• Aucun résultat trouvé

Les informations politiques

Blaise KNAPP

D. Les informations politiques

Faute d'un meilleur vocable, nous appelons "information politique" toute documentation ou tout renseignement obtenu par l'autorité concernant l'état d'esprit de la population.

Cette information est destinée non pas à déterminer quelles sont les solutions techniquement correctes mais quelles sont les solutions les plus facilement acceptables par la population. Il ne s'agit plus de définir une technique législative mais de déterminer une tactique afin de connaître l'opportunité d'une action.

6 RS 431.935.1.

50

1. Les formes institutionnalisées

Traditionnellement, la population manifeste son état d'esprit par les élections et les votations. Le plus souvent cependant cette expression est relativement difficile à interpréter dès lors que les motivations d'un vote sont ambiguës et multiples. En effet, même face à des votations concernant des textes régis par le principe de l'unité de la matière, les causes de l'acceptation ou du rejet d'une proposition sont malaisément déchiffrables. En outre, ces expressions du sentiment populaire interviennent en fin de procédure et visent des propositions existantes, non des intentions ou de simples projets.

Une deuxième manière institutionnalisée de connaître le sentiment populaire est la procédure préliminaire en matière de législation à laquelle nous avons déjà fait allusion. Le sondage de l'opinion est ici encore limité à un projet précis préparé par l'autorité. Il est à la fois restreint quant à son objet et, pour ainsi dire, est une réaction à une proposition. Il n'est donc utile que pour décider de la forme et de la suite du projet (y compris, le cas échéant, son abandon). En outre, il ne permet d'obtenir que les avis des organisations et non pas ceux des citoyens individuels. Certes, chacun sait que seules des associations bien organisées peuvent jouer, de fait, un rôle dans les campagnes électorales et que, partant, le sentiment de ces associations est un élément essentiel de la détermination des chances de succès d'un projet. Mais il ne s'agit d'une connaissance de la volonté populaire que du second degré.

Une troisième manière institutionnalisée de déterminer la volonté populaire est l'étude des initiatives populaires par lesquelles les citoyens expriment des voeux (projets rédigés ou non). Cependant, notamment en raison des conditions dans lesquelles les signatures sont réunies, cette expression du sentiment populaire n'est pas toujours le reflet exact de l'état d'esprit du peuple. De plus, sur le plan fédéral du moins, la volonté manifestée dans les initiatives populaires est le plus souvent l'expression des souhaits d'une minorité ainsi que le montrent les innombrables échecs de ces initiatives.

2. Les formes non institutionnalisées

Parmi les moyens informels de connaître le sentiment populaire, on mentionnera les liens étroits entre les agents de la fonction publique, le personnel politique et les citoyens qui assurent ou devraient assurer un échange permanent d'informations.

On songera aussi à la lecture de la presse. Cette source est essentielle.

Néanmoins elle doit être maniée avec une certaine prudence, dès lors que l'on peut appliquer à la relation entre l'opinion et la presse la célèbre question de la priorité de la poule ou de l'oeuf.

Comme toutes ces sources d'informations ne sont, finalement, que des sources de seconde main, la question s'est posée de savoir s'il ne convenait pas que les autorités bénéficient d'informations de première main en procédant ou en faisant procéder à des sondages d'opinion auprès des citoyens selon les méthodes sociologiques connues ... avant d'utiliser ces données pour s'adonner au "marketing" politique.

Nous savons que, par exemple, plusieurs cantons ont recouru à des instituts de sondages pour connaître l'image du canton dans le reste de la Suisse. De telles enquêtes très générales ont lieu sous la forme de sondages dont les questions ont été définies par un institut de sondage dans le cadre de contrats de mandats entre lui et l'autorité.

Nous avons déjà noté que, selon la presse, les autorités fédérales ont fait procéder à des sondages par un institut spécialisé. Ces sondages sont effectués dans des domaines particuliers, manifestement dans le cadre d'un contrat-cadre général puisque les sondages sont demandés par des Offices fédéraux dans le cadre d'un contrat de mandat conclu par la Chancellerie fédérale.

Nous savons aussi que l'Institut spécialisé contractant de la Confédération a d'autres clients et qu'il réalise une enquête annuelle sur "le climat psychologique de la Suisse".

On peut imaginer que les autorités fédérales peuvent avoir accès à une telle enquête générale, alors même qu'elles ne peuvent pas entrer en

52

possession des questions et des résultats d'enquêtes commandées par d'autres clients de l'Institut en raison des règles sur la protection des données et du fait que les éléments d'un mandat ne peuvent pas être valablement communiqués à des tiers, ceux-ci fussent-ils des autorités publiques, en l'absence d'un devoir de renseigner.

Le recours à des sondages d'opinion s'explique : on ne comprendrait guère pourquoi ce mode d'investigation de l'opinion serait ouvert à tous (y compris les partis politiques) et devrait être interdit aux autorités.

