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LES PROBLEMES

Dans le document Les instruments d'action de l'Etat (Page 119-125)

Jean-Daniel DELLEY

B. La fabrication intégrée par ordinateur (CIM)

III. LES PROBLEMES

Des théoriciens de l'évolution du droit (LUHMANN, TEUBNER, WILLKE) ont montré que la gestion des problèmes sociétaux par des interventions de type conditionnel - où les conditions de fait et les conséquences juridiques sont définies avec précision - n'est pas satis-faisante. En effet, les formes du droit sont des formes simples, créées pour régler des problèmes simples27,

27 H. WILLKE, "Three Types of Legal Structures : The Conditional, the Purposive and the Relational Program, Dilemma in the We/fare State, Berlin, New-York, 1986, p. 282.

L'instrumentalisation du droit, qui concrétise l'action de l'Etat interventionniste - la variété des moyens normatifs ou autres est au service d'objectifs à atteindre -, ne satisfait pas non plus ces théoriciens : le volontarisme dont fait preuve l'Etat interventionniste se heurte à la complexité et à la logique propre des sous-systèmes sociétaux. Ils notent en particulier la contradiction entre l'horizon temporel court de l'action étatique - l'Etat est incapable de contrôler ses actions dans le temps - et la temporalité des sous-systèmes que l'Etat a l'ambition de réguler, avec la conséquence que les programmes publics sont source d'effets pervers, de gaspillage de temps et d'argent, plus qu'ils ne contribuent à résoudre les problèmes28,

Cette crise de l'Etat interventionniste ne pourra être résolue par la logi-que de commandement et de contrôle29; elle implilogi-que l'adoption d'une modalité d'action nouvelle, le programme relationnel, dans lequel le droit se borne à déterminer les conditions organisationnelles et procédurales de l'action future. Cette limitation est imposée par le fait que le système juri-dique et les systèmes partiels - économie, éducation, santé, science,. .. - ne peuvent communiquer que par le biais de mécanismes réflexifs telles les négociations collectives, les tables rondes, les procédures de consultation, les actions concertées30, Dans cette perspective, l'Etat renonce à une régulation exhaustive au profit d'un projet d'ordre auquel les acteurs sociaux peuvent recourir ou non : ce n'est pas la législation qui crée un ordre dans le sous-système auquel elle s'adresse, c'est le sous-système qui traite la législation de manière sélective et qui l'utilise ou non pour cons-truire son ordre propre, selon le principe de l'ordre par le bruit31.

Le modèle relationnel ci-dessus esquissé semble rendre compte assez bien des programmes de formation continue proposés par la Confédération ; on y trouve en effet un cadre organisationnel et procédural au service de besoins exprimés par le système économique et dont la mise en oeuvre incombe pour l'essentiel à ce dernier.

28 Ibid., p. 284.

29 G. TEUBNER, "Gesellschaftsordnung durch GesetzgebungsHirm ? Auto-poietische Geschlossenheit ais Problem für die Rechtsetzung", Gesetz-gebungstheorie und Rechtspolitik, Opladen, 1988, p. 59.

30 Ibid., p. 59.

31 Ibid., p. 47.

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La question se pose de savoir si ce modèle constitue un projet normatif nouveau à même de sauvegarder la fonction du droit dans la résolution des conflits au sein d'une société complexe dont les sous-systèmes ont acquis une importante autonomie, ou s'il s'agit seulement d'un éclairage nouveau sur un phénomène déjà ancien32 qui penche pour la seconde explication : ces mécanismes réflexifs ont toujours existé à l'ombre du droit codifié ; la mise en oeuvre du droit exige des structures informelles pour maîtriser les difficultés que constituent des objectifs imprécis et conflictuels, l'interprétation des concepts juridiques indéterminés, la faible capacité de contrôle et de sanction de l'Etat tout comme la faible propension des destinataires à se conformer aux injonctions.

Si l'on se réfère à la situation helvétique, le modèle relationnel a bien sûr un air de déjà vu. On pense aux caractéristiques du processus législatif en Suisse qui, par le biais des commissions d'experts et de la procédure de consultation, associe les organisations d'intérêt et plus généralement les milieux concernés à l'élaboration des projets législatifs, voire même réglementaires, et au rôle important de ces mêmes intérêts dans la mise en oeuvre des régulations de nature économique notamment33.

Il ne s'agit pas ici de reprendre le débat sur le néo-corporatisme qui a exploré en détail les avantages et les inconvénients de la régulation par la négociation34. Pour conclure, nous retiendrons deux difficultés qui appa-raissent dans le cadre des programmes de formation continue.

