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Bien-fondé de cette jurisprudence

Dans le document Les instruments d'action de l'Etat (Page 169-174)

Gabriel AUBERT

C. Bien-fondé de cette jurisprudence

Nous ne prétendons pas que, dans les deux espèces relatées ci-dessus, le résultat auquel sont parvenus le Tribunal fédéral et le Conseil fédéral soit

30 JAAC 35 (1970-1971) 10, p. 43, Homère.

erroné. On peut toutefois se demander si la motivation de ces décisions, en particulier celle de l'arrêté Homère et de l'arrêt Vêtements Frey, ne mériterait pas d'être complétée.

1. Comme admis à juste titre, la loi de 1956 sur l'extension des conventions collectives n'est pas applicable telle quelle

Le Conseil fédéral semble avoir considéré que, lorsqu'elles entraînent les mêmes conséquences qu'une décision d'extension de la convention collective, les conditions assortissant les procédures d'autorisation de travail doivent être conformes à la loi fédérale de 1956. Le même raisonnement devrait sans doute s'appliquer aux conditions accompagnant les soumissions publiques.

Certes, en imposant aux employeurs soum1ss10nnaires (ou à ceux qui requièrent l'autorisation d'occuper des étrangers) des conditions de travail correspondant à celles fixées par la convention collective de la branche, l'Etat ne prononce pas formellement l'extension de cette dernière. Cependant, comme on l'a déjà relevé, les conséquences pratiques de sa décision sont semblables, car, usant de sa puissance économique, il contraint de fort nombreux employeurs dissidents ou minoritaires à se comporter comme s'ils étaient liés par la convention.

De plus, les entraves à la liberté des tiers non liés (et, partant, les intérêts menacés) sont de même nature, car les minoritaires et les dissidents se voient tenus (comme en cas d'extension) d'appliquer des règles fixées par d'autres organisations, qui regroupent leurs concurrents.

Il n'en reste pas moins que, comme son contenu l'indique, la loi fédérale de 1956 ne vise que les procédures d'extension formelles. On voit mal sur quelle base on pourrait l'appliquer directement aux procédures de soumission ou d'autorisation de travail pour étrangers, qui échappent à son emprise.

De plus, l'intervention de l'Etat n'a pas la même portée dans ces différentes procédures. Ainsi, lorsqu'il étend le champ d'application d'une convention collective, le gouvernement (fédéral ou cantonal) agit à la demande d'organisations patronales et syndicales, qui souhaitent obliger

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des tiers à mettre en oeuvre des règles édictées par les maJontaires;

appelé à conférer à ces derniers un pouvoir quasi législatif, il doit s'imposer un certain respect des dissidents et des minoritaires, qui n'ont pas participé à l'adoption des règles en cause. En revanche, lorsqu'il accorde des commandes ou alloue des travaux à des entreprises, le gouvernement ne se trouve pas dans la même situation : il crée un rapport spécial avec des employeurs qui veulent faire de lui leur client et qui, en échange de cet avantage, doivent accepter de satisfaire à des conditions posées par leur cocontractant. Ici, il ne s'agit pas d'attribuer à des organisations professionnelles un pouvoir quasi législatif, mais d'assortir de conditions spéciales la conclusion d'un contrat par l'Etat.

Enfin, lorsqu'il permet à un travailleur étranger d'exercer une activité lucrative en Suisse, le gouvernement souhaite avant tout éviter que ce travailleur soit moins bien traité que la main-d'œuvre indigène, de peur qu'il ne lui fasse une concurrence déloyale; son but est et ne peut être que d'empêcher une pareille sous-enchère32. On le voit, dans ces trois cas de figure, la position de l'administration et les buts visés varient. De par leur contenu, les règles applicables à l'extension de la convention collective ne sont donc pas transposables telles quelles aux procédures de soumission publique ou d'autorisation de travail.

Dès lors que la loi fédérale de 1956 sur l'extension des conventions collectives ne s'applique pas directement aux procédures de soumission publique, il convient d'examiner quelle autre protection le droit fédéral accorde aux dissidents et aux minoritaires qui ne sont pas liés par les conventions collectives dont l'autorité veut obtenir le respect par les entreprises soumissionnaires.

2. Le sens et l'esprit du droit fédéral

L'arrêt US/T, l'arrêté Homère et l'arrêt Vêtements Frey rappellent eux-mêmes le principe fondamental de l'article 2 des dispositions transitoires de la Constitution fédérale : les normes et les décisions cantonales ne doivent rien contenir qui soit contraire au sens ou à l'esprit du droit fédéral.

