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4. Chapitre 4 – Méthodologie de recherche

4.1. L’étude des genèses de l’artefact « dispositif de discussion sur le travail » à travers

4.2.1. La Poste, une entreprise en mutation

La Poste est un groupe de services multi-activités : initialement opérateur de services postaux, elle assure également des activités bancaires, d’assurance, de téléphonie mobile, ou encore de services à la personne. Ces dernières sont regroupées en trois branches principales :

les services Courrier-colis : distribution du courrier et de la presse, livraison des colis et services de proximité ;

la Banque Postale: banque de détail, assurance et gestion d’actifs ;

le réseau : bureaux de poste multi-activités (services bancaires, courrier, colis, express, numériques et téléphonie mobile).

Cette entreprise connaît aujourd’hui de profondes transformations. En effet, Etablissement Public à Caractère Industriel et Commercial (EPIC) dans les années 1990, elle avait le monopole de l’activité courrier sur des marchés réservés et évoluait dans un cadre économique relativement stable et homogène. Elle a remis en cause son modèle économique et social dans les années 2000 pour faire face à deux ruptures fondamentales : la déréglementation du marché du courrier et la montée en puissance des nouvelles technologies de communication, à l’origine d’une chute de 6 à 9% par an du courrier selon ses prévisions en 2013, soit une réduction de

moitié du nombre d’objets transportés (lettres et petits colis) entre 2008 et 20206. Transformée

en Société Anonyme à capitaux publics en 2010, La Poste s’est ainsi repositionnée sur des marchés ouverts à la concurrence, tout en continuant d’assurer des missions de service public. Son objectif a alors été double :

optimiser les activités traditionnelles pour accroître la productivité et la qualité de

service, en rationalisant les effectifs et les organisations du travail : modernisation des équipements, optimisation des processus et méthodes de travail, suppression des temps morts, recours à la sous-traitance pour absorber les pics...

identifier des relais de croissance et diversifier le portefeuille de ses activités telles

que le commerce en ligne, la logistique de proximité, l’assistance aux personnes âgées, fragiles et/ou isolées, les échanges numériques sécurisés, l’habitat connecté, l’économie

6L’avenir de La Poste après le courrier, Le Monde, 23.09.13.

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sociale et solidaire, ainsi que des nouvelles activités basées sur les actifs du Groupe

(gestion immobilière pour le compte d’un tiers, téléphonie mobile, etc.)7.

La stratégie de transformation a ainsi déployé, d’une part, un volet économique de modernisation de l’entreprise et de diversification des métiers, et d’autre part, un volet social visant une garantie de la qualité de l’emploi, du maintien des missions de service public et du développement de la qualité de service. Trois axes de transformation ont plus particulièrement

été suivis (Kaspar, 2012)8 :

1) une décentralisation de l’organisation et du fonctionnement : alors que la gestion était centralisée par des directions transversales en 2002, le Chantier Responsabilisation du Management (RDM) de 2003 a décentralisé cette gestion, avec une organisation par métier : courrier, colis, services financiers et réseau de bureaux de Poste. Chaque métier a été rendu responsable de son activité et de ses moyens pour favoriser une meilleure compréhension des environnements de marchés spécifiques, ainsi qu’une adaptation de la stratégie et de l’organisation à ces environnements : professionnalisation des équipes et des structures, renforcement de l’autonomie et de la responsabilisation du management, simplifié à 3 niveaux...

2) un modèle social évitant les plans sociaux, favorisant les carrières longues (CDI), les temps complets, ainsi qu’une gestion intégrée et équitable des salariés et des fonctionnaires, le recrutement se centrant désormais exclusivement sur des salariés (qui représentaient 10% des effectifs en 1993, contre 50% en 2011) ;

3) une modernisation industrielle et de l’organisation : cela a notamment consisté à développer un réseau européen de colis, à doter la Poste d’une chaine de production de transport et de distribution du courrier moderne, à créer la Banque Postale en 2006, à moderniser les bureaux de Poste...

Dans ce contexte de profondes transformations, la survenue de deux suicides au travail en 2012 a amené la Direction de La Poste à constituer une « Commission du Grand Dialogue », ayant en charge « d’analyser la situation de l’entreprise et de ses salariés en matière de vie au travail » (Kaspar, 2012, p.5).

7 Communiqué de Presse La Poste 2020 : conquérir l’avenir, du 28 janvier 2014.

8 Kaspar, J. (2012). Rapport de la Commission du Grand Dialogue de la Poste (à la demande du PDG du Groupe La Poste), 70p.

