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Les processus régionaux: Les conférences régionales sur les migrations

Nous venons de voir comment le sujet migratoire avait gagné de l’importance au sein des mécanismes régionaux de coopération et d’intégration du fait de son impact sur les relations entre les pays membres mais aussi comme l’expression d’une volonté de maîtrise conjointe. Corolaire de cette évolution, des conférences spécialisées sur le sujet migratoire ont été créées. Elles constituent, dans leur ensemble, des espaces de discussion en cours de construction, qui sont encore loin d’avoir la portée nécessaire pour constituer des véritables plateformes de création d’obligations pour les Etats. Nous avons déjà évoqué la Conférence Internationale sur la population du Caire de 1994 qui a consacré un chapitre aux migrations internationales dans son programme d’action.376 A cette occasion, les Etats ont été invités à accorder de l’importance au sujet et à créer des espaces de collaboration et de débat. Dans un premiers temps, la proposition était de créer un espace mondial de discussion autour du sujet migratoire, idée qui, comme nous l’avons vu dans la première partie, n’a pas été bien reçue par certains pays. Face aux difficultés encourues pour parvenir à des consensus mondiaux, la proposition de créer des espaces régionaux revêtant un caractère plus informel est apparue comme un moyen plus réaliste de parvenir à des résultats concrets.

Ainsi, deux processus consultatifs sur le sujet sur le continent sud-américain ont été créés: La Conférence Sud-américaine des migrations et la Conférence Régionale de migration (ou processus de Puebla).

L’objectif de ces espaces est de partager des expériences dans la gestion du sujet, de parvenir à un consensus et d’améliorer la compréhension du phénomène. La direction, les résultats et la portée des discussions menés au sein de ces structures dépendent certainement de l’expérience migratoire de chaque bloc (s’il s’agit de pays d’origine,

376 Rapport de la Conférence Internationale su la population et le développement Le Caire 5- 13 Novembre

de destination ou de transit), des perceptions politiques autour du phénomène, et, tel que le rappelle le Plan sud-américain de développement humain pour les migrations377, de «l’homogénéité ou de l’hétérogénéité des pays participants»378c’est- à-dire des rapports de force politiques ou économiques entre ces membres.

En effet, les processus consultatifs répondent aux intérêts des pays qu’y siègent, bien qu’il y ait certains sujets transversaux à toutes les structures. Ainsi, par exemple, les processus asiatiques sont connus pour leurs discussions autour du recrutement des travailleurs et des conditions de travail des migrants (Dialogue d’Abu-Dhabi issu du processus de Colombe). D’autres ont mis leur accent sur le contrôle aux frontières et la lutte contre la migration irrégulière (processus de Puebla, Processus de Budapest, Processus de Soderkoping, Dialogue méditerranéen de transit migratoire).

Le processus sud-américain, à l’instar du D ialogue de Migration pour l’Afrique de l’Est a mis l’accent sur la protection des droits de l’homme des migrants. C’est ainsi qu’en 2010 a été approuvé le Plan sud-américain de développement humain pour les migrations, qui constitue une prise de position des Etats du sous-continent ayant par ailleurs impacté d’autres espaces de discussion comme le Forum Global de Migration et développement379

Le processus de Puebla rassemble quant à lui des pays d’origine, de transit et de destination des migrants d’Amérique centrale et d’Amérique du nord, ce qui rend difficile la construction d’une position commune. Il constitue toutefois un forum de discussion qui a impulsé la réalisation d’ateliers, de réunions et de sommets sur le sujet migratoire en attirant l’attention des autorités locales sur l’importance du sujet, ce pourquoi il mérite d’être analysé.

377 Plan élaboré dans le cadre de la Conférence sud-américaine dont nous parlerons plus bas.

378 Plan Andino de Desarrollo humano para las migraciones. Approuvé au sein de la X Conférence Sud

américaine des Migrations. Cochabamba 2010.

379 Moyennant l’incorporation du sujet du d éveloppement humain comme un de ses axes principaux. Il s’agit

d’un sujet qui avait été initialement proposé par l’Equateur, incorporé après par la Communauté andine puis proposé au sein du Forum Global à Manille (Philippines) en 2008, à Athènes (Grèce) en 2009, au Mexique en 2010. Dans : Plan Sud-Américain de Développement Humain pour les Migrations. Antécédents. P7. Nous le verrons également réapparaître dans le cadre du rapport du PNUD. Rapport de développement humain 2009 op cit.

