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Un discours à la technicité croissante qui rend compte de conceptions diverses du

Premièrement, nous avons déjà annoncé comment le débat sur la gestion migratoire a été sensiblement inspiré des conceptions sécuritaires du phénomène. Ces visions se traduisent dans des invitations à contrôler les frontières et l’entrée des migrants afin de restreindre les effets « indésirables » des migrations.

Le Programme d’action de la Conférence du Caire a traduit les inquiétudes et les théories alors courantes pour expliquer la migration des individus.

Ainsi, dans le chapitre X187 les migrations sont décrites comme des mouvements de populations liés aux conditions économiques existantes dans les pays d’origine et qui doivent être maitrisées en fonction des conditions du marché du travail des pays d’origine et de destination. Cette explication du phénomène migratoire, très courante à cette époque, correspond aux théories du pull and push188 qui considèrent que les migrants fuient la pauvreté qu’ils connaissent dans leurs pays d’origine et cherchent de meilleures conditions économiques dans les pays de destination.

Tributaire de cette conception, le document analyse les éléments liés à la pauvreté des migrants et des sociétés d’origine comme causes profondes des migrations. S’agissant des politiques migratoires des pays d’accueil, il est souligné qu’il est important qu’elles tiennent compte des « contraintes économiques du pays de destination, de l’impact des migrations sur la société de destination et de leurs effets sur le pays d’origine » afin que celles-ci soient efficaces et parviennent à maintenir les migrations «dans les limites raisonnables». De la même manière, le Dialogue de haut niveau parle du besoin de tirer profit des effets positifs des migrations en réduisant leurs « effets indésirables »

187 Ce chapitre est divisé en quatre parties, de la manière suivant : la première partie est consacrée aux

migrations et au développement. Les deux suivantes portent sur la situation administrative des migrants et établissent une distinction entre migrants en situation régulière et migrants en situation irrégulière. Quant à la dernière partie, elle est consacrée aux réfugiés, aux demandeurs d’asile et aux déplacés.

188 Nous avons déjà eu l’occasion d’expliquer l’ensemble des théories qui expliquent le phénomène migratoire

Par ailleurs, l’agenda de l’Initiative de Berne (2001)189 illustre la tendance consistant à limiter les droits des migrants au profit de mesures de dissuasion et de contrôle des migrations. En effet, il y est suggéré que les politiques qui envisagent le retour (volontaire ou involontaire) des migrants doivent être respectueuses des droits humains des migrants, mais précisé, à la ligne suivante, que ces retours peuvent servir d’outil de dissuasion pour les personnes désirant migrer.

La gestion migratoire est également traversée par les conceptions revendiquant l’exercice sans ingérence de la souveraineté des Etats, qui implique leur liberté de décider qui entre et qui sort de leurs frontières. La référence à la souveraineté des Etats, courante dans les espaces comme le Forum mondial sur les migrations et le développement, apparaît également dans les rapports sur les migrations et le développement du Secrétaire général de l’ONU lorsqu’il indique qu’il appartient aux gouvernements de décider « s’ils encouragent ou freinent les migrations »190. Ce

choix est présenté comme un dilemme pour les Etats car :

« La migration a plus de chances d’avoir des effets bénéfiques lorsque la réinstallation dans un autre pays n’a pas lieu, les migrants temporaires dont les familles restent dans le pays d’origine étant davantage enclins à envoyer des fonds à celles-ci et à rapatrier leurs économies lorsqu’ils rentrent que ceux qui s’établissent à l’étranger. À cela s’ajoute le fait que les migrants temporaires sont plus susceptibles de revenir dans leur pays d’origine, temporairement ou définitivement, et de contribuer au développement de celui-ci. En revanche, les pays d’origine savent que leurs migrants se sentiraient plus à l’aise s’ils étaient sûrs de pouvoir obtenir le statut de résident dans les pays de destination. Enfin, si on se place du point de vue des migrants, il vaut mieux travailler en toute

légalité à l’étranger que de migrer et de travailler clandestinement »191.

190 Assemblée générale des Nations unies, Résolution 60/871 du 18 mai 2006. 191 idem

Le Secrétaire général s’éloigne des conceptions exposées lors de la Convention du Caire à l’heure d’établir les causes des migrations. Il considère que les migrations ne sont pas « simplement une affaire de richesse ou de pauvreté – nous émigrons pour aller vivre dans les sociétés de notre choix »192.

Deuxièmement, parallèlement à la multiplication des Forums de discussion sur la question migratoire, les réflexions autour du phénomène ont commencé à noter de manière plus récurrente les effets positifs des migrations et à tenir compte des migrants en tant que personnes. Par exemple, le Représentant spécial pour les migrations, Peter Sutherland, a déclaré lors de sa nomination en 2006 :

« Les migrations peuvent constituer une énorme force positive: un des grands vecteurs de la croissance économique, de la liberté individuelle et de la prospérité personnelle. C’est pourquoi, je suis heureux d’accepter

cette mission pour Kofi Annan193. L’objectif étant de maximiser les

bénéfices des migrations tout en minimisant ses aspects potentiellement négatifs »194.

