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LA DEFENSE CONTRE LES ABUS DE L'AUTORITE

Dans le document Les instruments d'action de l'Etat (Page 91-101)

Blaise KNAPP

B. L'objet de l'information

III. LA DEFENSE CONTRE LES ABUS DE L'AUTORITE

Il y a lieu de distinguer la situation des collaborateurs des campagnes d'information, celle des destinataires de l'information et celle d'éventuelles victimes d'une campagne d'information inexacte ou abusive.

A. Les collaborateurs

Ainsi que nous l'avons constaté, les collaborateurs des administrations dans les sondages d'opinion et dans les campagnes d'information sont des mandataires. Il s'agit de fournisseurs de services.

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, de telles relations contrac-tuelles sont soumises au droit privé.

Cependant, les autorités sont liées, dans le choix de leurs collaborateurs par d'éventuelles règles de droit public relatives aux appels d'offres et à la passation des marchés. Elles doivent en outre respecter les règles concernant la compétence pour passer valablement des marchés engageant l'Etat.

A moins d'admettre la théorie de l'acte détachable qui permet d'entreprendre séparément du contrat la décision de passer contrat, la

seule voie par laquelle un tiers évincé en violation d'éventuelles règles de procédure peut faire valoir ses griefs est la plainte devant l'autorité hiérarchique supérieure ou devant l'autorité de surveillance.

Il va, en revanche, de soi que les violations des contrats de mandats sont régies par les règles du droit privé et sont soumises aux tribunaux civils.

B. Les personnes faisant l'objet des sondages

Les personnes "sondées" n'ont, envers les auteurs des sondages, que le droit :

- à l'information que le sondage est destiné aux autorités publiques ; - à la confirmation que les réponses sont anonymement données à celui

qui a commandé le sondage;

- à l'assurance que le sondage est analysé correctement, dans le respect de la liberté d'expression.

Il serait aisé de faire valoir ces droits s'ils étaient l'objet d'une violation résultant d'une décision administrative. En effet, le droit a prévu toutes espèces de voies de recours contre les décisions non valables.

Mais un sondage n'est pas une décision; il est un fait.

La question se pose donc de savoir comment se défendre contre la lésion de droits par un fait illicite.

Il nous paraît que trois voies sont possibles selon les circonstances.

En premier lieu, une plainte à l'autorité hiérarchique supérieure ou à l'autorité de surveillance ou, sur un plan purement politique, une intervention d'un parlementaire sont, bien entendu, possibles.

En deuxième lieu, une action en responsabilité pour acte illicite est concevable. Il ne faut cependant pas se cacher qu'il sera bien difficile d'établir un dommage autre que moral et surtout d'en fixer le montant.

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En troisième lieu, on peut songer aussi à une action dans le cadre des règles protectrices de la personnalité telles qu'elles sont prévues dans le code civil. En particulier, les actions en interdiction ou en cessation de l'atteinte inscrites à l'article 28a du code civil peuvent entrer en considération, dès lors que le sondage ne crée aucune relation de droit public entre le "sondé", le sondeur et l'autorité.

C. Les destinataires des informations

Il y a lieu de distinguer les journalistes d'une part et les citoyens d'autre part.

En ce qui concerne les journalistes, nous avons noté que la diffusion d'informations devait respecter la liberté de la presse, les principes fonda-mentaux du droit et d'éventuelles règles adoptées par les autorités expres-sément ou implicitement, sur la politique publique de l'information.

Ces règles créent des droits pour les journalistes dont la violation, même si elle n'est que le résultat de faits et non de décisions formelles, doit pouvoir être sanctionnée.

L'alternative est, ici encore, entre admettre la théorie de l'acte détachable et ouvrir en conséquence le contentieux de l'annulation (pour une prise de décision contraire au droit) qui n'apporte, en tout état de cause, pas grand-chose une fois la violation accomplie (non-convocation à une conférence de presse) ou recourir à la procédure d'action pour acte illicite qui permet au moins une réparation matérielle et morale du dommage subi.

