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La méthode de recueil et de traitement des données dans une institution bancaire

4. Chapitre 4 – Méthodologie de recherche

4.1. L’étude des genèses de l’artefact « dispositif de discussion sur le travail » à travers

4.1.2. La méthode de recueil et de traitement des données dans une institution bancaire

Contrairement aux cas précédents, nous avons contribué à une partie de l’intervention conduite dans l’institution bancaire. Celle-ci sera présentée plus en détails dans le chapitre suivant mais elle sera synthétisée ici pour y resituer la méthodologie élaborée ainsi que notre contribution. Dans un contexte de profondes transformations consistant à séparer les activités de front et de back office et à réduire les effectifs, la Direction des Relations Sociales de l’institution bancaire

a souhaité se doter d’un outil de mesure de la charge de travail afin de répondre à un accord

d’entreprise, qui prévoyait de « veiller à une bonne appréciation et à une juste répartition de la

charge de travail »5. Le chef de projet nommé pour ce faire a sollicité l’accompagnement d’un

ergonome afin de co-élaborer une démarche avec un groupe de travail et un comité de pilotage.

Cette démarche a progressivement pris la forme d’un dispositif d’appréciation et de régulation

de la charge de travail par la discussion.

Ainsi, l’intervention s’est déroulée en quatre phases entre 2013 et 2017, comme représenté Figure 26 : une phase de lancement du projet et de diagnostic sur la charge de travail, visant à comprendre le travail, son organisation, les pratiques et critères d’évaluation de la charge de travail ; une phase de conception de la démarche sur cette base, avec le groupe de travail et le comité de pilotage ; une phase d’expérimentation du dispositif conçu, d’abord au sein de trois succursales pilotes, puis, après des réajustements du dispositif, au sein de quatre succursales pilotes supplémentaires ; une phase de déploiement à plus grande échelle.

Figure 26: Déroulement de l'intervention réalisée dans l'institution bancaire

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Nous avons alors été sollicitée dans le cadre d’un Master Recherche au moment de la formation des managers de trois succursales puis de l’expérimentation de la démarche par ces managers et leurs équipes, afin d’évaluer cette dernière.

La méthode de recueil de données

L’objectif du recueil de données était de tracer la façon dont le dispositif avait été conçu par les concepteurs et utilisé dans les succursales pilotes. Le recueil de données s’est ainsi fait selon trois modalités : un recueil de documents, des observations et des entretiens.

Le recueil documentaire. Afin de comprendre la façon dont le dispositif a été progressivement élaboré préalablement à notre arrivée, un ensemble de documents a été recueilli : lettre de mission adressée au chef de projet par la Direction des Relations Sociales ; appel à consultation ; proposition d’intervention du cabinet retenu pour accompagner le projet ; note du chef de projet « Une approche de la mesure de la charge de travail » ; documents de présentation de la réorganisation en cours ; accord d’entreprise sur la prévention des risques psychosociaux ; comptes-rendus et supports de présentation de l’ensemble des groupes de travail et comités de pilotage ; supports de communication ; supports de formation aux managers.

Les observations. Sept journées de formation aux managers ont été observées au sein de six succursales (la première succursale ayant été formée préalablement à notre arrivée). Cela nous a permis de bien connaître la formation, le dispositif et de recenser les managers volontaires pour nous accueillir dans leur(s) atelier(s) en tant qu’observatrice.

Seize ateliers ont alors pu être observés au sein des quatre premières succursales pilotes formées qui ont été plus particulièrement investiguées. Quatorze d’entre eux ont été enregistrés dont huit ont été retranscrits pour une analyse plus fine.

Les entretiens. Au total, 72 entretiens individuels ou collectifs de quatre types ont été conduits : des entretiens de « prise de contact » avec les animateurs, des « briefs » pré-ateliers, des « débriefings » post-ateliers et des entretiens « de retour », comme schématisé Figure 27.

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Lors des journées de « prise de contact », nous sommes revenue dans les trois premières

succursales pilotes après les formations, pour faire un point avec la direction sur la mise en place de la démarche et pour rencontrer chacun des managers en entretien semi-directif. Il

s’agissait de : présenter notre double rôle d’évaluation du dispositif et de recherche sur les

espaces de discussion, ainsi que notre méthodologie ; prendre connaissance du travail, de son

organisation, du contexte, des ressources et dysfonctionnements perçus, notamment quant à la

charge de travail ; faire un point sur la démarche, sa perception par le manager et les équipes,

son organisation ; demander d’observer des ateliers ; enfin, recueillir les documents

nécessaires : organigrammes, résultats de l’enquête, analyse des résultats par le manager éventuellement rédigée, planning prévisionnel de mise en œuvre de la démarche, brochures expliquant l’activité...

Les « briefs » étaient réalisés avant les ateliers, avec les managers. Comme cela sera précisé au chapitre suivant, le dispositif prévoyait une enquête informatique sur la charge de travail préalablement aux ateliers. L’objectif de ces entretiens était de faire expliciter les résultats de cette enquête, afin de prendre connaissance de l’état de charge de l’équipe, de son contexte, de son activité, des situations remontées pour la discussion, des représentations du manager et de la façon dont la démarche avait été mise en œuvre (organisation de l’enquête, de l’atelier…).

« Les débriefings » pouvaient être de deux types : avec les managers et/ou avec les agents. Dans ce dernier cas, ils pouvaient se faire soit à notre initiative, sans présence des managers, soit à l’initiative des managers en fin d’atelier (que nous ne doublions pas d’un second débriefing sans manager). L’objectif était de questionner « l’avant » atelier (modalités d’informations, réactions, attentes…), le vécu pendant l’atelier (possibilités ou non d’expression, de contribution aux propositions, points forts et limites, perception de la démarche, améliorations possibles…), et les suites envisagées (actions prévues, impact perçu de l’atelier…).