Il considère que les migrations peuvent être un bon moyen d’accomplir les Objectifs du Millénaire pour le développement195, et non pas une preuve de l’échec des

politiques de développement dans les pays d’origine. Dans ce sens, Sutherland travaille pour que le sujet soit inclus dans l’agenda du développement des Nations unies post 2015 et cherche à

« désigner un plan qui nous mène du système actuel d’exploitation de la mobilité humaine géré de façon modeste à un système bien organisé, qui protège les droits des migrants et qui tienne compte des conséquences et opportunités des migrations »196.

192 idem

193 Secrétaire général des Nations unies au moment de la nomination de Peter Sutherland. 194 Assemblée générale des Nations unies, Département d’information.SG/A/976 du 23/01/2006. 195 Objectifs adoptés par 193 Représentants des Nations unies en 2000.

196 Sutherland (Peter), Migration is development. 15 mars 2013.

Disponible à :http://www.project-syndicate.org/commentary/migrants-and-the-post-2015-global-development-agenda-by- peter-sutherland#STzXqIrO4Xy7bmpr.99. Consulté le 6 avril 2013.

Dans le même sens, lors de la 46ème session de la Commission de la population et du développement au mois d’avril 2013, consacrée à l’évolution et aux aspects démographiques des migrations, il a été souligné le besoin de prendre en considération que « les migrants ne sont pas des chiffres, mais des êtres humains dotés de droits inaliénables »197 .

Troisièmement, les discussions sur le phénomène migratoire ont également commencé à refléter une posture critique face aux conceptions purement sécuritaires des migrations. A cet égard le Secrétaire général signale que :

«Aucun pays ne peut tolérer que des opportunistes mettent son tissu social en lambeaux en adoptant une rhétorique et un comportement irresponsables pour exploiter les craintes que la migration peut inspirer à la population. Les migrants ont été et continuent d’être indispensables à la prospérité de nombreux pays. Les dirigeants de ceux-ci se doivent de le

faire comprendre à l’opinion publique »198.

Par ailleurs, les rapports du développement humain du Programme des Nations unies pour le développement ont inclus plusieurs allusions de ce type depuis 1997. À cette occasion, il a critiqué les politiques migratoires en annonçant que si

« le principe de libéralisation du marché mondial [n’était pas] appliqué de manière sélective [...] la libéralisation du marché mondial de la main- d’œuvre non qualifiée atteindrait les mêmes proportions que celles des marchés d’exportation et de capitaux des pays industrialisés»199.

Le rapport de 2009, a quant à lui été consacré au phénomène migratoire et à son impact sur le développement. À cette occasion le PNUD a estimé que les politiques migratoires renforçaient les inégalités200. Il contesta

197 M. Babatunde (Osotimehin), Directeur exécutif du Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP),

dans: Conseil économique et social, Commission de la population et du développement. Quarante sixième session 22/04/2013.

198 Assemblée générale Résolution 60/871 op cit. p. 82.

199 PNUD Rapport mondial sur le développement humain 1997 : le développement humain au service de

l’éradication de la pauvreté, New York : Oxford University Press. 1997.

« vivement le point de vue, émis par certains responsables politiques et parfois repris dans les rapports précédents, selon lequel les mouvements humains doivent être envisagés comme un problème imposant des mesures correctives »201.

Quand à la perception du phé nomène, il établi que les migrations sont un phé nomène « essentiel pour le développement humain, (…) une expression naturelle du dé sir des personnes de choisir comment et où ils veulent vivre »202.

Par ailleurs, le Forum mondial sur la migration et le développement, a également servi de tribune pour critiquer l’approche traditionnelle du phé nomène migratoire, y compris certaines postures du F orum qui furent remises en question par la société civile. Par exemple, en 2010 a été dénoncée la « naïveté » des Etats et d’autres participants du Forum face aux programmes de migrations temporaires (migration dite « circulaire ») qui mettent en avant les avantages de ces migrations et ferment les yeux sur les nombreux pièges que peut renfermer ce type de contrat, tels que la possibilité de restreindre la liberté de mobilité des travailleurs migrants, des conditions abusives de travail, des conditions d’exploitation et d’autres types d’abus à l’encontre des migrants. Ont également été pointées du doigt les mesures envisagées par les Etats de destination, qui tiennent compte des travailleurs migrants sans prêter attention à la situation de leurs familles (y compris celles qui sont restées dans les pays d’origine et qui doivent subir les conséquences de la désintégration familiale). Dans ce s ens, la société civile a i nvité les gouvernements à él aborer des politiques en matière familiale203, et à se positionner sur la mobilité de travail basée sur les

droits de l’homme204. Le grand intérêt suscité par la question de l’envoi de fonds a aussi

