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2. Introduction

2.2. Processus inférentiels

Le terme d’inférence peut désigner à la fois les processus mentaux et le résultat de cette activité mentale. Les processus inférentiels se trouvent au centre des processus cognitifs. De manière générale, l’activité inférentielle permet au sujet d’élaborer et de créer de nouvelles informations à l’aide du contexte.

2.2.1. Elaboration d’inférences au travers d’une image complexe

Une image décrit une situation et est utilisée en neuropsychologie pour susciter un discours narratif. Elle permet d’évaluer les capacités du patient à établir une macrostructure et à intégrer de nouvelles informations. La macrostructure représente le thème général, le message principal d'une situation, d'une image ou encore d'un discours. Le fait de générer une macrostructure relève des capacités de tirer des inférences ou d'interpréter une situation. Selon Myers (2001) une inférence est une hypothèse émise sur une base sensorielle, elle n'est pas directement donnée par les sens mais nécessite une interprétation de l'information obtenue. Myers (2001, p. 814) donne l’exemple suivant : « un homme vêtu d’une robe violette et d’une couronne et qui tient un sceptre peut être interprété comme étant un roi. Il s'agit là d'une interprétation de l’image. » Les inférences se décomposent en différents niveaux. Ainsi l’organisation des différents éléments de l’image en un être humain est une inférence. Le fait de déterminer que cette image représente un homme est un autre type d'inférence et le fait de parvenir à la signification de roi est encore une autre inférence.

Les inférences dépendent, entre autres, de quatre processus : (1) prêter attention aux éléments individuels, (2) sélectionner les éléments pertinents, (3) intégrer les éléments pertinents les uns avec les autres (4) associer des éléments pertinents avec une expérience passée du sujet. Les éléments ne doivent pas être simplement reconnus, mais doivent être considérés comme pertinents, pour être ensuite combinés et intégrés pour créer un contexte. Les éléments pertinents doivent également être associés à une expérience connue par l'observateur. Ces différents niveaux d’inférence ne se produisent pas nécessairement de façon séquentielle, mais peuvent avoir lieu en parallèle.

2.2.2. Déficits des processus inférentiels

Les problèmes d’élaboration d'inférences (déficits au niveau de la macrostructure) sont souvent liés à des lésions cérébrales de l’hémisphère droit (LD). Les patients avec des LD ne communiquent pas de manière adéquate. Leur langage est inapproprié, abondant, non pertinent, non informatif, littéral et parfois même étrange. Ils donnent souvent trop d’informations et traitent les questions et les événements de façon littérale. Leur compréhension de matériel simple comme

des phrases isolées est préservée alors qu’ils sont incapables d’associer et de faire des liens entre les phrases (Brownell, Potter, Bihrle et Gardner, 1986). Ils n’arrivent plus à extraire les parties pertinentes de l’information, à voir la relation existante entre ces différents éléments et à tirer des conclusions sur la base de ces relations. Ils n’utilisent pas les éléments contextuels explicites afin d’en extraire des notions implicites (Myers, 2001 ; 2005 ; Myers, Linebaugh et Mackisack-Morin, 1985).

Deux capacités primordiales semblent faire défaut aux patients LD : (1) la capacité à intégrer des éléments discrets de l’information en une entité et (2) la capacité à interpréter les événements et les situations. Des recherches menées sur l’élaboration des inférences ont montré que les inférences simples, aussi bien verbales que visuelles, ne posent pas de problème à ces patients, contrairement aux inférences complexes (McDonald et Wales; 1986 ; McKoon et Ratcliff., 1989, cité par Myers, 2001 ; Myers et Brookshire 1994, 1996). Dans ce type d’inférences complexes, l’information est ambiguë et nécessite une réanalyse de la situation due à un matériel inattendu, non familier, ou non congruent. Cette révision de l’interprétation initiale demande l’intégration de nouvelles informations. Dans ce type de situations, les personnes souffrant d’une LD ne parviennent pas à appréhender les nouvelles informations pertinentes nécessaires pour réviser leur jugement (Bihrle, Brownell, Powelson et Gardner, 1986). Ce déficit est problématique dans une conversation, puisqu’il est nécessaire de réanalyser en permanence ce que le locuteur dit en fonction de ce qui a déjà été exprimé plus tôt. Dans de telles situations, ils n’arrivent plus à se centrer sur les éléments les plus importants. Au contraire, ils sont submergés par l’ensemble des éléments secondaires du discours et ne parviennent pas à être de véritables partenaires communicationnels. Ces difficultés empêchent non seulement ces patients de suivre des conversations mais également de définir si des énoncés sont de types littéraux, humoristiques ou ironiques (Bihrle et al., 1986 ; Kaplan, Brownell, Jacobs et Gardner, 1990, cité par Myers, 2001). Une bonne compréhension du matériel humoristique (telles que les plaisanteries) requiert la capacité de réinterpréter ce qui est dit. Une telle capacité de réparation fait défaut aux patients LD.