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Le rapport Kaspar qui en résulte fait état d’une transformation qui aurait atteint ses principaux

objectifs en 2012 : augmentation du chiffre d’affaire, montée en puissance du colis et de la banque ; meilleure qualité de service du point de vue du délai de traitement du courrier, du temps d’attente réduit aux guichets et de la satisfaction client augmentée ; effectifs moins nombreux, plus qualifiés, plus stables et mieux rémunérés ; maintien dans l’emploi des

inaptes... Mais il pointe également les limites de cette transformation :

des impacts humains : un taux d’inaptitudes de 4%, soit l’équivalent de 10 000

personnes, dont 76% au courrier et 93% au niveau de l’exécution ; une augmentation du

taux d’absentéisme de 2006 à 2011 (date à laquelle il serait de 5,92% soit 21,7 jours

d’absence par agent), des Troubles Musculo-Squelettiques et Psycho-Sociaux, en lien avec le rythme et la nature des réorganisations, les tensions sur les effectifs et les

pratiques d’un management sous pression ;

une décentralisation inachevée : le niveau national fixerait les politiques et c’est au

niveau des NOD (Niveau Opérationnel de Déconcentration, entre le siège et le terrain),

que les processus de prise de décision se joueraient pour mettre en œuvre ces politiques.

Il en résulterait un manque de marges de manœuvre locales, une déconnexion entre la

base et les échelons supérieurs ainsi qu’une absence de prise en compte des particularités

locales. Les managers devraient ainsi répondre à une pression accrue sur les résultats mais aussi sur les aspects humains et sociaux, et concilier les différentes temporalités des salariés, des entreprises, des clients et des pouvoirs publics, sans visibilité à long

terme, ce qui ne faciliterait pas la construction d’un esprit d’équipe. Le pilotage serait

encore vécu comme trop descendant et contraignant avec une responsabilité trop forte

des managers de terrain, qui n’auraient de surcroît qu’un temps limité d’échange avec

leurs équipes ;

Une conduite du changement qui aurait insuffisamment associé les salariés ;

Une révolution culturelle qui mettrait en tension les objectifs de service public et

commerciaux, générant des conflits de valeur. Trois mesures ont alors été prises :

1) Le lancement d’un Grand Dialogue sur la vie et le bien-être au travail ;

2) La création d’une fonction de Médiation de la vie au travail, présente au Comité Exécutif

du Groupe ;

3) La réalisation d’un Cycle de rencontres de la Direction Générale avec les organisations

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D’après un article de Dominique Bailly, directeur du développement RH et de l’innovation

sociale du groupe9 le Grand Dialogue s’est traduit par la participation de 125 000 postiers (sur

250 000 collaborateurs) à 12 000 tables rondes sur six thèmes (le contenu du travail, les conditions de travail, la santé au travail, l’évolution professionnelle, la gestion du changement, les relations au sein des établissements) autour de trois axes : l’identification des points de satisfaction, l’identification des éléments à améliorer et les propositions d’action.

Ce dialogue local ainsi que les travaux de la commission Kaspar ont donné lieu à huit

chantiers : « dialogue social et régulation sociale », « management », « organisation du travail et conduite du changement », « santé et sécurité au travail », « modèle social », « fonction ressources humaines », « reclassement » et « gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ».

De ces travaux ont résulté un accord-cadre sur la qualité de vie au travail à La Poste le 22 janvier

2013. L’accord social « Un avenir pour chaque postier » du 5 février 2015 s’inscrira dans sa

continuité, prévoyant « l’écoute de l’expression des postiers sur leur travail », comme cela sera précisé dans le chapitre 6.

La demande : expérimenter des « espaces de discussion sur le travail »

C’est pour mettre en œuvre l’accord « Un avenir pour chaque postier » que la Direction de la stratégie sociale et de la Qualité de Vie au Travail, rattachée à la DRH du groupe, a souhaité instaurer des « Espaces de Discussion sur le Travail ». Une première expérimentation sur deux sites en Dordogne ayant conclu à la nécessité d’accompagner les managers dans la réalisation de cet exercice, elle a sollicité deux cabinets de conseil pour tester différentes méthodologies au sein de six établissements du groupe : une Plateforme Industrielle Courrier (PIC), deux Directions Régionales (DR), un Centre Financier (CF), une Plateforme de Préparation et Distribution du Courrier (PPDC) et une Plateforme Colis (PFC). La société Plein Sens a été missionnée pour mener cette expérimentation dans trois des six sites retenus, entre juin 2015 et avril 2016 :

une Plateforme Industrielle Courrier (PIC) assurant le tri mécanisé du courrier pour alimenter le national ou le régional, la production s’appuyant sur trois équipes (matin, journée, nuit) ;

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un Centre Financier (CF) regroupant des activités bancaires variées : gestion des comptes professionnels ou entreprises, des dossiers de particuliers, des crédits-immobilier, des opérations sur compte, des flux d’appels, de mails et de courrier des clients, des réclamations, du développement commercial…

un réseau de bureaux de poste développant des services bancaires et relatifs au courrier ou à d’autres services (téléphonie, SAV…).

Figure 28: Une expérimentation d’Espaces de Discussion sur le Travail sur trois sites