32 Art. 9 al. 2 de l'ordonnance du Conseil fédéral limitant le nombre des étrangers,

L'existence d'une loi fédérale sur l'extension des conventions collectives n'empêche pas les cantons d'agir par d'autres voies pour faire respecter, dans certaines circonstances, les conditions de travail prévues dans les conventions collectives. Toutefois, ce but, légitime en soi, ne justifie pas n'importe quel moyen. Si elle voulait d'une façon générale, dans le cadre des procédures de soumission publique ou d'autorisation de travail pour étrangers, obtenir l'application des conventions collectives par les minoritaires et les dissidents sans se préoccuper des intérêts que protège la loi de 1956, l'autorité éluderait les dispositions du droit fédéral prises pour sauvegarder ces intérêts. Du coup, elle se heurterait aux articles 2 D.T. et 6 CCSJJ.

Selon cette manière de voir, il faut se demander dans chaque cas si, en pratique, la réglementation cantonale a pour conséquence d'étendre les effets de la convention collective de travail et si la voie choisie ne contourne pas les bornes posées par la loi de 1956 en vue de protéger les intérêts, notamment, des minoritaires et des dissidents. En effet, bien que la loi sur l'extension des conventions collectives n'empiète pas sur le régime des soumissions ou des autorisations de travail pour étrangers, le droit fédéral ne saurait tolérer que ces régimes visent des buts ou entraînent des résultats contraires au sens ou à l'esprit de la législation de 1956.

Même si elle est bien fondée, l'approche de la jurisprudence ne nous paraît pas la seule possible. Les développements qui suivent suggèrent une autre voie, sur laquelle, n'étant pas un spécialiste du droit constitutionnel, nous ne nous aventurons pas sans témérité.

IV. LES DROITS CONSTITUTIONNELS

Même si les entreprises n'ont pas un droit à obtenir des commandes de l'Etat ou des autorisations de travail pour leur personnel étranger, la Confédération et les cantons ne sauraient, lorsqu'ils édictent des

33 JAAC 35 (1970-1971) 10, p. 43; Homère; ATF 102 (1976) la 540, USIT;

ATF 109 (1983) lb 245, Vêtements Frey.

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dispositions ou prennent des décisions en matière de soumissions publiques ou d'autorisations de travail, méconnaître les droits constitutionnels34.

Ainsi, plutôt que de se borner à rechercher si une norme ou une décision se révèle compatible avec le sens et l'esprit du droit fédéral tel qu'il ressort de la loi de 1956, on peut se demander, plus généralement, si cette norme ou cette décision respecte les droits constitutionnels.

Ce faisant, on ne perdra pas de vue la loi fédérale sur l'extension des conventions collectives, car cette dernière vise dans une large mesure à concrétiser certains principes et droits constitutionnels. Une telle concrétisation, à son tour, éclaire le contenu de la Constitution telle qu'il est perçu par le législateur fédéral.

Vu le cadre dans lequel s'insère la présente contribution, nous nous contenterons de prendre en considération le domaine des soumissions publiques. Nous savons que, selon la jurisprudence traditionnelle, les rapports entre l'Etat et l'entreprise en ce domaine relèvent du droit privé, comme le souligne, avec de justes critiques, le professeur Pierre-Louis MANFRINI dans le présent volume, si bien que le recours de droit public n'est pas ouvert contre une décision de refus35. Toutefois, la décision de l'autorité par laquelle cette dernière décide d'imposer d'une façon générale aux soumissionnaires l'obligation de respecter une convention collective déterminée est un acte d'autorité qui ne relève pas du droit privé: comme l'a indiqué le Tribunal fédéral dans l'affaire USIT, c'est une ordonnance administrative à effets externes attaquable par la voie du recours de droit public36. Nous considérons, sans développer cette ques-tion controversée, que des obligaques-tions imposées dans le cadre de l'admi-34 Rapport de P.-L. MANFRINI dans le présent volume, ch. XI et XII, avec

références. Avant l'arrêt USIT, la Division de la justice avait émis l'opinion que l'autorité n'était pas liée par les droits constitutionnels dans le domaine des soumissions : cf. JAAC 36 (1972) n° 49, pp. 111-112; la question est laissée ouverte in: ATF 102 (1976) la 543, USIT.

35 Rapport de P.-L. MANFRINI (note 34), ch. IV.

36 ATF 102 la 538-539, USIT; l'étude de la nature juridique des normes en cause (en particulier le problème de leur base légale) déborde le cadre des présentes observations ; cf. en particulier P.-L. MANFRINI, Nature et effets juridiques des ordonnances administratives, Genève 1978, pp. 241 ss; R. ZIMMERMANN, Le contrôle préjudiciel en droit fédéral et dans les cantons suisses, Lausanne 1987,

nistration de promotion peuvent po1ter atteinte ou restreindre les libertés individuelles.

Les droits constitutionnels les plus importants, dans notre domaine, sont la liberté du commerce et de l'industrie (article 31 Cst. féd.), la liberté d'association (article 56 Cst. féd.), l'égalité (article 4 alinéa 1 Cst. féd.) et la force dérogatoire du droit fédéral (article 2 D.T.). Avant de les aborder, nous examinerons une condition commune aux limitations des droits fondamentaux: l'exigence d'un intérêt public.

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