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Chapitre 1 : L’effet de pensée inconsciente en matière de décisions complexes

1.2. La théorie de la pensée inconsciente

1.2.3. Le principe de traitement ascendant versus descendant

Selon ce principe, la pensée consciente s’appuie sur un processus de traitement dit «

descendant » (de l’anglais « top down ») c’est-à-dire dirigé par les connaissances, les

expériences passées et les attentes du sujet. Sur la base des travaux montrant que l’utilisation de stéréotypes augmente lorsque les ressources cognitives disponibles sont limitées (par exemple, Bodenhausen, 1988 ; Macrae, Milne, & Bodenhausen, 1994), les auteurs de la théorie de la pensée inconsciente ont proposé que les limites de capacités de la pensée consciente devraient la contraindre à utiliser des heuristiques et des schémas de pensée ou stéréotypes pour traiter une situation donnée. La pensée inconsciente s’appuie quant à elle sur un processus de traitement dit « ascendant » (de l’anglais « bottom up ») c’est-à-dire qui est dirigé par les informations perçues et peu par les hypothèses ou les attentes du sujet. Ainsi, la pensée inconsciente, n’étant pas limitée par les capacités de traitement de la conscience, ne serait pas influencée par les heuristiques, les schémas de pensée ou stéréotypes et serait capable d’intégrer l’information efficacement tout en évitant les biais et erreurs de jugement qu’une utilisation de schémas inadaptés pourrait conduire à adopter.

Une étude (Bos & Dijksterhuis, 2011) a permis de tester ce principe en utilisant un dispositif expérimental permettant d’amorcer un stéréotype. Les participants avaient comme consigne de se former une impression sur un individu appartenant à une catégorie sociale stéréotypée. Le nom de l’individu et sa catégorie sociale d’appartenance étaient précisés au début de l’expérience. Cet individu était décrit par une série de traits comportementaux compatibles ou incompatibles avec le stéréotype activé ou encore neutres. Une première expérience a montré que les participants de la condition de réflexion jugeaient l’individu cible de façon plus stéréotypée, leurs évaluations sur les traits comportementaux compatibles étaient plus élevées et leurs évaluations sur les traits comportementaux incompatibles étaient plus faibles que celles des participants de la condition de distraction. Ces derniers tendaient aussi à rappeler davantage de traits comportementaux incompatibles avec le stéréotype que les participants de la condition de réflexion. Les résultats de la seconde expérience, dans laquelle une tâche de décision lexicale était utilisée, ont révélé que l’information non compatible avec le stéréotype activé était moins accessible que l’information compatible avec le stéréotype après une période de réflexion. Le fait de réfléchir amenait les participants à inhiber l’information non compatible avec le stéréotype activé. Ces derniers répondaient plus lentement aux mots ne correspondant pas au stéréotype activé qu’aux mots qui y

correspondaient. Ces résultats supportent l’idée selon laquelle la pensée consciente s’appuie sur des processus de traitement descendants pouvant conduire à des biais et erreurs de jugements.

Messner, Wänke & Weibel (2011) ont examiné l’influence de l’introduction d’une information stéréotypée, concernant le genre et l’attractivité, sur la sélection d’un candidat à un poste après une période de distraction ou de délibération. Des dossiers de candidature qui comprenaient un CV avec les qualifications du candidat, le nom et la photographie de celui-ci, étaient présentés. Le matériel était conçu de sorte à ce que les candidats puissent être classés du meilleur au moins bon en fonction du nombre de qualifications de chacun d’eux. Le candidat défini comme objectivement le meilleur était celui qui avait le plus de qualifications. Le nombre de qualifications et les noms étaient combinés de façon à ce qu’en moyenne les candidats avec des noms féminins aient plus de qualifications que les candidats avec des noms masculins. Ainsi, la sélection d’un candidat masculin reflétait un biais de genre en faveur des hommes. Enfin, le nombre de qualifications et les photographies étaient combinés de sorte à ce que le candidat avec le plus de qualifications soit le moins attractif et vice versa. Ainsi, un participant dont le jugement serait basé uniquement sur l’attractivité du candidat choisirait le candidat le moins qualifié. La tâche des participants consistait à sélectionner le candidat idéal et évaluer le niveau de qualification et d’attractivité de chaque candidat. Les résultats ont révélé que les participants dans la condition de réflexion sélectionnaient un candidat moins qualifié et évaluaient le candidat avec le plus de qualifications comme moins qualifié que les participants de la condition de distraction. De plus, une période de réflexion amenait les participants à considérer que les candidats masculins avaient un niveau de qualification plus élevé que les candidats féminins. Les auteurs ont aussi observé une plus forte corrélation entre le niveau de qualification et le niveau d’attractivité du candidat après réflexion qu’après distraction. Ces résultats étayent l’idée selon laquelle la pensée consciente produit plus d’erreurs dans les jugements que la pensée inconsciente. Ces erreurs pourraient être le résultat d’un traitement descendant biaisé en faveur d’informations qui sont non pertinentes mais conformes aux attentes du participant.

Toutefois, Waroquier et collègues (2009) ont rapporté une expérience avec des résultats contraires à ce principe. Les participants devaient évaluer des dossiers de candidature pour un poste d’ingénieur, profession qui est stéréotypiquement plus souvent associée aux hommes qu’aux femmes, selon deux conditions. Dans une condition, le meilleur candidat

avait un nom d’homme et le moins bon candidat un nom de femme, ce qui était compatible avec le stéréotype, et c’était l’inverse dans une seconde condition. Les résultats ont montré que les participants de la condition de réflexion consciente faisaient un meilleur classement des candidats que les participants distraits. Ces résultats vont à l’encontre de l’idée selon laquelle la pensée consciente serait plus influencée par les stéréotypes que la pensée inconsciente.