Il va de soi qu'en outre, les procédures de plainte à l'autorité hiérarchique supérieure ou à l'autorité de surveillance sont ouve1tes.

Enfin, nous pensons que, dans la mesure où l'on peut considérer que la non-convocation à une activité de presse est une atteinte à la liberté de la presse, à la personnalité et à la liberté du commerce et de l'industrie, le journaliste victime d'une telle omission sans raison valable pourrait s'en prévaloir pour l'avenir.

En revanche, nous ne pensons pas que les intéressés puissent utiliser les voies d'actions du code civil, précisément dans la mesure où l'autorité n'agit pas en droit privé dans ses relations avec les journalistes.

En ce qui concerne les citoyens, le seul droit qui peut être lésé par des informations officielles est le droit à la libre formation de l'opinion.

Cette situation est bien connue en ce qui concerne les informations fournies dans les commentaires relatifs à des votations ; il n'y a pas lieu d'y insister ici. On soulignera cependant qu'une voie de recours spéciale a été créée en la matière pour que les citoyens puissent se prévaloir de la violation des obligations de l'autorité.

Ce système ne peut guère être généralisé.

Dès lors, les seules voies possibles pour la défense des destinataires des informations nous paraissent être celles de la plainte à l'autorité hié-rarchique supérieure ou à l'autorité de surveillance et l'intervention parlementaire. En revanche, les actions de l'article 28a du code civil ne nous paraissent envisageables que dans le cadre des campagnes de presse qui ne peuvent pas se rattacher à l'exécution d'une loi. En effet, ce n'est que dans ce contexte que les autorités ne font pas application du droit public.

D. Les victimes des informations

La question se pose enfin de savoir comment les personnes, les associations et les groupes d'intérêt qui s'estiment lésés par une campagne de presse orchestrée par des autorités peuvent faire valoir leurs droits.

1. Les moyens usuels de défense

Le cas des recours pour violation des droits politiques est assez connu pour n'être une fois encore l'objet que d'un rappel.

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Pour le reste, nous partons de l'idée que les tiers en cause subissent un dommage et qu'ils sont lésés dans leurs droits à un traitement égal, véridique et aussi objectif que possible de l'auteur de l'information, voire même qu'il y a atteinte à leur liberté d'opinion, à leur liberté personnelle, à leur liberté d'association ou à leur liberté du commerce et de l'industrie.

De tels tiers ont bien sûr le droit de déposer plainte auprès de l'autorité hiérarchique supérieure ou devant l'autorité de surveillance. Ils peuvent attaquer la décision de publier l'information dans la mesure où elle est tenue pour un acte détachable de la publication elle-même. Ils peuvent demander des dommages et intérêts pour acte illicite du fait de la publication.

2. L'Autorité de plainte

Si la diffusion a lieu à la radio-télévision, la question se pose de savoir si

!'Autorité de plainte peut être saisie.

A cet égard, si l'on qualifie l'information diffusée de déclaration officielle, il faut se demander qui engagerait sa responsabilité par la diffusion d'une série de déclarations officielles, à supposer que cette qualification soit dûment établie.

La réponse se trouve à l'article 6 de la concession. En effet, cette disposition prévoit que l'autorité qui ordonne une communication officielle en prend la responsabilité.

Cette règle implique, négativement, que la SSR qui est tenue de diffuser les déclarations, sans pouvoir s'y opposer, ne peut pas être responsable des violations de la concession que de telles déclarations pourraient contenir ; notamment, la SSR n'a aucun devoir d'assurer que la déclaration présente les faits de manière fidèle ou reflète équitablement la diversité des opinions. De même, la SSR n'a aucune responsabilité pour les dommages qu'une déclaration officielle pourrait causer de manière illicite à des tiers.

Cette règle implique, positivement, que non l'autorité qui a conçu la déclaration mais celle qui en a ordonné la diffusion est seule responsable.

