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Le processus de déritualisation : la fin du pacte communautaire ?

4. LA CONSTRUCTION DES CATEGORIES NATIONALES ET LES IDENTITES

5.2. Les allers-retours de l’exercice de la comparaison : le principe structurel

5.3.1. Le processus de déritualisation : la fin du pacte communautaire ?

Il me paraît nécessaire de revenir sur les débats théoriques qui parcouraient ces années « en religion » car ils ont aiguisé ma perception de la dimension symbolique qui surgissait de mon terrain : le rappel de mythes fondateurs, la communauté, le thème de la terre, le mythe du retour, le caractère religieux de la langue.

Le terme religare, ne l’oublions pas, sens étymologique du mot religion, signifie « relier les hommes » et nous semble pertinent pour désigner une autorité symbolique qui incarne la Loi dans une « communauté » à distinguer d’une appartenance commune. Notre étonnement demeure entier quand le religieux reprend de la légitimité symbolique lorsqu’il enlace la communauté. Fethi Benslama évoque un « tourment de l’origine »

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qui commande le religieux et qui n’est pas assimilable à « un retour métaphorique de la tradition »384 .

À l’inverse, les réflexions suivantes montreraient des déroutes dès lors que le relier n’est plus raccordé à des mythes. La déritualisation, la désymbolisation c’est aussi la négation d’une promesse, la rupture d’un pacte qui scelle la communauté. La déritualisation s’accompagne d’une dissolution de l’autorité symbolique. Les remarques suivantes voudraient montrer des égarements dès lors que ce pacte se confond en des formes d'individualisation du "croire"385.

Le débat théorique alimenté par le paradigme de la sécularisation386 introduisait une idée nouvelle du sacré, dissociée de la tradition religieuse, rendant de plus en plus difficile de circonscrire l'objet religieux. Cette difficulté amenait les spécialistes à évoquer une anomie de l’univers religieux, une "dissémination des phénomènes modernes du croire", « une « religion en miettes » (Hervieu Léger, 1992, 2001).

De nouvelles prises de position dans le monde scientifique esquissent des partisans et des adversaires autour du recul ou non de la religion, car l’ on constate, des contenus symboliques hétérogènes, foisonnants, « un pluralisme religieux » qui déborde la science sociale des religions, où les nouvelles économies du croire ne sont plus maîtrisables. Ces manifestations outrepassent le modèle confessionnel par l’émergence de « nouveaux agents symboliques qui se situent en dehors de l’institution religieuse » et dont l’irruption suscite de nouvelles interrogations sur la pertinence « d’un champ religieux ». 387

Ainsi dans cette dérégulation ont surgi toutes sortes de tentatives d’interprétation concernant les rituels de la banalité cérémonielle (les rituels médiatiques) et le quotidien cultuel pour la compréhension des processus de transformation et d'innovation du catholicisme contemporain ou du protestantisme français (Françoise Lautmann). Les

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Fethi Benslama, 2002, La psychanalyse à l’épreuve de l’Islam, Paris, Aubier. 385

Les Conférences de la SISR (Société Internationale de Sociologie des Religions) fondée en 1948 à Louvain qui a pour but l'avancement des connaissances dans le champ de la sociologie de la religion et dans toutes les sciences sociales connexes ainsi que la revue Archives de Sciences Sociales des Religions fondée en 1956 rendent compte de ce décentrement du regard sur les processus religieux.

386 François-André Isambert constatait le caractère polysémique du mot sécularisation tout en proposant son sens principal : "une autonomisation du domaine séculier ou profane". Isambert F-A., 1980, « Religion », Encyclopedia Universalis, 14.

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Dianteill E., 2002, « Pierre Bourdieu et la religion. Synthèse critique d’une synthèse critique », Archives des Sciences sociales des Religions, 118, pp. 5-19.

nouvelles investigations font apparaître un nouveau champ lexical : des religiosités parallèles aux "religiosités séculières", vers une "sacralité laïque". Les nouveaux mouvements religieux induiront des reformulations des typologies classiques des modes de sociation, opposant la secte à la religiosité de type-Eglise, suscitant de nouvelles définitions juridiques de la religion (Francis Messner), une conception plus élargie de l'activité religieuse non limitée aux collectivités religieuses institutionnalisées.

Des analyses se centreront sur la crise de transmission des institutions de socialisation (famille, école, Eglise etc.). Elles conduiront à reconsidérer les relations entre Etats, Religions et Sociétés notamment à travers la question du pluralisme religieux et de la laïcité.

Ces nouvelles pratiques religieuses rendent compte d’une mutation des subjectivités consistant à provoquer des mobilisations affectives et une « ethnographie de l’action » : les dérives transcendantales à travers l'image de la star comme "sur-personnalité" (Piette), les rituels des matchs de foot (Augé, Bromberger), les rituels politiques (Abélès). Ces formes spectaculaires donnent à voir le resurgissement du rite au cœur même d'un processus de déritualisation dans un présent immédiat souverain qui, selon nous, témoigne d’une forme accélérée de désenchantement du monde (Gauchet, M., 1985).

De nombreuses participations aux manifestations organisées par le réseau de la sociologie des religions m’ont permis de cerner les attentes des chercheurs partagés entre un travail de rationalisation du "croire" et une volonté de ne pas rétrécir le fait religieux388 à son instrumentalisation en l’expliquant par la société ou sous les strictes considérations de ses formes sensibles.

Ces tiraillements incitaient à reconsidérer les fondements des disciplines, à revisiter les frontières épistémologiques entre anthropologie et sociologie qui avaient donné lieu à un important débat scientifique suivi d’une publication389.

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L'expression de « fait religieux » marque le rapport à un matériau empirique. Il s'est imposé depuis quelques années dans le vocabulaire scientifique et public (l’enseignement du fait religieux à l’école) . Joncheray J., (dir.), 1997, Approches scientifiques des faits religieux, Paris, Beauchesne.

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Mary A., "La religion des anthropologues et l'anthropologie religieuse des théologiens", Approches scientifiques des faits religieux, op. cit., pp. 47_74

Hervieu-Léger D., "L'objet religieux comme objet sociologique : problèmes théoriques et méthodologiques", Approches scientifiques des faits religieux, op. cit., pp.

À l’issue du colloque, notre compréhension du fait religieux en avait été encore plus brouillée. Celui-ci oscillait entre des mises au jour de structures inconscientes du système religieux chez les anthropologues, mais qui ne pouvaient se contenter d'une interprétation classificatoire étant donné les phénomènes de syncrétisme. Les anthropologues confrontés à la crise post-moderniste en anthropologie discutaient des limites d'une anthropologie religieuse surinterprétative (A. Mary), ethnocentriste, s'appliquant aux sociétés exotiques notamment aux sociétés africaines traditionnelles. La critique mettait l’accent sur l’invention des paganismes et d’une théologie naturelle des religions traditionnelles ou des cosmogonies indigènes.

Enfin, les durkheimiens remarquaient un rapport à l'enchantement de l'objet, lié à la capacité du religieux de produire du lien social, tout en lui conférant sens et légitimation.

Les expressions de "retour du religieux" pénétraient les discours sur les fragmentations identitaires liées à la mondialisation et à la post-modernité et pointaient le surinvestissement des identités ethnoculturelles à travers la vie religieuse ; réflexion plus ouverte sur des récits de la fondation et qui cette fois emportait mon intérêt.

5.3.2. Les expressions religieuses des minorités ethnoculturelles : « Penser