeght qui ouvre ses portes à Cannes puis à Paris en 1946, ou la librairie Jacques Matarasso à Nice. Ce dernier, libraire spécialisé dans la vente de livres anciens et modernes, exposait aussi à la vente des estampes originales et modernes. Très rapidement, cette librairie-galerie devint un lieu de rencontre d’écrivains et d’artistes dont les futurs membres de l’école de Nice (Arman Farhi, Gilli, Venet...). Laure Matarasso en 1993, succède

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à son père et continue à travailler dans la même voie. À côté de ces galeries régionales sont également présentes des galeries municipales telles que celles de la Marine et des Ponchettes et bien d’autres comme la galerie Longchamps, la galerie Muratore dans les années cinquante et soixante, la galerie Catherine Issert, la galerie Sapone. Il est à noter la présence du le Studio-Photo Ferrero, puis Latitude, Air de Paris et Art Concept, galeries plus récentes.

À côté de ces lieux d’art, il convient d’évoquer aussi l’importance des résidences, ateliers, habitations, centres culturels qui ont accueilli performances et manifestations culturelles telles que l’Abbaye de Roseland, la chapelle du Rosaire à Vence, la Villa Arson à Nice, le théâtre total et le théâtre de Nice, les jardins de chez « Malabar et Cunégonde », mais aussi à des lieux atypiques comme le Laboratoire 32, la galerie Calibre 33, le Space 640 de St- Jeannet, le Garage 103, la M.J.C. Gorbella, la Station, la Sous-station Lebon, La Maison, le Dojo, Espace A VENDRE.

La Ville de Nice est de loin la ville la mieux dotée de la Communauté d’Agglomération Nice Côte d’Azur en terme d’infrastructures culturelles d’où la plus forte concentration d’artistes. Une vingtaine d’années auparavant, c’était essentiellement à Marseille qu’on les rencontrait. Mais peu à peu, Nice tend à s’affirmer. "À condition d’en

partir souvent, Nice est une excellente base. Il est beaucoup plus facile de trouver ici des espaces de travail, et surtout de se concentrer sur sa création", souligne le plasticien et

musicien Arnaud Maguet lors d’un entretien72.

Comptant à elle seule le plus grand nombre de musées et de galeries de la Côte d’Azur, elle détient également le monopole de la formation artistique par le biais de la Villa Arson, anciennement, Ecole des Arts Décoratifs. L’école draine vers la ville les apprentis artistes qui y posent bien souvent leurs valises et acquièrent grâce à elle les premières marques de reconnaissance en s’immergeant dans le milieu artistique azuréen. D’ailleurs, un grand nombre de jeunes artistes formés à la Villa Arson qui désiraient rester à Nice se sont regroupés au sein de l’association La Station depuis 1996, cette ville leur apparaissant comme la plus apte à leur permettre de percer dans le milieu artistique. Pour Cédric Teisseire, président et fondateur de l’association : « On était plusieurs artistes qui la même année, ont

obtenu notre diplôme à la Villa Arson. Le problème, c’était de trouver le moyen de rester à

72 Article d’Emmanuelle Lequeux, « La Côte d'Azur reste un bel endroit pour les artistes », quotidien le Monde,

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Nice (…) Nice nous apparaissait comme une plateforme évidente de pratiques artistiques et de rendez-vous avec des artistes de grande qualité73.» La Station était à l’origine un squat

installé dans une ancienne station-service, réunissant des ateliers d’artistes et un lieu d’exposition, avant d’investir un hôpital désaffecté. Depuis 2009, l’association s’est installée dans les anciens abattoirs.

Mais les institutions locales étaient alors en pleine restructuration et certaines galeries venaient de quitter la cité pour la capitale. « Il se trouve qu’en 1995, un petit peu avant que

l’on ait l’idée de faire la Station et qu’on récupère le bâtiment, plusieurs galeries qui étaient à Nice, qui avaient fait leur début à Nice avec de jeunes artistes qui commençaient à marcher, sont parties à Paris74. Le directeur de la Villa Arson lui aussi, a quitté son poste de Nice75 et l'on s’est retrouvé cette année-là avec vraiment une perte d’activité globale. Le M.A.M.A.C. était aussi en transition de direction, enfin il n’y avait pas vraiment de vie culturelle. C’était vraiment une période assez morte. C’est pour ça que l’on s’est posé la question de savoir si l'on restait sur Nice, ou d’aller tenter de trouver des espaces de travail ailleurs 76», dira

Cédric Teisseire. La solution la plus évidente pour un jeune artiste en devenir est de partir à Paris pour percer. Le centralisme artistique parisien français perdure. En effet, malgré les lois de décentralisation et il est beaucoup plus facile de s’immerger dans le milieu de l’art à Paris qu’en province. Mais la capitale présente également des inconvénients : « il faut trouver des

moyens de subsistance. Il faut les moyens de payer un espace de travail conséquent parce que la vie est difficile. En revanche, il y a les contacts et les possibilités sont énormes. Mais, on n’avait pas envie d’être obligé à ce type de choix c’est-à-dire de partir ailleurs. Et ce que l’on a voulu faire, c’était préserver cette flamme, cette activité et aussi la pertinence de la ville dans le domaine de la culture77. »La Station a vraiment été une réussite, accueillant en deux ans 10 000 visiteurs, des chiffres qui ont visiblement rassuré le député-maire Christian Estrosi, à l’origine de la transformation des abattoirs en véritable plateforme culturelle. Ce sont dans ces mêmes abattoirs, que le député-maire a lancé un important projet culturel, piloté par l’actrice Sophie Duez, le chantier « Sang neuf » dont l’objectif est : « de créer en ces lieux

une plateforme transdisciplinaire de création, formation, production et diffusion pour les

73 Entretien réalisé le 04.11.08.

74 Il fait référence à deux galeries : les galeries Art Concept et Air de Paris. 75Il s’agit de Christian Bernard.

76 Entretien réalisé le 04.11.08.

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créatifs, les chercheurs, les entrepreneurs, les industries et les structures associatives, dans les domaines des arts, des sciences et des nouvelles technologies 78. »

Même si ce dernier projet reste encore hésitant, la ville de Nice apparaît comme le lieu privilégié de la sociabilité artistique. Elle joue un rôle prépondérant dans l’intégration des artistes aux divers réseaux locaux, incarnant le pôle attractif principal de la Côte d’Azur.

La ville apparaît donc comme un média majeur permettant aux artistes d’entretenir et de compléter leur « capital social », qui selon Pierre Bourdieu, désigne : « l’ensemble des

ressources actuelles ou potentielles d’un agent qui sont liées à un réseau durable de relations plus ou moins institutionnalisées d’interconnaissance et d’inter-reconnaissance79.» Résider

en ville et notamment à Nice, où les institutions spécialisées en art contemporain sont nombreuses, multiplie les chances d’ascension professionnelle favorisant les occasions de rencontres avec les principaux représentants culturels des diverses collectivités, des galeristes et autres responsables d’institutions culturelles notamment lors des vernissages propices à l’accroissement des divers cercles.