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2. Introduction

2.1. Cadre théorique

2.1.1. Le rôle d’une grande image dans l’évaluation neuropsychologique

La description d’une image (souvent dessinée aux traits et en noir et blanc) par des patients atteints dans leurs capacités langagières ou communicatives est un outil clinique pertinent pour évaluer les différentes difficultés rencontrées chez ces patients. Elle permet également d’observer les déficits présents au sein de différentes populations de patients. Une production orale basée sur un support visuel, ne faisant pas appel au langage écrit, permet d’analyser le discours aussi bien de très jeunes enfants ne sachant pas lire, que de patients cérébro-lésés présentant des troubles phasiques et neuropsychologiques ainsi que des patients atteints de démence. Il est cependant évident que l’objectif varie selon l’étiologie des difficultés présentes chez les sujets. De plus, une image est un outil facile à utiliser, permettant une évaluation rapide et peu coûteuse.

Une grande image est une situation de langage semi-induite permettant d’évaluer les capacités linguistiques du patient au cours d’une narration cadrée, présentant un référentiel commun entre le patient et l’examinateur. La description d’une image se différencie d’une situation de langage spontané où seul le patient connaît le sujet et peut développer un récit « libre ». La description d’une image présente l’avantage de permettre une production induite ne faisait pas appel à la mémoire à long terme et permet d’identifier des éléments précis déficients. Cependant, l’épreuve de description d’image est une situation contraignante pour les patients présentant des difficultés phasiques. En effet, le récit est cadré et fortement induit par les différents éléments visuels présents sur l’image. Le patient n’a donc plus le choix du lexique, il doit « mettre en mots » ce qu’il voit.

Une grande image a l’avantage d’offrir des descriptions relativement constantes et prédictives de façon à pouvoir comparer les narrations entre les individus (Yorkston et Buekelman, 1977). Cette épreuve du discours narratif oral, d’un point de vue purement langagier, permet de mettre en évidence principalement des difficultés d’accès lexical comme le manque du mot ou des paraphasies sémantiques ainsi que différents types de déviations (phonémiques, phonétiques) et la présence de jargon. Une description d’image donne aussi un aperçu sur les capacités syntaxiques (présence d’agrammatisme, dyssyntaxie) et discursives du patient. Elle permet donc de mettre rapidement en évidence les différents niveaux linguistiques atteints chez le patient. L’analyse de la production langagière semi-induite permet au clinicien d’orienter le suivi de l’évaluation par des épreuves plus adéquates, selon les difficultés du patient.

La description produite par le patient montre également sa capacité à établir une macrostructure (Myers, 2001) et à élaborer des inférences grâce à l’intégration des éléments pertinents. L’analyse de la production orale éclaire le clinicien sur la capacité du patient à sélectionner l’information pertinente, sa capacité à faire des liens entre les différents éléments, le caractère informatif et la

cohérence de son discours. La production orale, induite par l’image, permet d’évaluer les facteurs suprasegmentaux tels que la prosodie ou le débit de parole. La description d’une image montre également la capacité de l’individu à reconnaître et interpréter des expressions faciales exprimées par les personnages de l’image et permet d’évaluer le rapport au réel ou la conscience et la connaissance des conventions sociales.

La construction de l’image en différents quadrants permet d’observer les capacités attentionnelles du patient, de détecter une éventuelle héminégligence visuelle (la méconnaissance ou l’ignorance d’une moitié de l’espace visuel) ou encore une simultanognosie (déficit de l’attention spatiale touchant l’attention divisée; la personne atteinte a une perception morcelée des scènes visuelles car elle est incapable de porter son attention sur plusieurs stimuli visuels en même temps).

2.1.2. Batteries d’évaluation de l’aphasie utilisant une grande image

A l’origine, la description d’une grande image a été cliniquement conçue pour mettre en évidence certaines difficultés rencontrées à différents niveaux langagiers (niveaux lexical, syntaxique et discursif) chez des patients présentant des lésions gauches et souffrant d’aphasie. Ce n’est que dans un deuxième temps que les spécialistes se sont rendus compte de l’importance d’une telle image dans l’évaluation clinique neuropsychologique de manière plus générale.