Nous avons déjà relevé cependant que l'on ne voyait pas comment la responsabilité du Conseil fédéral pourrait être mise en cause devant

!'Autorité.

Cependant, la situation n'est pas entièrement négative pour autant.

Certes, si la diffusion a été ordonnée par une autre autorité que le Conseil fédéral, ce ne peut être qu'avec l'autorisation de celui-ci. Mais le Conseil fédéral n'a pas ordonné la diffusion de l'émission. Dès lors, la responsabilité primaire sera celle de l'autorité qui a donné l'ordre de diffuser la déclaration officielle ; ce ne sera pas celle du Conseil fédéral qui n'a fait que déléguer le pouvoir d'ordonner la diffusion.

Il n'est cependant pas certain que !'Autorité soit compétente pour vérifier que l'autorité qui ordonne la diffusion d'une déclaration officielle respecte ses devoirs généraux en tant qu'autorité. En effet, son rôle principal est de veiller au respect de la concession de la SSR.

En revanche, selon un principe général du droit, dans la mesure où une autorité a délégué à une autre autorité un pouvoir qui lui appartient, le déléguant a le droit et le devoir de surveiller la manière dont le délégataire utilise le pouvoir délégué.

Il en résulte que la question de la responsabilité, au sens de l'article 6 de la concession pour violation des devoirs généraux de véracité et d'im-partialité dans les opinions de toute autorité, pourrait au moins être sou-levée, le cas échéant, devant le Conseil fédéral par la voie d'une plainte.

Si l'on qualifie l'information d'information générale, il n'est pas douteux, comme on l'a vu, que la procédure de plainte s'applique devant

!'Autorité. Si l'on qualifie l'information d'émission publicitaire, nous avoris déjà indiqué que la SSR est responsable pour vérifier que les spots font bien partie d'une "campagne d'intérêt public" et répondent par conséquent à un intérêt public; la SAPT est responsable pour assurer que le contenu des spots n'est ni mensonger ni fallacieux.

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Si les spots ne sont pas d'intérêt public ou si leur contenu est fallacieux ou mensonger, le tiers peut déposer plainte devant l'Autorité s'il peut prouver qu'il est particulièrement concerné par l'objet des émissions incriminées (article 14, let. c de l'Arrêté concernant l'Autorité).

3. La protection de la personnalité

Reste la question de l'application des articles 28 à 28 1 du code civil relatifs à la protection de la personnalité contre les atteintes illicites de tiers.

Les articles 28 et suivants ne s'appliquent en principe pas, selon BUCHER2S, aux atteintes portées à des tiers par des personnes agissant dans le cadre du droit public.

Dès lors, la question de la protection de la personnalité ne pourrait se poser que dans la mesure où l'autorité agirait en droit privé, c'est-à-dire lorsqu'elle agirait en dehors de l'exécution d'une loi.

Cependant, de manière générale, l'article 28 g donne un droit de réponse à celui qui est "directement touché dans sa personnalité par la présentation que font des médias à caractère périodique, notamment la presse, la radio et la télévision, de faits qui le concerne".

Il faut donc examiner si les tiers n'ont pas au moins ce droit de réponse contre les allégations fallacieuses des autorités.

Il convient donc de dire quand une personne est atteinte directement dans sa personnalité et quand la présentation de faits est en cause.

Selon le commentaire de BUCHER, la protection de la personnalité s'étend non seulement aux personnes physiques mais aussi aux associations, même si celles-ci ne peuvent, par définition, pas bénéficier de toute la protection dont jouissent les personnes physiques26.

25 A. BUCHER, Personnes physiques et protection de la personnalité, Bâle, 1985, 455.

Ibid., n ° 420.

Il convient ensuite de dire quels droits de la personnalité peuvent être atteints de sorte qu'un droit de réponse doive être admis.

Parmi les droits protégés, il faut retenir notamment le droit à l'hon-neur27.

