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Étudier la question de la discussion sur le travail et plus largement de la mise en place de démarches participatives au sein des organisations invite à questionner la notion même de participation. La littérature sur la participation est aussi conséquente que diversifiée, abordée par de nombreuses disciplines et étudiée de la Grèce Antique à nos jours, de l’échelle sociétale à celle de l’entreprise. L’enjeu dans cette partie ne sera donc pas d’en dresser un portrait exhaustif mais d’alimenter notre réflexion sur ce qui la caractérise (partie 1.3.1) et sur les questions qu’elle pose, à partir des mécanismes et ambiguïtés communs relevés dans les différents travaux (partie 1.3.2). Cela aboutira à la dernière partie de ce chapitre (1.4), dans laquelle seront retracés quelques repères sur les évolutions des organisations, du management et de la participation dans les modèles d’entreprise de Taylor à nos jours.

1.3.1. Participer, c’est-à-dire ?

La notion de participation recouvre une multiplicité de significations, d’usages et d’ambiguïtés (Michener, 1998). Entre démocratie industrielle scandinave, conseils ouvriers soviétiques, codétermination allemande ou encore autogestion yougoslave à l’échelle sociétale (Borzeix, Charles & Zimmermann, 2015), elle prend également des formes variées dans l’entreprise, à travers des dispositifs tels que l’information, la consultation, les délégués du personnel, la négociation collective, les comités d’entreprise, l’autogestion, les équipes semi-autonomes, les groupes d’amélioration continue, ou encore l’intéressement financier (Charles & Zimmermann, 2013).

D’après ces derniers auteurs, la participation salariale peut ainsi être indirecte, c’est-à-dire

fondée sur la médiation collective et la représentation syndicale, où les salariés bénéficient de droits par le biais de la négociation collective ou de la législation, et où l’entreprise est conçue

comme un espace mixte de coopération et de conflit. Elle peut aussi être directe entre les

salariés et leur hiérarchie, dans une vision de l’entreprise comme espace de coopération où chacun serait co-entrepreneur, indépendamment de sa position hiérarchique. Ces deux formes de participation s’apparenteraient alors respectivement à une citoyenneté « dans » et « de » l’entreprise, selon les auteurs qui reprennent la qualification de Dominique Martin, soulignant

l’enjeu de démocratie associé à la participation.

Or, le lien entre citoyenneté, démocratie et participation dans l’entreprise ne va pas de soi (Borzeix, Charles & Zimmermann, 2015). En effet, le salariat est par définition une relation

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juridiquement asymétrique de subordination d’un salarié à un employeur qui occupe une

position de direction. Dès lors, que signifie participer dans le cadre de démarches participatives au sein d’une organisation ? Qui participe, selon quelles modalités et quelles finalités ?

Nous pouvons ici nous appuyer sur les travaux de Darses et Reuzeau (2004) dans le champ de la conception participative, qui distinguent trois modalités de participation, selon le pouvoir décisionnel octroyé aux participants, comme présenté dans le Tableau 1 ci-après :

- l’information donnée à des opérateurs ou recueillie auprès d’eux, sur des projets dont les décisions relèvent des managers ;

- la consultation, qui consiste à faire connaître les attentes et points de vue des participants sans leur conférer de pouvoir décisionnel explicite ;

- la prise de décision conjointe, où des décisions de conception sont conjointement examinées par les participants qui disposent chacun d’une sphère décisionnelle selon leur spécialité ou leur fonction, afin de produire ensemble des solutions alternatives. Seule cette dernière modalité caractérise pleinement la conception participative pour les auteurs, qui en distinguent deux degrés : la négociation et la co-conception.

Tableau 1: Degrés de participation pratiqués dans la conception participative (Darses et Reuzeau, 2004, p.410, adapté de Damodaran, 1996, Jenssen, 1997 & Reuzeau, 2000)

Dans cette perspective, la participation revêt une dimension politique en posant la question

centrale des modalités de prise de décision associées. Elle relèverait ainsi non seulement du

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1.3.2. Participer, pour quoi faire ?

Par ailleurs, la participation en entreprise peut servir différents objectifs. Darses et Reuzeau (2004) identifient ainsi quatre motivations à la conception participative : une motivation « humaine » à contribuer au développement personnel et à la satisfaction au travail par la

participation ; l’introduction de principes démocratiques dans le travail, permettant aux

salariés d’être partie prenante de leur système de travail par une reconnaissance de la valeur de

leur expérience ainsi qu’un droit à la prise de décision ; la contribution à une amélioration de

la performance du système de production ; enfin, une motivation ergonomique à concilier amélioration des conditions de travail et enjeux de production, développement des compétences et conception en équipes intégrées.