La Conférence Sud-américaine des Migrations :

La Conférence Sud-américaine des Migrations a été inaugurée en 1999 à l’initiative d’un groupe de pays380 à l’issue du Sommet Sud-américain sur Migration, Intégration et Développement. Il s’agit d’une instance de coopération et de consultation dont l’objectif est de promouvoir la création de politiques autour du sujet migratoire dans le sous-continent. La Conférence tient des réunions chaque année sur le territoire d’un des pays membres, dans le cadre desquelles des décisions sont prises sous la forme d’une Déclaration adoptée par consensus par les représentants des Etats. Ces Déclarations sont dépourvues de force obligatoire en droit interne. La Conférence Sud-américaine est le plus important des espaces de discussion sur le sujet migratoire dans le sous-continent, du fait de la consistance de ses propos quant au respect des droits des migrants, sa dénonciation des politiques instaurées par les pays de destination et sa volonté manifeste de constituer un front commun pour agir collectivement dans les espaces de discussion au niveau mondial.

Par ailleurs, elle réunit tous les pays du sous-continent ce qui constitue un autre élément positif en termes de représentativité. Y participent également d’autres pays observateurs, et des organismes internationaux tels que le HCR, l’OIT, et la CEPAL. D’ailleurs l’OIM est la collaboratrice technique du processus, assurant le suivi du Plan d’action et des déclarations.

Dès la première conférence les Etats se sont engagés à « rassembler leurs efforts pour garantir la protection, la défense et la promotion des droits des migrants »381. Les questions de la protection des droits de l’homme des migrants, de l’harmonisation des politiques migratoires dans la région, de la lutte conjointe contre la traite des personnes et du trafic des migrants ainsi que la collaboration entre les consulats pour mieux protéger les ressortissants sud-américains dans les pays de destination ont également été abordées dès les premières échéances.

380 Argentine, Bolivie, Brésil, Chili, Colombie, Equateur, Paraguay, Pérou, Uruguay et Venezuela, ainsi que

l’OIM.

381 Déclaration de Buenos Aires, approuvée lors de la première Conférence Sud-Américaine des Migrations,

Par ailleurs, au cours de la troisième Conférence, à Quito (Equateur), a été adopté un «Plan d’action sur les migrations Internationales en Amérique du Sud» qui constitue une sorte de Plan de travail de la Conférence. Parmi les éléments novateurs, il affirme la volonté du Ministre des affaires étrangers équatorien d’impulser des reformes normatives au niveau international afin d’établir un «nouvel ordre migratoire international». Parmi les principes fondamentaux dudit ordre il souligne celui de la responsabilité partagée entre pays d’origine et de destination dans le traitement des migrations et du trafic des personnes; la reconnaissance des indemnités en faveur des pays en voie de développement du fait des pertes subies au cours du pr ocessus migratoire (notamment la perte de capital humain), et l’inclusion du concept de «développement humain», dont nous parlerons plus tard.

Lors de la quatrième conférence, les Etats ont défini les « axes stratégiques » du Plan d’action. Parmi ces axes nous retrouvons: la promotion des mesures pour faciliter la circulation des nationaux de la région; la coordination des actions pour protéger les droits de l’homme des migrants et l’inclusion du sujet migratoire dans les agendas de négociation politique, économique et commerciale avec d’autres pays et comme partie intégrante des processus d’intégration régionale (CAN et MERCOSUR)382.

En 2010, la Conférence a adopté deux documents importants qui ont servi de base à ses travaux ultérieurs. Il s’agit de la Déclaration des principes généraux de la Conférence Sud-Américaine des migrations, qui établit les principaux objectifs de la conférence ainsi que du Plan sud-américain de développement humain des migrations383.

Le plan vise à synthétiser les résultats des dix conférences Sud-américaines en montrant l’ensemble des principes adoptés par les Etats membres ainsi que leur position commune afin de faire face aux positions consolidées dans d’autres régions du monde et qui correspondent à des visions restrictives des migrations384.

382 Déclaration de Montevideo, approuvée lors de la Quatrième Conférence Sud- Américaine des Migrations,

Montevideo, novembre 2002.

