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Chapitre 1 : L’effet de pensée inconsciente en matière de décisions complexes

1.3. L’effet de pensée inconsciente est difficile à reproduire

1.3.2. Les hypothèses alternatives

Deux hypothèses alternatives ont été avancées dans la littérature pour tenter d’expliquer ces résultats divergents. Ainsi, plusieurs auteurs ont suggéré que l’effet de pensée inconsciente ne reflète pas un avantage de la pensée inconsciente mais pourrait plutôt être dû

est trop artificielle et peu adaptée à l’élaboration d’un raisonnement conscient. Par exemple, Payne et ses collègues (2008) ont proposé que l’effet ne puisse être observé qu’à condition que les participants soient contraints de réfléchir pendant un laps de temps artificiellement long. Selon ces auteurs, le fait d’être forcés de penser au problème de décision pendant trop longtemps a conduit les participants à considérer des informations peu importantes ce qui a détérioré leurs performances (voir aussi Rey et al., 2009).

Pour tester cette hypothèse, Payne et ses collègues (2008) ont comparé les conditions de réflexion consciente et de distraction du paradigme classique à une condition de réflexion consciente dans laquelle la durée de la réflexion était laissée à l’appréciation des participants. Les participants des conditions de distraction et de réflexion sans contrainte de temps ont obtenu de meilleures performances que ceux de la condition de réflexion classique mais les deux premiers groupes ne différaient pas significativement entre eux. Ainsi, l’effet de pensée inconsciente n’est pas obtenu lorsque la durée de la réflexion est laissée à l’appréciation des participants. Selon ces auteurs, ces résultats sont la preuve que l’effet est plutôt dû aux faibles performances des participants de la condition de pensée consciente classique qui est artificiellement contrainte qu’à la supériorité d’une forme de pensée inconsciente.

Une seconde réinterprétation de l’effet de pensée inconsciente porte sur la possibilité que les participants prennent leur décision avant la phase de réflexion ou de distraction. Comme les caractéristiques de chaque option sont présentées de façon sérielle et souvent aléatoirement, les participants sont amenés à se former une première impression en ligne, c’est à dire au cours de la phase de présentation de l’information, en la mettant à jour au fur et à mesure que l’information est présentée (Lassiter, Lindberg, Gonzalez-Vallejo, Bellezza, & Phillips, 2009 ; Newell et al., 2009 ; Waroquier, Marchiori, Klein, & Cleeremans, 2010). Ainsi, puisque dans la condition de distraction, le traitement conscient de ces informations est découragé voire empêché, les réponses des participants consisteraient en fait en un simple rappel de cette impression formée en ligne. A l’inverse, dans la condition de réflexion, le traitement conscient de ces informations sur base de traces mnésiques est encouragé. Du fait du grand nombre et du mode de présentation des informations, il est certain que le souvenir de celles-ci est imparfait, fragmenté, et mal organisé (Shanks, 2006). Les participants enjoints à délibérer tenteraient d’ajuster leurs premières impressions susceptibles d’être de bonne qualité sur base de traces mnésiques imparfaites (Hastie & Park, 1986). Nous assisterions donc à une détérioration de la qualité de la décision due à un excès de

réflexion consciente. Ici, le simple rappel d’une impression formée en ligne conduirait à prendre de meilleures décisions (Lassiter et al., 2009 ; Waroquier et al., 2010).

Pour tester cette hypothèse, Waroquier et collègues (2010) ont manipulé les instructions données aux participants avant la phase de présentation des informations dans le paradigme classique afin de défavoriser ou de favoriser les jugements en ligne. Dans une condition, les participants devaient mémoriser les caractéristiques des options alors que dans l’autre, ils avaient comme tâche de se former une impression de ces options. Une interaction entre le type d’instruction et le mode de décision a été obtenue. Lorsque les jugements en ligne étaient favorisés, les décisions prises après une période de distraction étaient meilleures que les décisions prises après une période de réflexion consciente. Par contre, lorsque les jugements en ligne étaient défavorisés voire empêchés par l’instruction de mémorisation, les décisions prises par les participants enjoints à délibérer consciemment étaient meilleures que celles prises après distraction et immédiatement. Notons aussi qu’aucune différence significative n’était observée entre les conditions de distraction et de décision immédiate et ce indépendamment du type d’instruction. Selon ces auteurs, ces résultats suggèrent que l’effet de pensée inconsciente qui est notamment obtenu dans des études où les participants reçoivent l’instruction classique de formation d’impression sur les options, est plutôt dû à une détérioration des performances des participants de la condition de pensée consciente du fait d’un excès de réflexion sur base de traces mnésiques imparfaites qu’à la supériorité d’une forme de pensée inconsciente.

Notons toutefois que ces hypothèses alternatives n’expliquent pas pourquoi dans 37 des expériences que nous avons recensées, les participants distraits prennent de meilleures décisions que les participants qui font leur choix immédiatement. Les résultats divergents obtenus dans la littérature pourraient aussi suggérer, et nous y reviendrons au Chapitre 3, qu’il existe des variables modératrices de l’effet.

Dans ce chapitre, nous avons vu que :

- Des études ont montré que, lorsqu’une décision est complexe et implique de nombreux facteurs, les décisions prises après avoir réalisé une tâche de distraction pendant quelques minutes sont meilleures que les décisions réfléchies et immédiates.

- L’interprétation proposée est qu’un processus de pensée inconsciente continue à traiter l’information relative au choix en l’absence d’attention consciente. La pensée consciente, quant à elle, opérerait lorsque l’attention consciente est portée sur l’objet ou la tâche.

- D’après la théorie de la pensée inconsciente, la pensée inconsciente serait plus efficace que la pensée consciente lors de décision complexe parce qu’elle n’est pas limitée par les contraintes de capacité du système conscient, et est capable de traiter, de pondérer et d’intégrer adéquatement un grand nombre d’information en dehors de la conscience.

- Une centaine d’études ont à ce jour examiné l’effet de pensée inconsciente. La moitié d’entre-elles l’ont reproduit. La méta-analyse la plus récente conclut que l’effet est bel et bien significatif.

- Deux hypothèses alternatives ont été proposées pour tenter d’expliquer pourquoi l’effet de pensée inconsciente n’a pas été reproduit dans certaines études utilisant le paradigme standard.