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Par ailleurs, dans les productions journalistes du Monde, des Échos et de Libération , nous avons cherché si des « experts » ou des acteurs politiques (hors exécutif français) étaient cités par les

journalistes. Pour ce faire, nous avons relevé chaque reprise de propos d’un « expert » ou d’un

acteur politique dans les productions journalistiques. Le tableau ci-dessous présente les

résultats

577

.

Tableau 10 : citation des « experts » ou des acteurs politiques (hors exécutif français) dans les articles du Monde, de Libération et des Échos

Krach boursier de 1987

Libération (40)578

Pas précisé579 15 (37,5%)

Ronald Reagan (Président des États-Unis 4 (10%) Gerhard Stoltenberg (Ministre fédéral des

Finances)

2 (5%) Pierre Bérégovoy (député au moment de la

citation) 1 (2,5%)

Le Monde (46)

Pas précisé 10 (21,5%)

Pierre Bérégovoy 2 (4,5%)

James Baker (secrétaire du Trésor des États-Unis) 2 (4,5%) Jean Peyrelevade (haut fonctionnaire) 2 (4,5%)

LesÉchos (45)

Pas précisé 9 (20%)

Xavier Dupont (Président de la Société des

bourses françaises 1 (2%)

Edmond Alphandéry (homme politique) 1 (2%) Edward Markey (homme politique étasunien) 1 (2%)

Crise asiatique de 1997-1998

Pas précisé 10 (24,5%)

577 Pour une raison d’économie de place, les résultats ne sont pas présentés dans leur totalité ; cf. « Annexe 2 : Grilles d’analyse de corpus », p. 35

578 Le chiffre entre parenthèses correspond au nombre total de productions journalistiques analysées par rapport à la catégorie « citation des « experts » ou des acteurs politiques »

579 Le résultat « pas précisé » correspond aux citations d’acteurs dont le nom, le statut et l’institution ne sont pas précisés par le journaliste.

Libération (41) Hans Tietmeyer (Président de la Bundesbank)Alan Greenspan (Président de la FED) 2 (5%)2 (5%) Michel Camdessus (Directeur du FMI) 2 (5%)

Le Monde (48)

Pas précisé 8 (32%)

Robert Rubin (Secrétaire du Trésor des États-Unis) 6 (16,5%)

Michel Camdessus 5 (10,5%)

Alan Greenspan 3 (6,5%)

Les Échos (69)

Pas précisé 13 (19%)

Michel Camdessus 6 (8,5%)

Fadhel Lakhouna (Économiste) 2 (3%)

Christian de Boissieu (Économiste) 2 (3%)

Crise des subprimes de 2007-2008

Libération (74)

Pas précisé 12 (16%)

Christian de Boissieu 4 (95,5%)

Philippe Waechter (Économiste) 3 (4%)

Jean-Paul Fitoussi (Économiste) 3 (4%)

Le Monde (126)

Pas précisé 40 (31,5%)

Ben Bernanke (Économiste) 7 (5,5%)

Jean-Louis Mourier (Économiste) 6 (5%)

Christian Parisot (Économiste) 6 (5%)

Les Échos (151)

Pas précisé 20 (13%)

Jean-Claude Trichet (Président de la BCE) 6 (4,5%) Hank Paulson (Secrétaire du Trésor des

États-Unis) 4 (2,5%)

Charlie McCreevy (Commissaire européen) 3 (2,5%)

Dans ces résultats, il est clair que les « experts » et les acteurs politiques hors de l’exécutif

français sont plus souvent cités que les membres de l’exécutif. Dans la totalité des productions

journalistiques des Échos, du Monde et de Libération, le recours aux propos de ces acteurs

dépasse toujours 50 %. Pourtant, il est possible d’aller au-delà de ces résultats et effectuer une

comparaison entre l’« expert » ou l’acteur politique le plus cité et le membre de l’exécutif

français le plus cité. Le tableau ci-dessous présente cette comparaison.

Tableau 11 : comparaison entre le membre de l’exécutif le plus cité et autre acteur le plus cité dans les articles du Monde, de Libération et des Échos

« Krach boursier de 1987 »

Libération (% sur 40 articles de presse) Membre de l’exécutif le plus cité et autre acteur le plus cité :

Édouard Balladur (10%) / Ronald Reagan (10%)

Le Monde (% sur 46 articles de presse) Membre de l’exécutif le plus cité et autre acteur le plus cité :

Édouard Balladur (17,5%) / Pierre Bérégovoy (7,5%) Les Échos (% sur 45 articles de presse) Membre de l’exécutif le plus cité et autre acteur le plus cité :

« Crise asiatique de 1997-1998 »

Libération (% sur 41 articles de presse) Membre de l’exécutif le plus cité et autre acteur le plus cité :

Dominique Strauss-Kahn (12%) / Hans Tietmeyer (5%) Le Monde (% sur 48 articles de presse) Membre de l’exécutif le plus cité et autre acteur le plus cité :

Dominique Strauss-Kahn (4%) / Robert Rubin (12,5%)

Les Échos (% sur 69 articles de presse) Membre de l’exécutif le plus cité et autre acteur le plus cité :

Dominique Strauss-Kahn (13%) / Michel Camdessus (8,5%)

« Crise des subprimes de 2007-2008 »

