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Les problèmes de reconnaissance des EFEs dans l’alcoolo-dépendance : Quels seraient les processus

Discussion des résultats sur l’alcoolo- l’alcoolo-dépendance

3. Les problèmes de reconnaissance des EFEs dans l’alcoolo-dépendance : Quels seraient les processus

sous-jacents ?

Certains des résultats repris dans le modèle reflètent la répercussion d’une expérience émotionnelle et relationnelle problématique sur l’évaluation et l’expression des EFEs (e.g.., la surestimation de l’intention de rejet et la sous-estimation de l’intention d’affiliation par les patients AD-Is, le mimétisme accru de colère chez les patients AD-IIs).

Dans ce cas, l’évaluation et l’envoi des EFEs sont emprunts de biais émotionnels. Les biais émotionnels d’évaluation sont expliqués par la tendance qu’ont les individus à élaborer leurs jugements sociaux de manière congruente à leurs sentiments du moment (Forgas, 1995). Des recherches ont en effet montré que les individus perçoivent dans les EFEs des émotions congruentes à leur état émotionnel actuel (Niedenthal, et al., 2000; Schiffenbauer, 1974). Le fait que des patients atteints de certaines psychopathologies présentent des biais cognitifs évaluatifs est également cohérent avec cette proposition. Par exemple, plusieurs études de jugement ont montré que les patients dépressifs présentent un biais négatif

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d’évaluation (e.g., Hale, 1998; Joormann & Gotlib, 2006; Mandal &

Bhattacharya, 1985; Raes, et al., 2006). L’expressivité particulièrement négative est expliquée par la part de l’EFE reflétant l’état émotionnel interne. Rappelons qu’une série d’études a montré que les EFEs sont associées aux émotions ressenties subjectivement (e.g. Buck, et al., 1980;

Cacioppo, et al., 1986).

Au contraire, l’influence des affects ou traits de personnalité sur la faible exactitude de la reconnaissance des EFEs chez les patients ADs n’est pas si évidente. Ce phénomène est-il le reflet de biais émotionnels ou d’un déficit (dans un sens plus restreint que celui employé jusqu’à présent) des connaissances déclaratives dans le domaine de l’EFE ? En d’autres termes, la faible reconnaissance des EFEs chez les patients ADs est-elle sous-tendue par une expérience émotionnelle anormale ou par des connaissances concernant les configurations des EFEs déficitaires ? Rappelons que la Théorie de la Simulation, qu’elle soit motrice ou neuronale, comme processus sous-jacent à la reconnaissance des EFEs pourrait expliquer la présence de biais émotionnels dans l’évaluation des EFEs tandis que la seconde hypothèse est davantage concordante avec le modèle de la Théorie de l’Esprit. Cette question est importante. En effet, le traitement des problèmes de reconnaissances des EFEs consistera, dans le premier cas, en un travail sur les troubles émotionnels sous-jacents et, dans le second cas, en un apprentissage des connaissances déclaratives concernant les EFEs.

3.1. Biais émotionnel

Selon la première hypothèse, la faible exactitude de la reconnaissance des EFEs serait le résultat d’une évaluation émotionnelle biaisée. Jusqu’à présent, les résultats des études empiriques ne vont pas

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159 dans ce sens car elles ne mettent pas en avant de catégorie émotionnelle problématique. Nous avons reproché aux études antérieures de considérer l’alcoolo-dépendance comme une condition homogène. En investiguant ces problèmes chez les deux sous-types de patients décrits par Cloninger et al.

(1996), nous voulions aborder la question du rôle des émotions problématiques sur la reconnaissance des EFEs. Par exemple, une surestimation de la colère présente dans les EFEs était attendue chez les patients AD-IIs. Cette investigation, qui n’a pas mis en évidence de différence entre les patients ADs, tous types confondus, et les sujets contrôles, est à répliquer. Une étude corrélationnelle permettrait également d’aborder la question des biais émotionnels.

3.2. Déficit des connaissances déclaratives au sujet des EFEs

Selon la seconde hypothèse, la faible exactitude de reconnaissance des EFEs serait due à un déficit de connaissances déclaratives des associations entre des configurations faciales particulières et des noms d’émotions (Goldman & Sripada, 2005). Les patients ADs pourraient avoir mal intégré ces relations (e.g., environnement peu communicatif ou confrontation à de nombreuses EFEs hors normes). Alternativement, les effets de l’alcool sur le cerveau pourraient avoir altéré cette capacité. Il est à noter que l’hypothèse du déficit n’exclut pas que certaines émotions soient plus affectées que d’autres ; elles le seraient pour des raisons différentes que dans le cas d’un biais émotionnel (e.g., la joie peut être plus facilement reconnue parce que ses caractéristiques sont plus distinctives que les autres émotions de base, la tristesse pourrait être plus facilement

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reconnue si la personne a été confrontée régulièrement à cette émotion et a donc pu entrainer régulièrement sa compétence à la reconnaître).

Le fait que les patients AD-IIs aient des difficultés à produire sous commande verbale des EFEs exactes est plutôt en accord avec cette hypothèse. En effet, la méconnaissance de la configuration faciale des différentes émotions pourrait expliquer les deux problèmes (i.e., reconnaissance et expressivité). Cependant, dans la deuxième étude, les patients ne présentaient pas de déficit de décodage des EFEs. De plus, les deux compétences n’étaient pas significativement corrélées. Il est néanmoins possible que les patients AD-IIs de la deuxième étude possèdent une connaissance basique sur la configuration faciale des émotions mais que cette connaissance ne soit pas suffisamment précise et détaillée pour leur permettre de produire ces EFEs sans indice visuel. Cette hypothèse est également concordante avec les études ayant utilisé des potentiels évoqués qui ont montré que les différences concernant la perception des EFEs entre les patients et les contrôles se situent au niveau du traitement perceptif précoce (Fein, et al., 2010; Maurage, Campanella, Philippot, de Timary, et al., 2008; Maurage, et al., 2007). Cette difficulté initiale pourrait se répercuter sur les stades subséquents du traitement de l’information (e.g.

traitement décisionnel), ce qui expliquerait l’amplitude réduite et le délai de latence de l’onde P300 chez les patients ADs (revue dans Hansenne, 2006).

3.3. Conjonction des biais émotionnels et d’un déficit

Il importe de souligner que ces deux hypothèses ne sont pas mutuellement exclusives. Leur conjonction donne naissance à une troisième hypothèse selon laquelle la faible exactitude de la reconnaissance

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161 serait due à la fois à un biais émotionnel et à un déficit des connaissances déclaratives relatives aux EFEs. Ceci pourrait expliquer la confusion des résultats dans la littérature. Cette troisième hypothèse serait sous-tendue à la fois par la Théorie de la Simulation et la Théorie de l’Esprit. Elle implique que la reconnaissance des EFEs dépend de la simulation et des connaissances déclaratives des relations entre certaines configurations faciales et les noms d’émotions. Les participations respectives de ces deux processus pourraient dépendre des personnes et de la spécificité des tâches.