Borzeix, Charles et Zimmermann (2015) distinguent quant à eux deux types de travaux en sociologie du travail sur la démocratie participative, de nature critique ou favorable à la

participation. D’un côté, ils posent la thèse d’une participation comme outil destiné à

augmenter l’acceptabilité d’une décision déjà prise, à travers l’exemple d’une étude à la Direction Générale des Finances Publiques : dans un contexte de réforme, reconnue comme nécessaire par la majorité des agents mais non acceptée compte-tenu des réductions de personnel et de moyens qu’elle impliquait, des instances de consultation et d’expression y ont été mises en place pour construire un consensus et conférer une légitimité démocratique à ce projet de changement piloté de façon centralisée, sans offrir de prise sur le contenu du travail et ses conditions d’exercice. Dans cette même perspective critique, Darses et Reuzeau soulignent que certaines pratiques managériales peuvent amener à « créer un sentiment de participation », tout en refusant l’effort de délégation, de décision et de pouvoir que cela implique, afin de réduire les résistances au changement, ce qui ne durerait pas dans le temps et occasionnerait des conflits. D’après Barbier (1989) la sociologie critiquerait ainsi dans la participation les stratégies anti-syndicales visant à impliquer les acteurs des entreprises dans des comportements favorables à une logique d’efficacité productive, au détriment des salariés.

A l’inverse, selon l’auteur, la gestion prônerait des méthodologies et pratiques à même de

libérer la performance et la satisfaction. Ouvertures aux voies de chacun, légitimité, optimalité des décisions, confiance, justice sociale, d’éducation ou encore d’empowerment constitueraient les vertus de la participation d’après différents travaux ; elle permettrait de contribuer à l’intérêt général ou citoyen et à la fabrication de sens (Borzeix & al, 2015).

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L’enjeu serait alors de dépasser cette opposition dans la perspective de la contingence

organisationnelle mobilisée notamment par Crozier, en considérant que les logiques d’organisation de la production, des technologies et des rapports sociaux produisent à chaque fois des situations particulières à une configuration donnée d’entreprise ou de collectif de travail (Barbier, 1989). Pour cet auteur, la mise en œuvre de démarches participatives nécessite ainsi de prendre en compte les ressources et attentes des différentes parties prenantes, les cultures d’entreprise et les marges de manœuvre existantes, mais aussi les logiques formelles et informelles faisant l’objet de négociations dans les collectifs, qui se saisissent des marges de pouvoir. La durabilité des innovations dépendrait alors de la capacité des systèmes de gestion à intégrer une nouvelle logique de reconnaissance effective de l’apport des collectifs, susceptible de produire un nouvel équilibre de la participation et du pouvoir des collectifs sur leur activité. Il s’agirait donc d’appréhender la participation en déplaçant la problématique autour des questions suivantes : « quelles sont les formes du prendre part ? quels sont les lieux, dispositifs et procédures de participation ? Qui prend part et comment ? quels sont les moyens effectifs de contribuer des uns et des autres ? Quels sont les attendus de la contribution, quel est le cadre moral qui préside à leur définition ? Qu’est-ce que prendre part dans un cadre donné fait aux choses, aux personnes et à leur environnement ? » (Borzeix & al., 2015, p.2).

Point d’étape

La participation est une notion polysémique qui revêt une multiplicité d’usages et

d’ambigüités. Directe ou indirecte, entre information, consultation et contribution à la

prise de décision, elle pose la question politique de la répartition du pouvoir de décision

vers des formes de démocraties dans le milieu de l’entreprise. Mais que signifie

« participer » dans le cadre de relations de subordination entre salariés et employeur ? Ce

paradoxe invite à la réflexion sur les modalités et finalités de la participation des salariés.

Là où certains travaux soulignent les vertus d’une participation qui améliore performance

productive et satisfaction au travail en favorisant l’expression des différents acteurs de

l’organisation, leur responsabilisation et leur autonomisation dans une relation de

confiance, d’autres auteurs critiquent une participation « de surface » visant à faire accepter des décisions prises de façon centralisée sans conférer aux acteurs concernés de réelle prise sur le contenu et les conditions de leur travail. Au-delà de cette opposition, l’enjeu serait d’étudier le lien entre les différentes formes prises par la participation et ses effets, en considérant la spécificité de chaque situation.

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1.4. Organisation, management et participation : quelle évolution