Il reste encore à dire s'il est légitime.

La réponse à cette question dépend de l'examen de plusieurs problèmes de nature juridique et politique.

En premier lieu, dans un Etat fédéral comme la Suisse, il nous paraît naturel que les autorités fédérales ne puissent commander des sondages d'opinion que dans des domaines relevant de la compétence fédérale, et les cantons dans des questions de la compétence cantonale. Ce n'est en effet pas parce que les résultats des sondages sont dépourvus d'effets juridiques obligatoires que la répartition des compétences, telle qu'elle résulte des articles 3 de la Constitution et 2 DT, doit être remise en cause.

La portée de ces règles dépasse, à notre sens, le processus juridique et protège les deux parties contre toutes les interférences de l'autre.

En deuxième lieu, la question se pose de savoir si les sondages doivent être le fait des autorités elles-mêmes ou celui de mandataires extérieurs. Il nous paraît aller de soi que les autorités ne devraient pas pouvoir agir directement. Pour une raison technique : en effet, en raison du caractère exceptionnel des sondages, il ne se justifie pas de créer un service public des sondages. Pour une raison juridique : répondre à un sondage implique la livraison d'une opinion ; une telle livraison - même si elle est facultative dès lors qu'il n'y a aucune obligation de répondre - porte atteinte à la sphère intime ou risque de le faire ; elle ne serait donc admissible que si elle était prévue par une loi.

Cependant, à notre sens, le fait même de charger des tiers de procéder à des sondages ne peut être admissible qu'à cinq conditions :

- le choix de l'institut de sondage est effectué selon des critères tota-lement apolitiques ;

- si un contrat-cadre est passé avec un seul institut, il doit n'être passé qu'après une procédure d'adjudication classique, en effet, un monopole est ainsi accordé - même temporairement - à un fournisseur de services ;

- la confidentialité de l'enquête et de ses résultats doit être assurée envers les autres clients de l'entreprise ;

- les agents de l'institut doivent donc être soumis au secret de fonction ; en effet, l'entreprise est dans une situation analogue à celle d'un tiers chargé d'une tâche publique;

- dès lors, les agents de l'institut de sondage doivent informer les per-sonnes constituant l'échantillon caractéristique du fait que le sondage a lieu pour le compte d'une autorité ;

enfin, la composition de l'échantillon ne doit pas être communiquée -au moins de manière nominative - à l'-autorité.

En troisième lieu, il doit être clair que les personnes interrogées n'ont pas l'obligation de répondre aux questions posées. En effet, il s'agit là de la distinction essentielle entre les sondages et les recensements et autres obligations de renseigner. Une obligation de répondre ne peut pas exister si elle n'est pas prévue expressément dans une loi formelle dès lors que, comme on l'a dit, il s'agit d'une limitation de la sphère privée et d'une manière d'atteinte à la liberté d'opinion.

En quatrième lieu, on doit s'interroger sur l'objet des sondages : entend-on se renseigner sur un état général de l'opinientend-on, sur sa réactientend-on à des projets, sur la réalisation d'une réglementation ou sur son avis par rapport à des personnes ou programmes généraux ?

La seule situation qui nous paraît ne pas soulever de sérieuses hésitations est la recherche relative à l'effectivité d'une loi. En revanche, une interrogation sur des personnes ou des programmes généraux ou particuliers nous paraît comporter des risques de manipulation si

54

considérables qu'elle devrait s'entourer des précautions les plus sévères.

On ne devrait, en effet, notamment, pas accepter l'idée que le service qui ferait procéder à un sondage puisse seul en définir le contenu et en tirer des conséquences politiques et pratiques.

Le cas le plus difficile est celui du sondage concernant la manière dont une loi devrait être présentée pour qu'elle soit acceptable par le peuple et, peut-être, effectivement appliquée. En effet, un tel sondage risque de rendre sans objet - ou, au moins, de biaiser - la procédure de préconsultation officielle des experts et des partis politiques. Il pourrait être un premier pas vers une sorte de personnalisation de la relation politique entre l'autorité ou l'administration et les citoyens, évitant les canaux de communication usuels et même obligeant les parlementaires à se conformer aux voeux d'un échantillon de personnes "sondées" par un institut dans le cadre d'une enquête commandée et, peut-être, conçue par un Office fédéral. A la limite, il pourrait en résulter une modification de l'équilibre des pouvoirs encore plus en faveur de l'exécutif.