La première réside dans la capacité du modèle relationnel à mettre en place des régulations qui prennent en compte la diversité des intérêts en présence et à dégager en quelque sorte un intérêt généraPS. Le domaine de la formation continue illustre bien la difficulté. L'évolution technolo-gique constitue certes un défi auquel les entreprises ne peuvent pas se soustraire, pas plus d'ailleurs que les collectivités publiques dans la mission qui leur incombe de maintenir l'emploi et les revenus. Pourtant de nombreuses études mettent en évidence la nécessité d'introduire un

32 H. TREIBER, "Crisis in Regulatory Policy ?", Contemporary Crisis, 1985, n° 9, p. 257.

33 W. LINDER, la décision politique en Suisse. Genèse et mise en oeuvre de la législation, Lausanne, 1987, pp. 111 ss.

34 G. TEUBNER, op. cit., (note 29), p. 60.

35 C.-A. MORAND, "Les objectifs de la législation : approches diversifiées et

nouveau style de direction et des rapports de travail basés sur la co-opération, condition indispensable pour que les innovations techniques et la meilleure formation des salariés contribuent véritablement à une amé-lioration de la productivité36. Dans le cadre du modèle d'action relationnel, le rôle de l'Etat doit donc consister à s'assurer de la présence et de la prise en compte de tous les intérêts concernés et de la cohérence de l'autorégulation avec les objectifs initialement fixés de manière collective. On peut d'ailleurs se demander avec MORAND37 si la menace d'une intervention autoritaire de l'Etat ne constitue pas une condition indispensable du fonctionnement du modèle relationnel.

La seconde difficulté a trait à la légitimation de l'action relationnelle. Si le droit doit renoncer à une régulation exhaustive au profit d'un cadre organisationnel que les acteurs restent libres d'utiliser, la validité normative devient alors contingente puisqu'elle dépend du bon vouloir des destinataires38. Le législateur en est donc réduit à légitimer un cadre flou dont il ne peut pas prévoir les modalités d'utilisation. Cette situation restreint le débat et le contrôle démocratiques à leur plus simple Conseil fédéral n'envisageait pas une législation générale conférant des pouvoirs étendus à l'exécutif, mais se réservait la possibilité de proposer

36 J.-P. GHELFI, "Communication, transparence, participation", Revue syndicale suisse, n° 6, 1989, pp. 210 ss.

au Parlement de nouvelles prescriptions en fonction de situations parti-culières. Néanmoins, vingt-cinq ans plus tard, cette base légale paraît suffisante pour justifier des programmes de formation qui certes auront un impact sur le marché du travail, mais qui ont pour but avant tout d'adapter les compétences professionnelles à l'évolution technologique, et ce dans un marché du travail asséché.

Revenons pour conclure au problème du contrôle. Il est évident, face à de tels types d'intervention, que les contrôles classiques sont insuffisants. Le contrôle financier, par exemple, pourra certes s'assurer que les crédits n'ont pas été détournés de leur destination prévue. Mais ce qui importe ici, ce n'est pas tant le contrôle de la régularité des procédures -lesquelles sont d'ailleurs réduites au strict minimum - que le contrôle de l'optimisation des moyens mis à disposition et des résultats obtenus.

Précisons que le cadre flou de ces programmes et l'importance des sommes en jeu impliquent non pas tant un contrôle a posteriori, constatant le succès ou l'échec de l'intervention, qu'un contrôle concomitant au développement du programme. Ce contrôle concomitant ou d'accompagnement ("monitoring") ne se réfère pas à des objectifs explicites fixés initialement mais à des enjeux sociaux qui émergent dans le cadre de l'élaboration et de la mise en oeuvre du programme ; il permet de livrer aux acteurs sociaux les informations nécessaires à une meilleure compréhension des effets et des évolutions intervenus au cours du programme41, Dans cette perspective, le programme est conçu comme un processus d'apprentissage collectif jamais achevé et de recherche pluraliste de solutions. Cette nouvelle conception du contrôle permet d'imaginer un rôle plus actif du Parlement: non seulement il est appelé à délivrer un chèque en blanc, à légitimer un cadre organisationnel dont les résultats substantiels lui échappent totalement, mais, alimenté par l'information nécessaire, il peut corriger le tir, par exemple en précisant ses objectifs et se réapproprier ainsi la fonction de contrôle sur le programme qu'il a adopté.

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WILLKE H. (1986) "Three Types of Legal Structures: The Conditional, the Purposive and the Relational Program", Dilemma in the W elfare State, Berlin, New York, pp. 280 ss.

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