383 Acte de Cochabamba en « Avançant vers la citoyenneté sud Américaine », approuvé lors de la Xème

Conférence sud Américaine sur les migrations. Cochabamba Bolivia, Octobre 2010.

Il récupère le concept de développement humain des migrations présenté quelques années auparavant par l’Equateur, pour lui donner une importance majeure et le placer au cœur des priorités de la Conférence385. Pour ce faire, un e nsemble de principes sont annoncés ainsi que des axes stratégiques.

Les principes reconnus par le Plan sont celui de l’« intégralité du fait migratoire », entendu comme l’approche intégrale du phénomène envisageant toutes les causes et effets des migrations, du point de vue « socioéconomique, démographique, culturel, psychosocial et psychopathologique », mais tenant aussi compte d’une conception des migrants comme titulaires des droits. Cette approche intégrale souligne également l’importance du travail conjoint avec des acteurs liés au fait migratoire tels que les autorités institutionnelles, la société civile, le secteur privé et les migrants386 D’autres

principes inclus dans le plan sont la cohérence entre les politiques d’immigration et le traitement souhaité pour les nationaux à l’étranger ainsi que la reconnaissance de l’apport des migrants pour le bien-être et le développement humain des pays d’origine et de destination.

La Conférence sud-américaine a p ar ailleurs servi de tremplin au lancement de travaux éducatifs et de formation à destination de fonctionnaires, mais aussi de particuliers, autour du phénomène migratoire. Ces travaux ont été accomplis par des organismes observateurs tels que l’OIM ou l’OIT. La Conférence a é galement fonctionné comme instance de coordination pour l’adoption de positions communes dans des forums tels que le Dialogue de Haut niveau des Nations-unies sur les migrations et le Développement, la Conférence Mondiale sur la migration et le développement, le Sommet Ibéro-américain sur la migration, entre autres.

Il convient enfin de souligner que la Conférence sud-américaine s’est caractérisée par la participation de la société civile. Ainsi, en 2009, à la demande de l’Equateur, des observateurs, des représentants des organismes internationaux et des membres de la société civile ont participé à tous les espaces de discussion de la conférence, comme un symbole de transparence des discussions. La participation de tous les pays sud

385 Compris comme la liberté de se déplacer mais aussi la possibilité d’accéder aux services de santé,

d’éducation et à des conditions décentes d’hébergement et de travail et l’exercice d’une citoyenneté pleine.

américains ainsi que de la société civile à tous les espaces de discussion légitiment la Conférence en tant qu’espace de discussion de la région. Toutefois, la portée de ses débats demeure encore très limitée. Le caractère non contraignant des déclarations et du Plan sud-américain rendent difficile le travail de mise en œuvre et de suivi. Et bien que les participants à la Conférence estiment qu’à son sein sont établis « les principes régissant les politiques migratoires de la région »387, force est de constater que les dispositions du droit interne des pays sud-américains sont encore loin d’être homogènes388. C’est pourquoi la cohérence normative apparaît comme l’un des

objectifs du Plan sud-américain des Migrations, qui à ce jour est encore loin d’être accompli.

L’autre processus régional existant sur le continent américain est le Processus de Puebla qui réunit onze pays d’Amérique centrale et d’Amérique du Nord. Du fait de sa composition, les sujets de discussion qui y sont abordés s’avèrent très différents de ceux de leurs voisins du sud.

Conférence Régionale sur la Migration ou Processus de Puebla

Le Processus de Puebla a été créé à l’issue de la Conférence Présidentielle de Tuxtla II de 1996 qui a inclus le sujet migratoire dans le domaine du développement social et économique389. Il s’agit d’une structure intéressante dans le sens où elle réunit des

pays principalement d’origine (comme les Etats Unis, le Canada), et des pays de transit et de destination (le Panama, la République Dominicaine, le Guatemala, le Mexique, le Nicaragua, Honduras, le Salvador, le Costa Rica et le Belize). Le processus fonctionne sur la base de réunions annuelles, à l’issue desquelles un Communiqué est prononcé. Ces communiqués ne sont pas contraignants pour les pays membres et constituent parfois plutôt un bilan des activités réalisées.

387 Plan Sud Américain op cit p. 14.

388 Pour avoir une analyse comparative des politiques migratoires des pays Andins voir: Castro (Alexandra) et

al. Migración y Estado en América Latina. Fundación Esperanza. 2013.