En cinquième lieu, il faut encore se demander qui doit rédiger les questions posées aux personnes interrogées, alors qu'il est, à notre sens, évident que l'échantillon est défini par l'institut de sondage selon les méthodes qui lui sont propres et dont il a l'habitude. Il va de soi que si l'autorité bénéficie des résultats d'un sondage général tel le "climat psychologique de la Suisse", les questions d'un tel sondage doivent être déterminées par l'institut, sous réserve que l'autorité puisse faire ajouter des questions comme n'importe quel participant au programme ou bénéficiaire de celui-ci. En revanche, les sondages spécifiques sont destinés à répondre aux besoins spécifiques de l'autorité ; partant, les questions doivent être déterminées par celle-ci. Cependant, comme l'autorité n'a pas toujours les connaissances nécessaires à cette fin, le libellé des questions doit être établi par les experts de l'institut sous le contrôle des représentants de l'autorité.

Ainsi munies des informations concernant l'état de l'opinion, les autorités peuvent informer l'opinion, persuader les citoyens, voire même tenter de former leur opinion.

Il. LA DIFFUSION D'INFORMATIONS

L'information peut être directement adressée aux citoyens. Elle peut leur être fournie indirectement par l'intermédiaire de moyens de communi-cation de masse. Elle peut aussi leur être communiquée par des associa-tions privées ayant des buts identiques à ceux de services officiels et agissant, le cas échéant, en étroite relation avec eux - voire même parfois avec leur aide financière.

La diffusion des informations peut, bien entendu, revêtir les formes classiques de la publicité et de la publication des actes officiels: annonce de futures décisions par l'ouverture de procédures d'enquête publique ou par la mise au concours de travaux ou d'emplois administratifs ; publi-cation des décisions survenues ; publipubli-cation des lois et autres normes juridiques ; publication des débats parlementaires ou judiciaires ; publication des jugements.

Tous ces éléments font, en effet, partie de l'information des citoyens quant à leurs droits et à leurs devoirs. Ils sont un aspect essentiel de la démocratie qui suppose que les citoyens connaissent leurs droits et leurs obligations ou, du moins, soient en mesure d'en prendre connaissance.

Cependant, cette information ne porte que sur des faits ayant directement des conséquences juridiques de nature obligatoire pour les citoyens ou les autorités.

La question se pose, en revanche, des possibilités dont les autorités peuvent - voire doivent - disposer pour faire connaître aux citoyens des informations générales n'ayant aucune conséquence juridique par elles-mêmes alors qu'elles peuvent préparer des obligations ou des droits à inclure dans une future législation ou tenter d'infléchir l'opinion.

A notre sens, la diffusion de telles informations peut revêtir six objets : - l'information sur les activités de l'autorité en cause ;

- l'information des citoyens sur les possibilités que leur offre le service public;

- la campagne dite de sensibilisation de l'opinion ;

56

- l'information sur les intentions de réglementation et d'intervention de l'autorité ;

- les campagnes tendant à modifier le comportement des citoyens ; - la pure propagande.

A. Les méthodes de l'information

1. L'information directe des citoyens

A l'heure actuelle, l'information est souvent donnée directement aux citoyens par la voie de documents distribués "tous ménages". On pensera notamment aux documents remis aux citoyens afin de leur expliquer le but et la portée des règles dont l'adoption ou le refus est soumis à leur suffrage (messages explicatifs qui ont fait l'objet d'une littérature abon-dante en relation avec l'obligation des autorités de ne pas fausser, par une présentation tendancieuse, le résultat des votations). On songera aussi aux documents distribués par les autorités fiscales et les institutions de sécurité sociale notamment, en vue de renseigner des personnes sur la régle-mentation en vigueur, sans lier les autorités mais dans un langage non juridique.

On pensera en outre, notamment à Genève, à ce qu'un journaliste a nommé les "Pravda" des autorités. Ces documents sont rédigés par des fonctionnaires ayant une capacité "journalistique particulière" ou par des journalistes mandatés à cette fin. Le plus souvent leur présentation est décidée par des agences publicitaires employées dans le cadre de mandats généraux ou particuliers. Leur impression est confiée à des imprimeurs locaux.

Ces bulletins peuvent être conçus pour des publics particuliers (à titre d'exemples, on citera le Journal de l'enseignement primaire, CO parents, Etudes et carrières). Ils peuvent avoir un contenu concernant les activités de toute une collectivité publique (on songera au 022 de la Ville de Genève). Cependant, le plus souvent, le contenu de ces documents ne concerne qu'un département particulier (par exemple le Journal du Département de la Prévoyance sociale, le Journal de l'Hôpital cantonal)

ou un service particulier (par exemple Info TPG pour les transports publics genevois). Parfois même, ils ne concernent qu'une activité particulièrement importante d'un Département ou d'un service (par exemple la publication de la Ville de Genève, GTRB contacts - pour la Galerie Technique des Rues Basses, Energie du Département de l'économie publique, Autoroute de contournement du Département des travaux publics).

La forme de ces publications varie considérablement, en particulier, il est remarquable que certaines publications contiennent de la publicité commerciale.

