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Les contextes socio-historiques dans lesquels se sont développées les trois « crises financières internationales » sont rattachés à différents processus exogènes au secteur financier et ayant un

effet sur le déroulement de ces « crises ». Ici, le gouvernement de la société est le premier

concerné car les décisions de déréglementation du secteur financier sont, en partie, à l’origine de

la survenue de ces « crises »

59

. La politique, dans sa capacité à mettre en scène des idées et des

valeurs, a aussi servi à justifier ces politiques de déréglementation. L’expression « tournant

libéral » est parfois utilisée pour traduire cette conversion des acteurs politiques français au

néo-libéralisme

60

. Le politique et la politique français sont alors des éléments moteurs de la direction

du secteur financier et, en ce qui concerne la « crise », ils sont aussi bien à l’origine de son

déclenchement que de son règlement. Plus généralement, la manière dont la France est

gouvernée dépend d’un « mélange » entre le politique et la politique, entre le « mécanisme du

processus décisionnel qui permet de prendre des décisions engageant la collectivité »

61

et la

« compétition et les conflits entre les individus et les groupes qui se développent pour contrôler

le pouvoir décisionnel et orienter les décisions prises »

62

. Cette dernière définition du

politologue français J.-L. Loubet Del Bayle paraît large en incluant « les individus et les

groupes ». Il ne s’agit pas de dire que ces derniers n’ont pas de pratiques politiques. Mais dans

le cadre de notre recherche, nous insistons plutôt sur une forme spécifique de compétition

politique dont la victoire donne droit à un contrôle ou, au moins, à une capacité d’influence plus

forte qu’un citoyen « normal », sur la police, la justice, les administrations, la législation,

l’économie, etc. Quant à sa définition du politique, elle est appropriée car elle appuie l’idée

d’acteurs ou d’individus décidant d’orientations pour la France entière.

Ce « mécanisme décisionnel » est de nature étatique, surtout et principalement dans les

contextes de « crise financière internationale » nous intéressant. Bien entendu, en France, les

pratiques politiques peuvent se dérouler en dehors des sphères de l’État. Toutefois, quelle

59 Les décisions de déréglementation sont en partie seulement responsables des « crises financières internationales ». Il existe deux autres composantes moteurs à l’origine de ces crises qui sont résumées dans l’expression des « Trois D » (déréglementation, décloisonnement, désintermédiation). Ceux-ci ont favorisé les innovations financières, comme la titrisation (possibilité de transformer des créances en titres financiers) d’après l’économiste J. Adda ; ADDA Jacques, La mondialisation de l'économie. De la genèse à la crise. Paris : La découverte, 2012, 344 p. (Grands Repères. Manuels)

60 JOBERT Bruno, « Introduction : Le retour du politique », IN : JOBERT Bruno (dir.), Le tournant néo-libéral en Europe. Paris : L'Harmattan, 1994, pp. 9-20

61 LOUBET DEL BAYLE Jean-Louis, « De la science politique » [Document en ligne] Annales, 1989, vol 37, p. 14. Disponible sur : http://classiques.uqac.ca/contemporains/loubet_del_bayle_jean_louis/ de_la_science_politique/de_la_science_politique_texte.html (consulté en octobre 2015)

institution peut se clamer d’autant de légitimité et d’autorité que l’État pour engager la

collectivité ? Pour la société française, l’État est la seule institution à déterminer l’universel,

d’après P. Bourdieu

63

, sociologue français. De plus, avec P. Rosanvallon, historien et sociologue

français, il est possible de rappeler que le jacobinisme (que P. Rosanvallon appelle « culture

politique de la généralité »

64

), dès son origine, correspond à une volonté étatique d’unifier la

nation

65

. Ainsi, « la culture politique de la généralité est restée dans les têtes avec toutes ses

conséquences en termes de conception de la souveraineté ou de l’intérêt général »

66

. L’État

contribue lui-même à former les attentes des citoyens vis-à-vis des façons dont la société

française peut et doit être gouvernée.

