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Chapitre 3 : Les processus mnésiques sous-jacents à l’effet de pensée inconsciente

3.2. Les processus mnésiques qui sous-tendent l’effet de pensée inconsciente

3.2.1. Problématique

Rappelons que d’après l’UTT (Dijksterhuis & Nordgren, 2006), la pensée consciente est un processus de pensée orienté vers une tâche ou un objet, qui se déroule consciemment, peut suivre des règles strictes et est précis, mais est contraint par les limites de capacité de la mémoire de travail et peut conduire à pondérer de façon inadéquate l’importance des informations de la tâche ou de l’objet. La pensée inconsciente est un processus de pensée orienté vers une tâche ou un objet, qui se déroule en dehors de la conscience, procède par association et produit des estimations vagues, dispose de grandes capacités de traitement et permet de pondérer et d’intégrer adéquatement les informations relatives à la tâche ou de l’objet.

Dans le premier chapitre, nous avons vu qu’un certain nombre d’études empiriques appuient ces hypothèses concernant les caractéristiques des deux formes de pensée. Plusieurs variables modératrices identifiées dans la méta-analyse corroborent aussi ces hypothèses.

la période de distraction lorsque les participants savent qu’ils vont devoir faire un choix. En effet, les résultats ont indiqué que la supériorité des décisions prises après distraction en comparaison aux décisions prises immédiatement ou après réflexion est plus susceptible d’être obtenue lorsque le but de décision est donné aux participants avant la phase de distraction ou de réflexion.

Les résultats de la méta-analyse ont aussi indiqué qu’une période de distraction a plus de chance de conduire les participants à faire de meilleurs choix qu’une période de réflexion lorsque ces derniers sont amenés à se former une représentation globale et cohérente des options que lorsqu’ils sont amenés à focaliser leur attention sur certaines caractéristiques spécifiques. Ainsi, conformément aux prédictions de Dijksterhuis et Nordgren (2006), la pensée inconsciente semble être plus à même de traiter un grand nombre d’informations et de les combiner ensemble de façon à en former un tout cohérent. A l’inverse, la pensée consciente semble être plus à même de suivre des règles précises et s’avère utile pour évaluer les options par rapport à un critère spécifique.

De plus, la méta-analyse a montré que l’effet de pensée inconsciente est plus susceptible d’être obtenu lorsque les caractéristiques des options sont présentées de façon globale toutes ensembles simultanément ou par option que lorsqu’elles sont présentées une à une de façon aléatoire ou par critère. Il est possible que le fait de présenter les caractéristiques de façon globale favorise l’obtention de l’effet parce que ce format de présentation encourage la formation d’une représentation globale et cohérente des options. En revanche, le fait de présenter les caractéristiques dans un ordre aléatoire ou par critères rend difficile voire empêche l’élaboration d’une telle représentation.

Finalement, les résultats de la méta-analyse ont aussi indiqué que le fait de combiner des informations verbales et des images favorise l’apparition de l’effet en comparaison à la présentation d’informations seulement verbales. Ce résultat est conforme avec la prédiction de l’UTT selon laquelle la pensée inconsciente procède par association et encourage la création de représentation globale. En effet, les images sont généralement traitées de façon plus holistique, comme un tout, que les informations verbales.

Les résultats de la méta-analyse sont moins clairs concernant le principe d’après lequel l’attention consciente devrait être complétement détournée de la tâche de décision pour que l’effet de pensée inconsciente se produise. Il semble que l’effet a plus de chance de se produire lorsque la tâche de distraction est relativement simple et est donc susceptible de

nécessiter moins de ressources cognitives qu’une tâche plus complexe. Notons dès à présent que, conformément à la distinction proposée par Strick et collègues (2011) (voir Chapitre 7), le terme « ressources cognitives » renvoi aux ressources nécessaires pour traiter une information particulière, tandis que le terme « attention consciente » renvoi plutôt à la conscience du fait que ce traitement est à l’œuvre

Pour résumer, les variables modératrices identifiées par la méta-analyse semblent attester certaines des hypothèses de Dijksterhuis et Nordgren (2006). Ainsi, la pensée consciente est un processus de pensée dirigé par un but, qui sollicite de l’attention consciente et des ressources cognitives pour opérer, peut suivre des règles et est précise. La pensée inconsciente, quant à elle, est un processus de pensée dirigé par un but, qui semble solliciter moins d’attention consciente et/ou de ressources cognitives que la pensée consciente, peut intégrer un grand nombre d’informations en fonction de leur sens et encourage la formation d’une représentation globale.

Ces résultats conduisent inévitablement à penser que des processus différents sous- tendent les deux modes de décisions. En effet, la pensée consciente semble être basée sur des processus contrôlés et précis qui nécessitent des ressources cognitives pour opérer comme la recollection et la récupération de représentations verbatim. La pensée inconsciente semble plutôt être basée sur des processus holistiques qui procèdent par association, produisent des estimations plus vagues et globales et ne nécessitent pas ou moins de ressources cognitives comme la familiarité et la récupération de représentations gist.

Il y a toutefois peu d’études expérimentales utilisant le paradigme d’étude de la pensée inconsciente (Dijksterhuis, 2004) qui ont examiné les processus et représentations en mémoire sous-jacents à ces deux modes de décisions. Quelques études ont employé une tâche de mémoire classique dans laquelle les participants doivent soit rappeler ou bien reconnaitre les caractéristiques des options (Bos et al., 2008 ; Bos et al., 2011 ; Dijksterhuis, 2004 ; Handley & Runnion, 2011 ; Lerouge, 2009 ; Newell et al., 2009 ; Waroquier et al., 2009). Ces études n’ont pas rapporté de différence dans les performances de rappel ou de reconnaissance entre les modes de décision.