Ces "informations officielles" paraissent avoir trois buts qui peuvent se cumuler:

- créer une relation directe avec le public ;

- fournir une information plus technique et plus complète que celle que la presse peut diffuser en raison de ses finalités différentes ;

- éviter une presse considérée comme trop négative.

Dans un genre voisin mais plus spécialisé, on pensera aussi aux diverses publications de l'Office fédéral de l'aménagement du territoire.

2. L'information par le moyen des médias

Ce mode d'information peut avoir deux aspects. D'une part, l'information est fournie à des journalistes qui peuvent la diffuser ou ne pas le faire dans les journaux, à la radio, à la télévision. D'autre part, l'information peut être fournie directement aux citoyens par l'intermédiaire des médias.

a. L'information par les journalistes

Si, dans la conception suisse, la liberté de la presse comprend le droit de recueillir des informations, ce droit n'est pas illimité. Il ne comprend notamment pas le droit d'exiger des informations des autorités publiques ; il n'y a pas le droit de recevoir des informations de l'autorité publique. Le journaliste peut s'informer auprès de "toutes les sources de

58

renseignements généralement accessibles", selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéraF. Selon les mêmes arrêts, l'activité administrative ne peut pas être considérée comme une "source de renseignements généralement accessibles". En revanche, dans un arrêt Grieder8 le Tribunal fédéral a considéré que, faute de règle expresse contraire, les séances d'un législatif cantonal étaient publiques en toutes circonstances et que les journalistes devaient y avoir accès. Dans un arrêt Clave/9, au contraire, il a estimé que le registre foncier n'est pas une source généralement accessible, dès lors que, selon l'article 970 du code civil, il faut un "intérêt légitime" pour le consulter.

Cela étant, il convient naturellement d'organiser l'information des journalistes sur les activités de l'Etat et de faire en sorte que les journalistes soient traités de manière égale et puissent exercer leur métier sans discrimination de la part des autorités.

Cependant, les statuts du personnel de la fonction publique de la Confédération et de tous les cantons prévoient que les agents publics ont un devoir de discrétion. Ils ne peuvent faire état, sauf prescription légale contraire (par exemple en cas de témoignage autorisé en justice), d'infor-mations dont ils ont eu connaissance dans l'exercice de leurs fonctions ou à l'occasion de cet exercice, dans la mesure où ces informations sont confidentielles par nature ou ont été déclarées confidentielles par instructions particulières.

Une information est secrète par nature lorsque la communication à un tiers serait contraire à une promesse faite de ne pas révéler les informa-tions obtenues notamment lorsque la loi oblige le citoyen à confier à l'autorité des données confidentielles. Il en est de même des faits qui ne sont pas connus de tous ou ne sont pas facilement accessibles sans recher-ches longues, coûteuses et compliquées. On tient aussi pour secrètes des informations dont la révélation à des tiers causerait un dommage considé-rable à des intérêts privés (secret relatif à l'honneur ou à la santé d'une personne, secret d'affaires) ou à des intérêts publics importants (organisation de la défense nationale ou de la police).

7 ATF 104 la 88 Union suisse des journalistes; 107 la 305 Fuchs.

8 ATF 105 la 182.

9 ATF 111II50.

Seront secrètes des informations déclarées telles par des décisions individuelles ou, plus normalement, par des instructions administratives concernant des catégories de personnes, de situations ou de documents.

La violation du secret de fonction engage la responsabilité pénale des agents (article 320 CPS) ainsi que la responsabilité pécuniaire et disciplinaire des agents.

On aura ainsi pu remarquer que le secret de fonction ne concerne pas les faits notoires ou facilement accessibles par tous. On aura reconnu là le point de contact avec le droit de la presse à obtenir des informations à des sources généralement accessibles.

Pour cette seconde raison, il est indispensable de réglementer et d'organiser l'information de la presse.

La réglementation mise en place dans les cantons et la Confédération est plus ou moins élaborée ; elle présente cependant des traits communs assez marqués.

i) La réglementation générale

A part la règle usuelle concernant la libre diffusion des informations non couvertes par le secret de fonction, quelques cantons ont prévu dans leurs statuts du personnel des règles relatives aux informations à donner à la presse.

Ainsi, le statut du personnel du canton de Schwyz, à son article 9 alinéa 2, prévoit simplement que "les autorités dont les séances ont lieu à huis clos décident de ce qui sera communiqué à la presse ou sera publié d'une autre manière ; pour le surplus, la décision quant aux affaires qui

Ainsi, le statut du personnel du canton de Schwyz, à son article 9 alinéa 2, prévoit simplement que "les autorités dont les séances ont lieu à huis clos décident de ce qui sera communiqué à la presse ou sera publié d'une autre manière ; pour le surplus, la décision quant aux affaires qui