L’épreuve de narration orale ou écrite à l’aide d’une image complexe fait généralement partie d’une batterie évaluant les différents aspects du langage. Par exemple, le Boston Diagnostic Aphasia Examination2 réalisé par Goodglass et Kaplan (1972) est considéré comme l’un des tests d’aphasie le plus utilisé. Il y a aussi le Protocole Montréal-Toulouse d'examen linguistique de l'aphasie3 (1992) ou encore le test pour l’examen de l’aphasie4 (révisé en 1989).

2 Goodglass, H., & Kaplan, E. (1972). The Boston Diagnostic Aphasia Examination. Philadelphia: Lea and Febiger.

Cette batterie d’évaluation a été révisée à trois reprises jusqu’à présent (BDAE-3). Goodlglass, H., Kaplan, E., & B.

Barresi (2001). The assessment of Aphasia and related disorders (third Edition). Philadelphia, PA : Lippinicott Williams & Wilkins..

3 Nespoulous, J.L., Lecours, A.R., Lafond, D., Lemay, A., Puel, M., Joanette, Y., & al. Protocole Montréal-Toulouse d'examen linguistique de l'aphasie. MT 86 Module Standard Initial: M1 b. (2nd ed). Revised by Béland, R., & Giroux, F. Isbergues: L'ortho-étion; 1992.

4 Le test pour l’examen de l’aphasie (APHA-R) a été développé par Ducarne de Ribeaucourt, B. (révisé en1989).

2.1.3. Les avantages et les inconvénients des images existantes

L’analyse des images existantes nous permet d’identifier les éléments qui doivent impérativement se trouver sur une grande image ainsi que les éléments à améliorer.

Ces images présentent l’avantage d’illustrer différentes situations de la vie courante ou des situations connues de tous. Ces situations sont globalement facilement identifiables et permettent l’élaboration d’une narration semi-induite. Cependant, nous relevons un certain nombre d’inconvénients pouvant interférer avec les capacités des patients et dès lors biaiser les résultats.

Tout d’abord, les images issues du test APHA-R sont trop chargées (voir annexe 1). Il est tout à fait possible de situer le lieu d’action de manière globale. Cependant, la surcharge d’éléments (pour les images du carrefour et du potager) empêche de sélectionner ce qui est pertinent et requiert une analyse visuelle fine, coûteuse au niveau attentionnel pour des patients cérébro-lésés.

De plus, nous remarquons peu d’éléments visuels inférentiels représentés sur ces images.

Ensuite, l’image du Hold–up, issu du Montréal–Toulouse, ainsi que les images du Cookie Theft issues du BDAE et du HDAE-F5 (voir annexes 2 et 3) mettent en scène des événements connus de tous et permettent l’élaboration d’inférences. La répartition des éléments présents sur ces images-ci est moins intense que pour les images de l’APHA-R simplifiant d’une certaine manière l’analyse visuelle. Cependant, les traits de ces images manquent également de clarté, rendant certains éléments pertinents difficilement interprétables.

Nous remarquons, que pour toutes ces images mentionnées, les visages des personnages manquent d’expressions et ne permettent pas d’analyser dans quelle mesure le patient comprend, intègre et interprète les expressions faciales afin d’en tirer d’éventuelles inférences. L’ambiguïté des traits dessinés peut entraver l’identification visuelle de l’image faite par le patient et ainsi biaiser l’analyse des capacités linguistiques effectuées par le clinicien. Est-ce que le patient ne trouve plus les mots ou n’arrive-t-il pas à reconnaître ce qui est dessiné ? Il est donc primordial que les traits de l’image soient simples et non ambigus afin de ne pas biaiser l’évaluation en testant d’autres facteurs. Enfin, tous ces dessins sont en noir et blanc. Or, il nous semble intéressant de tenir compte du rôle des couleurs dans l’élaboration des inférences. En effet, une image colorée permet de mieux mettre en évidence les différents éléments de l’image et permet également d’explorer la reconnaissance des couleurs chez un patient cérébro-lésé. De manière plus générale, les traits de ces images manquent de netteté et de précision et les perspectives sont peu mises en évidence. Il est à noter que les images présentées ci-dessus n’ont pas été validées selon des critères

5 L’échelle française (HDAE-F) a été adaptée à la langue française et à la population française. Mazaux, J.M., &

Orgogozo, J.M. BDAE-F. Boston Diagnostic Aphasia Examination. Issy les Moulineaux: Editions Scientifiques et Psychologiques; 1981

habituellement admis dans la validation des tests d’évocation lexicale, à savoir, principalement le degré de familiarité et le degré de complexité visuelle (Snodgrass et Vandervart, 1980 ; Chainay, Rosentahl et Goldblum, 1998).