Entre la compétition des candidats à l’élection et le gouvernement des élus de la société,

c’est-à-dire entre la politique et le politique, il n’existe pas de fossé qui les différencierait radicalement.

Force est de constater que l’issue de la compétition a des effets sur la façon dont la société est

gouvernée. Par ailleurs, c’est bien un certain régime politique, la « démocratie représentative »,

qui présente les élections comme la façon la plus légitime de gouverner. Pour le politologue

français P. Braud, la politique est une scène pour cacher « la nature réelle – contraignante,

oligarchique – de l’État »

67

. Il poursuit cette idée en parlant d’une dé-réalisation, entraînée par

une théâtralisation des problèmes de société, utilisés comme arguments pour vaincre

l’adversaire. Sur ce point, les exemples concernant les promesses d’élection qui ne sont pas

tenues sont très nombreux

68

et donnent raison à P. Braud. Nous souscrivons donc à la critique

d’une dé-réalisation de la politique. Par contre, nous ne pensons pas que cette mise en scène

serve à cacher la domination étatique. Bien au contraire, elle est une expression de sa

domination. Si celui-ci devait perdre son autorité, il devrait faire face à un épisode de révolution

et à vrai dire, comme l’indique P. Bourdieu, « toute domination symbolique suppose de la part

de ceux qui la subissent une forme de complicité qui n’est ni soumission passive, ni adhésion

libre à des valeurs. »

69

Par ailleurs, P. Braud précise que le suffrage universel sert à renforcer la

63 BOURDIEU Pierre, Sur l'État. Cours au Collège de France (1989-1992). Paris : Seuil : Raisons d'agir, 2011, pp. 161-166 (Cours et travaux)

64 ROSANVALLON Pierre, Le modèle politique français : la société civile contre le jacobinisme de 1789 à nos jours. Paris : Éditions de Seuil, 2004, p. 13 (Histoire)

65 Ibid., p. 13 66 Ibid., p. 432

67 BRAUD Philippe, Le suffrage universel contre la démocratie. Paris : Presses Universitaires de France, 1980,p. 20

68 Prenons un exemple proche de notre sujet de recherche. Pendant la campagne présidentielle de 2012, François Hollande annonce dans son programme officiel (p. 10) « Je séparerai les activités des banques qui sont utiles à l’investissement et à l’emploi, de leurs opérations spéculatives ». Au final la loi du 26 juillet 2013 ne sépare pas totalement les activités de crédit des activités « spéculatives », elle déplace ces dernières dans une filiale ; https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000027754539&categorieLien=id

domination de l’État, en rendant le pouvoir d’État « acceptable aux yeux des citoyens »

70

. Dès

lors, selon cet auteur, chaque suffrage renforce cette domination par l’acquiescement des

citoyens à la légitimité de l’État. La répétition du rite, constitué par les élections, à travers les

années contribue à assurer sa viabilité. Seulement, la désaffection traduite par des taux

d’abstentions élevés pousse à s’interroger sur le suffrage universel comme instrument définitif

de la légitimité étatique.

La pensée de P. Rosanvallon est adaptée à la situation contemporaine de la société française.

Selon l’historien français, le politique c’est « parler du pouvoir et de la loi, de l’État et de la

nation, de l’égalité et de la justice, de l’identité et de la différence, de la citoyenneté et de la

civilité, bref de tout ce qui constitue une cité »

71

, et la politique est le « champ immédiat de la

compétition partisane pour l’exercice du pouvoir, de l’action gouvernementale au jour le jour et

de la vie ordinaire des institutions »

72

. Cette distinction est claire, entre la compétition partisane

que se font des partis politiques et les éléments constituants l’État-nation, et fait écho aux

définitions de P. Braud et J.-L. Del Bayle. Les définitions de P. Rosanvallon se situent plus dans

une réflexion sur la démocratie. Elles pensent celle-ci comme une mise en forme du social et

comme l’institution d’une communauté, découlant à la fois d’une lutte explicite pour la maîtrise

des monopoles étatiques et du gouvernement de la société par des individus spécifiques, des

normes, des valeurs et des actions (dont la communication de l’État), etc.