Les entretiens de « retour », réalisés 15 jours à trois semaines après l’atelier visaient à faire un point sur la mise en œuvre des actions prévues : rédaction d’un compte-rendu ? Remontée de ce plan d’action aux niveaux hiérarchiques prévus ? Actions réalisées directement à l’échelle du service ? Décisions prises et retours aux équipes ? Réactions ? Changements notables ?

Les objectifs et la méthode de traitement des données

Dans le cadre de cette thèse, l’objectif du traitement des données recueillies est double. Il s’agit d’une part de retracer le cycle de conception de l’artefact « ateliers de régulation de la charge

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de travail », qui, comme nous le verrons dans la partie empirique, alterne des phases de

conception pour et dans l’usage. D’autre part, l’étude de l’usage du dispositif, à travers

l’analyse comparée des ateliers réalisés dans deux équipes différentes, vise à tirer des enseignements concernant les dispositifs de discussion, leurs conditions de mise en œuvre et leurs implications en termes de management et d’organisation.

L’étude du cycle de conception des ateliers de régulation de la charge de travail repose sur l’approche instrumentale détaillée au chapitre précédent (Rabardel, 1995 ; Folcher, 2005). Il

s’agit de considérer ce dispositif de discussion conçu dans l’institution bancaire comme un

artefact, composé d’une part de fonctions constituantes (qui seront caractérisées à travers quatre

critères proposés au chapitre précédent : l’appellation du dispositif, ses finalités, les sujets mis

en discussion et les aboutissements de la discussion) et d’autre part, de modes opératoires

prévus (caractérisés à travers six critères : les acteurs, la temporalité de la discussion, son outillage, les modalités de participation, de décision et d’intégration du dispositif dans l’organisation).

L’enjeu est alors d’étudier l’évolution de cet artefact à travers des processus de conception pour

et dans l’usage. Lors des phases de conception pour l’usage, l’artefact est progressivement construit par les concepteurs à travers des processus de « genèses artefactuelles ». Celles-ci

consistent à élaborer progressivement les fonctions constituantes (processus

« d’artefactualisation ») et les modes opératoires prévus du dispositif (processus « d’artefactuation »). Dans l’usage, l’artefact est susceptible de faire l’objet de « genèses instrumentales » si des fonctions sont constituées par les utilisateurs du dispositif (processus « d’instrumentalisation ») et si ces derniers développent des schèmes d’utilisation (processus « d’instrumentation »), dans la continuité ou en rupture avec les modes opératoires prévus. Dans le cas de l’institution bancaire, le traitement des données recueillies effectué pour caractériser les différentes phases du cycle de conception est le suivant.

La première phase de conception pour l’usage ayant eu lieu avant notre intégration dans le

projet, elle a été étudiée a posteriori, à travers l’ensemble des documents recueillis, cités

précédemment. L’analyse de contenu a consisté à identifier dans ce corpus les éléments de définition de l’artefact (appellation, finalité, sujet, aboutissements, acteurs, temporalité, outillage, modalités de participation, de décision et d’intégration dans l’organisation).

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La démarche a ensuite été expérimentée dans trois succursales pilotes. Certains éléments du bilan de cette expérimentation ont amené les concepteurs à faire évoluer le dispositif. Cela

montre comment l’analyse de l’usage a alimenté la (re)conception pour l’usage. Sans

analyser en détail ici l’usage de la démarche, le choix a été fait de rapporter ces éléments de bilan. Ainsi :

un premier bilan des ateliers mis en œuvre est réalisé de manière très synthétique : un graphe identifie les ateliers organisés selon les services dans les trois succursales et un tableau synthétise certaines caractéristiques des ateliers observés (sujet traité, durée, animateurs et participants) sans que l’analyse soit approfondie (sur les aboutissements, finalités, modalités de participation, de décision et d’intégration dans l’organisation).

un second bilan des ateliers non mis en œuvre, ou mis en œuvre tardivement, présente de manière plus détaillée les raisons ayant freiné l’appropriation de la démarche pour les managers.

Ces analyses reposent essentiellement sur les entretiens pré-ateliers réalisés avec les managers des différents services et sur les observations d’ateliers.

La suite de cette partie présente alors les deux évolutions du dispositif, sur la base des comptes-rendus et supports de présentation des comités de pilotage dans lesquels ces décisions ont été validées.

Enfin l’usage de la démarche par les managers et leurs équipes a été étudié à travers

l’analyse comparée des ateliers réalisés par deux équipes différentes. Dans une équipe, un atelier a été conduit sur le thème des « effets pernicieux des statistiques » et a été suivi d’un débriefing collectif en séance, ainsi que d’un débriefing avec les managers uniquement ; dans l’autre, une série de 7 ateliers a été réalisée par deux équipes d’un même service de surendettement. 14 débriefings ont été systématiquement réalisés d’une part avec les agents, en l’absence des managers, et d’autre part avec les managers. L’analyse vise alors à identifier les différentes manières dont les managers et leurs équipes se sont approprié la démarche en détaillant les fonctions constituées ainsi que les schèmes d’utilisation élaborés dans l’usage. Cette analyse permet finalement de tirer des enseignements concernant l’artefact, les conditions de sa mise en œuvre et ses implications en termes de management.

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4.2. Une recherche à La Poste