2.1.4. Présentation de l’image du Cookie Theft

L’image du Cookie Theft6 (CT), issue du BDAE, a été imaginée et créée dans les années 1970 aux Etats-Unis. Elle dépend donc d’un contexte culturel et temporel bien précis. Malgré le fait que cette image soit jugée, par certains, « vieillotte et sexiste », elle reste tout de même l’image la plus utilisée en neuropsychologie et en aphasiologie. Elle a été adoptée par un grand nombre de pays et adaptée dans différentes langues. Cette image est particulièrement intéressante car elle illustre une scène de vie courante, par laquelle chacun peut se sentir concerné. Elle permet de mettre en œuvre des mécanismes inférentiels, dans la mesure où il faut parvenir à dégager l’idée que la femme est une mère, qu’il s’agit de ses enfants en arrière plan et qu’ils sont en train de voler des biscuits et non simplement d’en prendre. Ces inférences sont de nature simple et accessible car chacun a certainement été confronté à la situation de l’enfant qui tente de dérober une gourmandise, ou à celle de la mère qui, par inattention, laisse une catastrophe se produire (ici l’eau qui coule à flot).

Cette inondation peut également représenter une bizarrerie qui doit être comprise par le patient. La construction de l’image (en deux parties, gauche/droite) permet également d’évaluer des éléments non verbaux. En effet, la description permet au clinicien de détecter, entre autres, une éventuelle négligence visuelle.

Cette image représentait certainement une situation de vie courante « américaine » au temps de sa création (1972). Cependant, la femme en tablier, faisant la vaisselle, ne correspond plus à l’image de la mère actuelle. Il faut relever que cette image n’est pas particulièrement intéressante, ou motivante à décrire. Elle risque ainsi de ne pas provoquer un discours enjoué et captivant, ennuyant le patient. De plus, les résultats obtenus concernant la fiabilité de la cotation du BDAE-3 (par Goodglass et al. 2001) sont relativement faibles (Powell, 2006). Un dernier inconvénient relevé réside dans le fait que l’image du Cookie Theft induit un biais en faveur des individus de milieu socio-économique favorisé (Mackenzie, Brady, Norrie, et Poedjianto, 2007).

6 Cookie Theft ou Voleur de Gâteaux (France) ou encore Voleur de Biscuits (Suisse romande).

2.1.5. Comparaison entre les images du BDAE et du HDAE-F

Ces deux scènes du Cookie Theft sont issues des versions anglaise (BDAE) et française (HDAE-F) de la même batterie d’évaluation de l’aphasie. Ces images se ressemblent énormément mais ne sont pourtant pas identiques.

Image du Cookie Theft (BDAE-3, 2001) Image du Cookie Theft (HDAE-F, 1981)

Nous observons notamment des différences de contraste. En effet, dans le HDAE-F, les jupes de la fillette et de la mère sont mises en relief, tout comme le linge de cuisine, le tabouret ou encore le fond de l’armoire. Ainsi, nous pouvons relever que tous les éléments superposés faisant appel à des notions de perspectives sont plus clairement mis en évidence dans la version francophone.

Cependant, même si les traits de l’image du HDAE-F paraissent plus fins, cette version française est plus ambiguë et moins explicite que la version américaine, notamment concernant la fille, le contenu de l’armoire, l’arrière plan. Concernant la boîte de « gâteaux », nous remarquons que le mot est difficilement lisible dans la version française. Il est dommage qu’un facteur aussi important pour comprendre l’intérêt et les motivations des personnages soit aussi difficile d’accès.

L’appellation anglaise « cookie jar » donne une information supplémentaire (idée de boîte) non existante dans la version française. De plus, concernant le mot « gâteaux » nous remarquons qu’il s’adresse principalement à une population francophone de France. En effet, en Suisse Romande, nous utilisons préférentiellement le mot « biscuits ». Toutes ces différences peuvent paraître minimes et insignifiantes au premier abord, mais doivent néanmoins être prises en compte. En effet, elles peuvent influencer la perception du patient dans sa capacité à repérer les éléments pertinents afin d’élaborer des inférences.