Libération (% sur 74 articles de presse) Membre de l’exécutif le plus cité et autre acteur le plus cité :

Nicolas Sarkozy (21,5%) / Christian e Boissieu (5,5%) Le Monde (% sur 126 articles de presse) Membre de l’exécutif le plus cité et autre acteur le plus cité :

Nicolas Sarkozy (15%) / Ben Bernanke (5,5%)

Les Échos (% sur 151 articles de presse) Membre de l’exécutif le plus cité et autre acteur le plus cité :

Christine Lagarde (10,5%) / Jean-Claude Trichet (6%)

L’« expert » et ou l’acteur politique le plus cité (il n’y a qu’une exception pour Le Monde

pendant la « crise asiatique de 1997-1998 ») ne l’est pas autant que le membre de l’exécutif le

plus cité par Les Échos, Le Monde et Libération. D’après Y. de la Haye, la citation est un

« instrument de signification capital, parce qu’elle permet de donner la parole, de tronquer la

parole, de camoufler sa parole, de tenir à distance la parole »

580

. Il est donc significatif qu’un

ministre ou le Président soit l’acteur le plus cité dans les productions journalistiques. Cela révèle

que la parole des membres de l’exécutif est la plus mobilisée par les journalistes et que, en

conséquence, la définition étatique d’une « crise financière internationale » est potentiellement

la plus utilisée.

Cela amène à s’intéresser au rôle de « définisseur primaire » assumé par l’État pendant une

« crise financière internationale ». Dans ce rôle, l’État se montre comme un acteur dominant de

la définition de cet événement.

3.2.2 – La construction de l’événement par la presse quotidienne

nationale : le rapport avec l’État comme « définisseur primaire »

La notion de « définisseur primaire » a été apportée par S. Hall et ses collaborateurs

581

. Pour ces

auteurs, les productions des journalistes ne décrivent pas l’événement en tant que tel qu’il est ou

a été, mais ils proposent plutôt une interprétation de celui-ci. Ils fournissent une manière

d’interpréter les événements ou les faits, qu’ils le veuillent ou non, car il est impossible de traiter

un événement en temps réel – à l’exception des événements prévisibles et anticipés comme une

rencontre sportive. La plupart de leur production se fait après coup et entraîne un travail de

reconstitution du sens et des faits – n’étant par ailleurs pas à l’abri d’erreurs ou

580 de la HAYE Yves, op. cit., 2005, p. 108 581 HALL Stuart et al., op. cit.

d’incompréhensions. En évoquant les travaux en herméneutique de P. Ricoeur dans le chapitre

précédent

582

, a été évoqué le fait que la mise en récit constituait l’événement en lui-même.

Raconter un événement c’est le construire dans cette perspective. De ce fait, le travail des

médias dans leur production de nouvelles correspond au travail de communication des membres

de l’exécutif. Ils contribuent tous les deux à construire l’événement. Bien entendu, ces

constructions ne sont ni les mêmes, ni ne possèdent la même légitimité.

Selon S. Hall et al., les nouvelles, formant un événement, sont le fruit d’un travail social qui

s’appuie sur la « valeur de nouvelles » ou « news value »

583

. Ces valeurs de nouvelles ne sont

pas écrites comme des règles mais sont des impératifs explicites de sélection. Il existe également

trois aspects centraux dans la production sociale des nouvelles au sein d’un média. La

bureaucratie impose une division précise du travail et une sélection des nouvelles. Ensuite, la

structure des valeurs de nouvelles précise la sélection et le classement des nouvelles selon les

catégories décidées. Enfin, le troisième aspect est la construction de la nouvelle elle-même.

Cette étape de la production est déterminante car c’est à ce moment que le sens de l’événement

est construit par les médias ; « un événement peut seulement faire sens s’il peut être localisé

dans le cadre d’identifications sociales et culturelles connues »

584

. Les valeurs de nouvelles

indiquent que les médias sélectionnent ce qui forme une nouvelle. La production sociale de

l’information n’est donc en aucun cas la description de l’événement en lui-même. Elle est une

opération qui vise à rendre compréhensible un événement dans une société.

Il se trouve là, à notre sens, un lien fort avec le « stock social de connaissances » de P. Berger et

T. Luckmann

585

. En effet, ce stock permet aux individus de donner du sens à des événements et à

se référer à une réalité objective. Les auteurs britanniques de leur côté évoquent des « cartes de

sens » (« maps of meaning »)

586

qui procèdent d’un consensus social de la production des

nouvelles. Les journalistes rendent intelligible un événement aux lecteurs et aux consommateurs

par ce processus social de production et à l’aide d’un consensus autour d’un schème

interprétatif. Pour cette raison, le rôle des médias est primordial dans la construction des

événements car « les médias définissent pour la majorité de la population quels événements

582 Cf., « 3 – Les capacités étatiques de la définition de la « réalité », p. 124 583Ibid., p. 54

584 HALL Stuart et al., op. cit., p. 54 ;  « An event only « makes sense » if it can be located within a range of known social and cultural identifications »

585 BERGER Peter, LUCKMANN Thomas, op. cit., p. 61 586 HALL Stuart et al., op. cit., p. 55

importants ont lieu, mais, aussi, ils offrent des interprétations puissantes sur la manière de