Deux théories opposées tentent d’expliquer ces difficultés de révision ou de « réparation » d’une interprétation initiale. Le déficit d’activation (Beeman, 1993) postule que ces patients ont des difficultés à activer plusieurs significations faisant partie du champ sémantique nécessaire à l’interprétation alors que le déficit de suppression (Tompkins, Lehman, Baumgaertner, Fossett et Vance, 1996 ) affirme que ces patients présentent des difficultés à éliminer toutes les possibilités non pertinentes d’un concept. Cette sur-activation de significations inadéquates avec le contexte interfère avec la sélection des éléments pertinents et appropriés.

La description de l'image du Cookie Theft, démontre bien l’importance de l’identification et de l’intégration des différents éléments sélectionnés. Une interprétation adéquate de la situation requiert la sélection et l'intégration des éléments pertinents afin de pouvoir élaborer des inférences à partir de la macrostructure de l'image. La désignation de la femme comme une mère relève d’une inférence qui prend en compte des éléments comme la cuisine, le tablier sur la robe et les enfants en arrière plan. Le fait de pouvoir affirmer que les enfants sont en train de voler des biscuits et qu'ils ne tentent pas simplement d'en attraper nécessite de prendre en compte le fait que le garçon est en déséquilibre sur le tabouret, pendant que la fillette semble dire "chut" avec le doigt sur sa bouche. Des patients avec une LD peuvent affirmer que le garçon a la main dans la boîte à biscuits et que la fillette a un doigt sur la bouche, mais sans parvenir à combiner les deux actions pour en tirer l’information pertinente, à savoir que les enfants sont en train de voler des biscuits. Ainsi, les patients avec une LD commencent souvent la description de cette image par des éléments non pertinents, comme le jardin en arrière plan. Cela reflète clairement un déficit dans la sélection de l'information adéquate. Ces patients ont tendance à relever différents éléments individuels sans parvenir à les relier entre eux de façon explicite. Le niveau narratif et la description sont intacts, le problème est donc clairement dans l’association des différents éléments, afin de générer une information qui n'est pas directement donnée en tant que telle. Parfois, le patient est capable d'énumérer les différentes parties d'un objet comme celles d’une fleur ou d’une maison, mais ne parvient pas à les intégrer en une structure cohérente (Myers, 2001).

Les patients LD ont donc des difficultés à intégrer l’information et à faire des inférences principalement lorsque le matériel est complexe, à générer une macrostructure, à identifier les concepts principaux ou encore à extraire et à résumer le contenu d’une histoire. Les patients LD ont plutôt tendance à énumérer les éléments sans les intégrer.

Les patients LD présentent, en général, d’importants troubles de la communication. Les facteurs paralinguistiques7 (touchant la communication sans être uniquement linguistiques) et les aspects pragmatiques permettent de spécifier le contexte de la communication, d’émettre et de comprendre des intentions, de donner un ton émotionnel et plus généralement de donner une signification au discours. Le contexte de la communication est présent au travers des gestes, du langage du corps, des expressions faciales ou encore par la prosodie. Tous ces facteurs paralinguistiques permettent de donner un sens et une intention à ce qui est dit. Les patients avec

7 Le terme de paralinguistique regroupe l'ensemble des mimiques, gestes et bruits qui accompagnent et renforcent la parole ou sont employés seuls comme moyen d'expression.

des LD présentent donc des difficultés dans l’interprétation et l’expression des émotions. La compréhension des émotions et des expressions émotionnelles nécessite la capacité à élaborer des inférences à l’aide du contexte et des paramètres paralinguistiques (Myers, 2001).

2.2.3. Déficits non linguistiques interférant avec les processus inférentiels

De plus, les patients avec des LD présentent un certain nombre de déficits non linguistiques comme des déficits attentionnels importants, une héminégligence principalement visuelle (du côté gauche) ou encore des problèmes visuoperceptifs qui ont des répercussions cognitives et communicatives. Certaines études ont permis de montrer que le degré de sévérité des troubles de la communication présents chez des LD est fonction de la présence d’une héminégligence (Myers et al., 1994 ; 1996). Ces patients avec une telle négligence sont moins attentifs et moins capables de maintenir et de focaliser leur attention sur des informations pertinentes que des patients souffrant d’une lésion gauche (sans héminégligence). Ainsi une attention significativement réduite peut interférer avec l’identification et la sélection des éléments présents dans l’environnement, empêchant leur intégration et donc l’élaboration d’inférences (Myers, 2001). L’héminégligence empêche la bonne réalisation d’une tâche de description et d’interprétation d’images. En effet, cette inhibition attentionnelle touchant un côté de l’image empêche le traitement des éléments représentés sur une partie de la feuille interférant avec l’identification d’éléments contextuels pertinents pour l’interprétation de la scène. Ces différentes difficultés attentionnelles ont donc également des répercussions néfastes sur la communication de ces patients.