389 Conferencia Regional sobre migración, CRM o proceso de Puebla. 15 años. Promoviendo y fortaleciendo el

La Conférence réunit les vice-ministres des affaires étrangères des pays membres, qui siègent à huis clos, et prévoit d’autres réunions ouvertes aux observateurs. Les observateurs sont d’une part des pays comme l’Argentine, la Colombie, l’Equateur, le Jamaïque et le Pérou et de l’autre des institutions comme la BID, le HCR, ou encore l’OIM.

La Société civile participe également à la Conférence au travers du Réseau régional d’organisations civiles pour les migrations, qui existe depuis 2008. Leur participation se limite toutefois à des ateliers et des séminaires organisés par la Conférence. Certains réseaux d’organisations, tels que le Réseau non gouvernemental pour les migrations (regroupant dix-sept organisations des pays membres) produisent des déclarations qu’ils présentent lors des Conférences et qui constituent une invitation à aborder certains sujets.

S’agissant du contenu des discussions, la première Conférence a donné le ton pour les Conférences suivantes. Ainsi, le concept de « migrations ordonnées », c’est à d ire contrôlées par les pays d’origine, de transit et de destination, les invitations à profiter des effets positifs des migrations et l’attachement au respect de la souveraineté des Etats et aux droits de l’homme ont été évoqués dès le début.

La coopération entre les pays membres est l’un des principaux objectifs de la Conférence en particulier dans les domaines de la lutte contre le trafic de migrants, de la migration irrégulière, de la falsification des documents d’identité et en faveur de la construction de bases de données sur les flux migratoires.

Le Plan d’action du Processus Consultatif a été adopté lors de la deuxième Conférence en 1997 au Panama. Les Etats ont tracé trois axes de travail, à savoir : politiques migratoires et gestion; droits de l’homme; migrations et développement. Le travail s’organise particulièrement autour de l’organisation d’activités parallèles, telles que des ateliers, des programmes de formation et des réunions d’experts. Du fait de sa composition, la Conférence rencontre des difficultés pour concilier les différentes positions des pays d’origine avec celles des pays de destination et de transit des migrants qui ne partagent pas la même vision des migrations. C’est

pourquoi, malgré les efforts de certains pays comme le Mexique, il est encore perçu comme un espace de discussion consacré à l a coopération dans la lutte contre la migration irrégulière et le contrôle des frontières.

En résumé, les différents degrés d’engagement des pays vis-à-vis des structures mentionnées et leur volonté politique se reflètent dans l’effectivité des mesures et dans leur application dans le droit interne. Les structures d’intégration telle que la CAN et l’Alliance Pacifique nous semblent constituer les espaces les plus adaptés pour parvenir à des compromis solides sur la gestion migratoire et la protection des migrants. Bien que la Communauté andine ait éprouvé des difficultés pour traduire ses décisions dans l’ordre juridique interne de ses pays membres, ces décisions demeurent des normes juridiques que la Communauté doit appliquer pour atteindre son but de création d’un espace de libre circulation des personnes, de biens et de services. L’OEA est quant à elle la structure de coopération la plus active du sous- continent : elle a abordé le sujet migratoire à travers plusieurs axes, programmes et bureaux. Bien que ses efforts soient dispersés et non contraignants, ils ont sans doute contribué à l a gouvernance régionale des migrations. Pour ce qui est des travaux menés au sein des autres structures de coopération politique, leur caractère nettement délibératif fait obstacle à l a mise en œuvre de leurs déclarations. En général nous constatons l’existence d’un grand ensemble de déclarations des chefs d’Etat qui réitèrent les mêmes propos à chaque sommet ou réunion.

Par ailleurs, les processus consultatifs constituent sans doute un cadre idéal pour la discussion du sujet migratoire et servent d’espace d’échange pour inspirer des changements et des prises de conscience des Etats membres qui n’ont toujours pas pris position sur le thème du phé nomène migratoire. Bien que leurs conclusions soient dépourvues de force obligatoire, ils inspirent des prises de position conjointes pour les débats mondiaux sur les migrations et le développement.

Ayant analysé l’ensemble de structures existantes et la portée de leurs débats, nous allons à présent présenter les principaux apports de ces espaces.