Il faut entendre par là l'estime professionnelle, économique et sociale, jugée selon des critères objectifs pouvant varier selon les activités mais non selon les sentiments peut-être exacerbés de la personne en cause.

En principe, toute atteinte à l'honneur est illicite. Cependant, le consentement, un intérêt public ou privé prépondérant ou la loi peuvent, selon l'article 28 alinéa 2 du code civil, justifier une atteinte.

On retiendra qu'il y a un intérêt public prépondérant à permettre aux médias de diffuser des informations d'intérêt général. Cet intérêt public général est cependant lui-même limité par le devoir des médias de veiller à ne diffuser que des informations dont ils n'ont aucune raison de penser qu'elles ne sont pas exactes28.

Encore faut-il de plus que les événements rapportés aient un intérêt suffisant pour être l'objet d'une diffusion.

Le droit de réponse vise à permettre à celui qui est touché directement dans sa personnalité de faire diffuser sa propre version des faits indépendamment de toute action devant le juge. En revanche, le droit de réponse ne permet pas de contester des opinions ou des jugements de valeur29 (pour cela, les règles particulières dont le respect est contrôlé par l'Autorité s'appliquent).

Le droit de réponse appartient bien entendu aux personnes physiques et morales dans la mesure où elles sont touchées dans leur personnalité par l'émission en cause ; il suffit qu'elles soient "touchées" dans leur per-sonnalité par la présentation de faits inexacts30 .

27 Ibid., n°s 485 ss.

28 Comp. A. BUCHER, op. cit., (note 25), n° 530.

29 Ibid., n° 634.

30 Ibid., n°s 635 et 647/8 ainsi que D. BARRELET, Droit suisse des mass media, 2e éd. 1987, nos 631 et 646.

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Nous ne voyons, en revanche, aucune raison de ne pas reconnaître un droit de réponse aux intéressés lorsqu'ils sont touchés par une émission émanant d'une collectivité publique, même lorsque cette émission est faite dans le cadre d'un moyen d'information géré par la puissance publique31.

En effet, nous ne voyons pas pourquoi un communiqué officiel ou une émission faisant partie d'une campagne d'intérêt public devraient bénéficier d'une sorte d'immunité alors même qu'ils présenteraient des faits inexacts. Une réparation par la voie de l'indemnité pour tort moral ne saurait suppléer à un droit de réponse.

Cependant, pour bénéficier du droit de réponse, il ne suffit pas de démontrer une atteinte à la personnalité ; il faut encore que cette atteinte ait été directe.

En d'autres termes, seule bénéficiera du droit de réponse la personne physique ou morale nommément désignée ou décrite de façon à ce qu'il n'y ait aucun doute sur la personne visée32. Une association ne pourra réagir que si elle est visée comme telle ou si la majorité de ses membres le sont.

En tout état de cause, nous l'avons dit, le droit de réponse ne peut porter que sur la présentation de faits et non sur la présentation d'opinions.

Le fait que les spots soient diffusés dans le programme ou dans les

"plages" publicitaires ne change rien à l'exercice du droit de réponse33, On remarquera, enfin, que selon D. BARRELET34, les conditions générales de la SAPT précisent que la SSR décide de la publication d'une réponse dans le cadre du droit de réponse et que l'annonceur dont la séquence publicitaire a donné lieu à la diffusion de la réponse en supporte les frais.

31 En notre sens, D. BARRELET, op. cit., (note 30), n° 630 ; d'avis contraire semble-t-il A. BUCHER, op. cit., (note 25), n° 635.

32 Cf D. BARRELET, op. cit., (note 30), n° 647.

33 A. BUCHER, op. cit., (note 25), n° 664; D. BARRELET, op. cit., (note 30), n° 643.

BIBLIOGRAPHIE

BUCHER A. (1985) Personnes physiques et protection de la personnalité, Bâle.

BARRELET D. (1987) Droit suisse des mass media, 2e éd., Berne.

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