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3. Chapitre 3 – Problématique et stratégie de recherche

3.1. Problématique

La revue de littérature a d’abord permis de définir l’organisation comme un processus

dynamique dans lequel la structure organisationnelle (règles, procédures, répartition des tâches,

environnement de travail…) modèle et est modelée par les actions et décisions d’acteurs

autonomes et responsables. Dans cette perspective, chaque acteur contribue donc à construire et faire évoluer l’organisation au quotidien dans son travail, afin qu’elle constitue une ressource

pour faire face à la réalité du travail, en participant d’un « travail d’organisation » (arbitrages

répétés produisant des accords locaux révisables qui permettent de faire le travail pour un

temps). Le management se situe au cœur de cette régulation conjointe de par son rôle

d’articulation entre les logiques parfois contradictoires d’une multitude d’acteurs : son enjeu

est de favoriser l’élaboration de règles effectives, c’est-à-dire de compromis d’action issus

d’une négociation implicite ou explicite, acceptables par les différentes parties. Par ce processus

d’organisation (organizing), il engage un processus dynamique de construction collective et

continue de sens (sensemaking), qui contribue à interpréter et faire exister la stratégie dans les

pratiques quotidiennes. Une telle activité soutien une forme de participation spontanée des

acteurs dans le cours de l’activité. Mais celle-ci peut également être formellement organisée à

travers des dispositifs participatifs, tels que les espaces de discussion sur le travail qui se

développent dans les organisations. Impliquer explicitement les différents acteurs dans ce type

de démarche pose alors la question politique de la participationet de la répartition du pouvoir

de décision qu’elle suppose : qui est appelé à participer à quoi, à quelles fins et selon quelles modalités ?

Cinq disciplines ont alors été interrogées quant à leur vision des enjeux de la discussion sur le

travail : la psychodynamique du travail, la clinique de l’activité, les sciences de l’éducation, de gestion et l’ergonomie. A travers les notions de « capabilités », de « pouvoir d’agir », « d’agencéité » ou de « subsidiarité », elles semblent toutes viser l’accroissement des possibilités des acteurs d’agir sur leur travail et son organisation pour y trouver du sens, « s’y

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retrouver » et s’y développer, individuellement comme collectivement. Ce faisant, elles développent des approches et des méthodologies différentes.

Dans la partie empirique de cette thèse, plusieurs dispositifs de discussion seront étudiés. Ils s’appuient plus particulièrement sur les approches et méthodologies de deux disciplines : l’ergonomie et la gestion. En effet, leur conception s’est basée sur les principes « d’ingénierie de la discussion » précédemment synthétisés Figure 20, p.109, proposés par différents auteurs des différentes disciplines (Detchessahar, 2011 et 2013, Van Belleghem & Forcioli Conti, 2015 ; Rocha, 2014 ; Conjard & Journoud, 2013) : une discussion outillée par des méthodes de convocation de l’activité pour être centrée sur le travail réel, animée par un manager formé à l’analyse de l’activité, structurée et protégée par des règles du jeu, selon une durée et une fréquence adaptées à la temporalité de l’activité, et aboutissant de manière collective et participative à des actions concrètes. L’aménagement de « l’espace de la discussion » est également visé, en particulier à travers la volonté d’institutionnaliser la discussion et de développer des mécanismes de subsidiarité, par l’organisation d’espaces de discussion à différents niveaux hiérarchiques.

Dans cette perspective, il s’agit de développer le potentiel « capacitant » des organisations. Pour rappel, une organisation « capacitante » est une organisation « débattable » et « instrumentalisable », c’est-à-dire capable de se transformer et de se développer, à travers la confrontation des points de vue et le débat sur les règles organisationnelles, afin de créer les conditions du développement des individus et des collectifs (Barcellini, 2017). L’intervention « capacitante » poursuit ainsi trois objectifs : des objectifs productifs (trouver des solutions organisationnelles), constructifs (développer les individus et les collectifs) et « autopoïétiques », c’est-à-dire visant la pérennisation des deux premiers objectifs, en rendant l’organisation autonome dans sa capacité à se créer, se réajuster et se développer (Carta, 2018). Ainsi, l’enjeu n’est pas tant de transformer directement l’organisation, que de constituer un dispositif qui suscite de nouveaux fonctionnements organisationnels au quotidien et dans la durée, par des méthodes de formation et d’expérimentation collective (Casse & Caroly, 2017) ; cela implique de transformer les représentations des acteurs et de favoriser le développement au moyen de démarches participatives (Falzon, 2013).

Forte de ces fondements théoriques, la recherche vise alors à instruire les perspectives de développement soulignées par Barcellini (2017) : répliquer et ajuster des expériences d’interventions capacitantes à d’autres échelles ou dans d’autres secteurs, analyser les activités

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à l’œuvre au sein de ces divers dispositifs dans une perspective longitudinale et poursuivre les recherches sur l’activité de management.

Trois hypothèses la guideront dans cette perspective :

1) Les dispositifs de discussion sur le travail soutiennent les processus de régulation s’ils

reposent sur :

o une « ingénierie de la discussion » : la discussion doit être outillée par des

méthodes de convocation de l’activité pour être centrée sur le travail réel, animée par un manager formé à l’analyse de l’activité, structurée et protégée par des règles du jeu, selon une durée et une fréquence adaptées à la temporalité de l’activité et aboutissant de manière collective et participative à des actions concrètes. Ces principes doivent être adaptés et adaptables aux spécificités des situations dans lesquelles ils sont employés ;

o une ingénierie de « l’espace de la discussion » : organiser la participation et la

subsidiarité en ouvrant des espaces de discussion à différents niveaux hiérarchiques, mais également en travaillant sur le rôle et les marges de manœuvre des managers ainsi que sur les processus décisionnels que cela implique ; trouver des voies d’intégration de la discussion dans l’organisation du travail et par rapport aux temps d’échange existants.

2) Au-delà d’un « dispositif », la discussion sur le travail constitue un moyen possible,

pour ses « utilisateurs », d’agir sur leur travail et son organisation. Aussi, pour que les acteurs se l’approprient et qu’elle puisse éventuellement se pérenniser, elle nécessite d’être appréhendée « dans une logique de l’activité ». Il s’agit alors d’interroger, voire

de coconstruire la finalité d’une telle démarche pour les différents acteurs.

3) La mise en place de dispositifs de discussion sur le travail change le rôle et le

positionnement des managers, vers un management plus participatif et plus subsidiaire. Cela peut représenter une évolution importante dans des cultures managériales traditionnellement descendantes et nécessiter un accompagnement.

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3.2. Stratégie de recherche : l’approche instrumentale comme outil