Une étude conduite par Dijksterhuis (2004) a cependant apporté des éléments en faveur de l’idée selon laquelle la représentation mentale d’un objet est transformée différemment après une période de distraction que immédiatement après la lecture des informations ou après une période de réflexion. Dans cette étude, les participants ont lu 18 phrases décrivant

une personne selon trois catégories de traits (par exemple, l’intelligence) puis ils ont effectué une tâche de rappel soit immédiatement après la lecture des informations, soit après une période de réflexion ou après une période de distraction. Le mode de décision n’a pas eu d’effet sur la proportion de rappel total. Un score de regroupement reflétant la mémoire des catégories de traits a aussi été calculé. Ce score est obtenu en divisant le nombre de fois où plusieurs informations appartenant à une même catégorie sont rappelées les unes à la suite des autres par le nombre total d’informations rappelées moins un. Les participants de la condition de distraction ont obtenu le plus haut score de regroupement. Ces résultats suggèrent que l’information en mémoire est mieux organisée après une période de distraction. Il y aurait intégration des informations relatives à la même catégorie. Ces résultats sont intéressants parce qu’ils fournissent un aperçu des potentiels processus à l’œuvre au cours d’une période de distraction. Ils semblent aller dans le sens de l’idée selon laquelle une période de distraction conduit à récupérer des représentations gist. Notons, toutefois que, dans cette étude, les participants n’ont pas eu à faire de choix ni émettre de jugement. Ces résultats ne nous fournissent donc pas d’information quant au processus à l’œuvre lorsque l’effet de pensée inconsciente se produit.

Nous pensons qu’une raison pour laquelle la plupart des études n’ont pas montré de différence entre les modes de décision au niveau des performances de mémoire pourrait être parce que les tâches de mémoire utilisées n’ont pas permis de séparer et de quantifier la contribution respective des deux types de processus et représentations.

De plus, les variables qui modèrent l’effet de pensée inconsciente sont semblables à celles qui affectent l’un ou l’autre des processus ou représentations en mémoire. En effet, un certain nombre d’études (Dodson & Johnson, 1996 ; Gruppuso et al., 1997 ; Koutstaal, Schacter, & Brenner, 2001) ont par exemple montré que l’attention divisée lors de la récupération de l’information, une condition comparable à la condition de distraction du paradigme d’étude de la pensée inconsciente, affecte le processus de recollection ainsi que la récupération de représentations verbatim sans pour autant avoir d’effet sur la familiarité ni sur la récupération de représentations gist. De plus, comme évoqué ci-dessus, les résultats de la méta-analyse semblent attester la proposition de l’UTT qui décrit la pensée inconsciente comme un processus holistique qui procède par association et produit des estimations vagues et globales. Ainsi, la pensée inconsciente pourrait bien être basée sur un processus de familiarité et favoriser la récupération de représentations gist. Des travaux basés sur la FTT (Reyna, 2008 ; Reyna et al., 2011 ; Reyna & Lloyd, 2006) ont aussi montré que les personnes

expertes dans un domaine ont tendance à s’appuyer davantage sur des représentations gist dans leurs jugements et décisions que les novices. Comme les experts produisent généralement de meilleures réponses, ce résultat appuie l’idée selon laquelle l’effet de pensée inconsciente pourrait être lié à la récupération de représentations gist.

D’autres variables comparables à celles qui modèrent l’effet de pensée inconsciente, comme l’orientation du traitement lors de l’encodage de l’information, affectent différemment les processus de recollection et de familiarité, ainsi que la récupération de représentations verbatim et gist. Des études (Dobbins, Kroll, Yonelinas, & Liu, 1998 ; Gruppuso et al., 1997 ; Hunt, 2003 ; McCabe, Presmanes, Robertson, & Smith, 2004 ; Toglia, Neuschatz, & Goodwin, 1999) ont montré que le fait de conduire les participants à traiter l’information de façon globale et catégorielle plutôt que de traiter en détail chaque élément d’information, affecte le processus de recollection et la récupération de représentations verbatim. Ainsi, les variables comme la consigne de la phase d’étude, le matériel ou encore le format de présentation des caractéristiques des options, qui modèrent l’effet de pensée inconsciente pourrait aussi impacter le processus de recollection et la récupération de représentations verbatim. Plus précisément, il apparait que le fait d’amener les participants à traiter l’information de façon globale (par la consigne, le matériel, le format, etc.) favorise l’obtention de l’effet et diminue la recollection et la récupération de représentations verbatim. A l’inverse, le fait d’amener les participants à traiter chaque élément d’information en détail (par la consigne, le matériel, le format, etc.) favorise la pensée consciente et augmente la recollection et la récupération de représentations verbatim. Ainsi, il semblerait que la récupération de représentations littérales et précises soit utile à la réflexion consciente. De plus, comme évoqué ci-dessus, les résultats de la méta-analyse semblent confirmer la proposition l’UTT qui stipule que la pensée consciente est coûteuse à mettre en œuvre mais est précise et permet d’appliquer des règles strictes. Ainsi la pensée consciente pourrait être liée à un processus de recollection et à la récupération de représentations verbatim qui sont littérales et précises alors que la pensée inconsciente serait plutôt liée à un processus de familiarité et permettrait la récupération de représentations gist qui sont vagues et catégorielles.