Les travaux de P. Rosanvallon font le lien entre la direction des hommes dans une société et la

mise en scène d’une compétition pour le contrôle de cette direction. Comme nous l’avons déjà

indiqué, cette compétition recueille l’adhésion des citoyens. Le suffrage universel est même à

l’origine d’une « légitimité dérivée de la reconnaissance sociale d’un pouvoir »

73

. La

communication de l’État a en conséquence un rôle important à jouer dans la politique et le

politique français ainsi que dans la domination étatique. Nous verrons dans le premier chapitre

de cette partie, après avoir exposé les différentes formes de mise en public de l’État abordées en

sciences de l’information et de la communication, les raisons qui expliquent que les membres de

l’exécutif sont les seuls en France à pouvoir incarner l’État. Les ministres et le Président de la

République constituent un groupe professionnel du champ politique, qui font usage du

monopole de la représentation-incarnation de l’État – un type spécifique de représentation que

70 BRAUD Philippe, op. cit., p. 64 ; c’est l’auteur qui souligne

71 ROSANVALLON Pierre, Pour une histoire conceptuelle du politique :leçon inaugurale au Collège de France faite le jeudi 28 mars 2002. Paris : Éditions du Seuil, 2003, p. 14

72 Ibid., p. 14

73 ROSANVALLON Pierre, La légitimité démocratique : impartialité, réflexivité, proximité. Paris : Éditions du Seuil, 2008, p. 14 (Les livres du nouveau monde)

nous expliquerons dans le premier chapitre. Une des formes les plus fréquentes de ce monopole

réside dans les activités de communication du Président et des ministres. Elles sont alors une

expression symbolique forte, permettant l’incarnation par les membres de l’exécutif de cette

figure abstraite mais très puissante et effective qu’est l’État. Dans le deuxième chapitre de cette

première partie, nous nous arrêterons sur la domination et l’autorité étatiques, ainsi que sur les

capacités définitoires de l’État, expliquant que la communication de l’État participe au

gouvernement de la société française.

En bref, cette première partie a pour objectif d’expliquer la forme légitime de la communication

de l’État dans l’organisation politique de la société française. Elle servira à répondre aux

questions suivantes : à quoi sert la communication de l’État dans le cadre du gouvernement de la

société ? pourquoi peut-elle assurer, en partie, ce gouvernement ? pourquoi les membres de

l’exécutif ont la capacité d’incarner l’État à travers la communication de l’État ?

Chapitre 1 : la dimension symbolique de la

communication de l’État

Le chapitre 1 s’attachera à la signification de l’incarnation de l’État par les ministres et le

Président de la République grâce à la communication. Dans ce chapitre sera traitée la première

hypothèse qui porte sur les contraintes formelles de la communication de l’État. Il sera surtout

relevé les contraintes imposées par le régime politique français. Le rattachement de ce dernier à

des valeurs et des institutions dites démocratiques limitent toute tentative de pratique autoritaire.

La légitimité à gouverner est dès lors indispensable pour les membres de l’exécutif. La

communication de l’État, tout en étant dépendante de cette légitimité, sert à la renforcer. Nous

verrons que, d’un côté, les membres de l’exécutif sont légitimes à incarner l’État parce qu’ils ont

été désignés par le fonctionnement de la République française pour le faire. Le Président a été

élu et il a ensuite, conformément à la Constitution, nommé des ministres sur proposition du

Premier ministre. De l’autre côté, la communication renforce la légitimité de l’État car, elle

correspond à ce qu’il est, légalement et socialement, autorisé de faire pour gouverner la société.

Comme l’indiquent K. Berthelot-Guiet et C. Ollivier-Yaniv, chercheuses en sciences de

l’information et de la communication, il « y aurait donc légitimité de l’État communiquant à la

fois dans son principe de droit, dans sa reconnaissance par les citoyens mais en vertu des

moyens et compétences qui sont mis à sa disposition »

74

. En somme, si la communication de

l’État obéit à des formes précises, tant sur le plan politique que sur le plan pratique, elle est

légitime.

Dans un premier temps, nous aborderons les différentes formes de mise en public de l’État