été remis en question. À ce sujet, il a été mentionné que ces sommes d’argent étaient « des flux privés, provenant le plus souvent de salaires très durement gagnés par les migrants, qui pourraient constituer un f ardeau pour eux »205. Cette affirmation est issue de deux

constats : d’une part les migrants doivent accepter des travaux exténuants pour lesquels ils

201 Idem p.19. 202 Ibid.

203 FMMD, quatrième Réunion du Forum mondial sur la migration et le développement, Mexique 2010.

204 FMMD Sixième Réunion du Forum mondial sur la migration et le développement, Port Louis, Maurice 19 - 22

Novembre 2012

205 FMMD. Rapport de la première réunion du Forum mondial sur la migration et le développement, Belgique du 9 au

sont surqualifiés, et d’autre part, les sommes d’argent envoyées par les migrants servent à entretenir ou à créer des liens de dépendance économique à un tel niveau que les migrants ne peuvent pas se permettre de quitter leur travail car cela mettrait en danger le bien-être des membres de la famille restés dans le pays d’origine. En 2009, le terme « choix de migrer » a été utilisé pour exprimer le fait que les migrations devraient être le résultat d’un processus volontaire et non d’une « stratégie de survie». Dans ce sens, la liberté de se déplacer va de pair avec celle de rester dans son pays d’origine206. Et, finalement, en 2011, la société civile a c ritiqué les programmes qui, sous couvert d’assistance au développement, concentrent leurs efforts sur l’expulsion des migrants en situation irrégulière.

Le même élan critique se retrouve dans le rapport publié en 2005 pa r la Commission mondiale sur les migrations internationales, intitulé « Les Migrations dans un monde interconnecté: nouvelles perspectives d’action »207. Dans ce document, la Commission

dresse un bilan de la gestion migratoire partant du constat d’échec des Etats à gérer les défis liés à ce phénomène.

La CMMI reconnait, d’un côté, l’échec des Etats ayant essayé de mener des politiques de « migration zéro » et de nier le travail « au noir », et de l’autre, les bénéfices de l’envoi de fonds des migrants. Par ailleurs, les faiblesses des mesures de contrôle migratoire sont également pointées du doi gt dans un document publié par l’UNESCO qui rassemble les réflexions de chercheurs venus des cinq continents sur les schémas hypothétiques de migrations sans frontières. Le document analyse l’impact desdites mesures sur le bien être des migrants et ses faibles résultats à l’heure de tenter de stopper les migrations. Il examine également les processus de régulation du phénomène, en suggérant de nouvelles mesures telles que la flexibilisation des frontières et une nouvelle approche de la gestion migratoire208.

Enfin, nous retrouvons des postures critiques dans le rapport mondial sur les migrations de l’OIM de 2011 qui se focalise sur les questions de l’opinion publique, du rôle et de la

206 FMMD troisième réunion du Forum mondial sur la migration et le développement. L’intégration des politiques de

migration dans les stratégies de développement au bénéfice de tous, Athènes 2-5 novembre 2009 p. 7

207 CMMI Migrations dans un monde interconnecté: Nouvelles perspectives d’action Rapport présenté par la

responsabilité des médias. Il dresse un bilan des tendances migratoires au niveau mondial et par régions, ainsi que du rôle de l’OIM dans le monde.209 Le rapport reconnaît que les migrations sont « très politisées et souvent mal perçues », il s’agit d’un phénomène conçu comme un « fourre-tout qui masque les peurs et les incertitudes de la population relatives au chômage, au logement ou à la cohésion sociale (dans les pays de destination), ou encore à la perte ou au gaspillage de capital humain et à la dépendance économique (dans les pays d’origine) »210. Le rôle des médias dans la création et la diffusion de ces idées est analysé ainsi que celui des responsables politiques et du public en général. Y sont également distinguées les bonnes pratiques et des mesures à adopter pour éviter la création et propagation de fausses perceptions des migrations. Parmi les mesures proposées, l’idée d’accorder plus de visibilité et de permettre une plus grande participation des migrants à l’espace public et dans les processus de construction des politiques publiques s’avère particulièrement intéressante211.

En somme, le débat migratoire part d’une approche sécuritaire des migrations revendiquant systématiquement le besoin de gestion et de contrôle conjoint des flux d’individus. Toutefois, nous constatons une évolution dans ce discours consistant en une multiplicité de manifestations accompagnées des réflexions critiques sur l’efficacité, la pertinence et l’opportunité des mesures de gestion adoptées ainsi que sur l’approche sécuritaire du phénomène. Or, ces discours critiques sont encore en cours d’élaboration et sont toujours loin d’être majoritaires. C’est pourquoi nous peinons à le voir se concrétiser.

208 PECOUD (Antoine), de GUCHTENEIRE (Paul) (dir). Migrations sans frontières : Essais sur la libre

circulation des personnes. UNESCO, 2007.

209 OIM, Etat de la migration dans le monde 2011: Bien communiquer sur la migration. Genève 2011. 210OIM,Etat de la migration dans le monde 2011 op cit. p.xvi

Chapitre II : Une multiplication des rapports, études, bilans,