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Les compétences émotionnelles non-verbales liées à l’EFE des patients ADs

Alcoolo-dépendance : Partie Théorique

4. Les compétences émotionnelles non-verbales liées à l’EFE des patients ADs

De manière à comprendre ces difficultés interpersonnelles, la recherche s’est tournée vers l’investigation des compétences non-verbales émotionnelles, et ce principalement par le biais de l’EFE. Comme nous le verrons, les recherches ont majoritairement étudié le versant réceptif, en délaissant les aspects réceptif et expérientiel.

4.1. Percevoir l’EFE

4.1.1. La réponse cognitive

L’étude de Philippot et collaborateurs (1999) est la première d’une longue série à avoir mis en évidence des déficits de reconnaissance des EFEs chez les patients ADs. Le matériel de cette étude était constitué d’EFEs statiques de joie, de colère, de tristesse, de peur, et de dégoût de quatre niveaux d’intensité (0%, 30%, 70%, et 100%) d’hommes et de femmes. Les auteurs ont demandé à 25 patients ADs et à 25 sujets contrôles d’évaluer sur des échelles de Likert en 7 points l’intensité de huit émotions (joie, tristesse, colère, dégoût, mépris, surprise, peur, et honte) pour chacune des EFEs. Les résultats ont montré qu’en comparaison aux sujets contrôles, les patients ADs ont surestimé l'intensité des EFEs et ce, même lorsqu’aucune émotion n'était exprimée. Selon les auteurs, cette surestimation de l’intensité émotionnelle chez autrui pourrait provoquer

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des réactions excessives de la part des patients ADs, l’excès conduisant à une escalade émotionnelle pouvant mener au conflit. Les patients ADs ont commis plus d’erreurs dans le décodage des émotions que les sujets contrôles. Leur mauvaise interprétation des émotions pourrait mener à une réaction inadaptée, potentiellement source de problèmes et de conflits.

Enfin, malgré leurs faibles performances, les patients ADs ne rapportent pas avoir plus de difficultés à réaliser la tâche de décodage que les sujets contrôles, ce qui suggère que les patients ADs n’ont pas conscience de leurs difficultés.

Plusieurs recherches postérieures ont répliqué ces résultats montrant chez les patients ADs une tendance à surestimer l’intensité émotionnelle des EFEs et à commettre des erreurs de décodage sans être conscients de leurs difficultés (Foisy, Kornreich, Fobe, et al., 2007; Foisy et al., 2005; Kornreich, Blairy, Philippot, Dan, et al., 2001; Kornreich, Blairy, Philippot, Hess, et al., 2001; Kornreich et al., 2003). Par ailleurs, des études enregistrant les potentiels évoqués ont montré que ce déficit comportemental était indexé au plan neurophysiologique par des altérations perceptives précoces (Fein, Key, & Szymanski, 2010; Maurage et al., 2008; Maurage et al., 2007). Certaines études ultérieures ont diversifié les stimuli utilisés en vue de se rapprocher des conditions de la vie réelle (e.g., Frigerio, Burt, Montagne, Murray, & Perrett, 2002, ont utilisé des films émotionnels représentant la transformation d’une expression neutre à une EFE intense présentée soit de face, soit de profil).

Elles ont confirmé la présence de déficits de reconnaissance des EFEs chez les patients ADs (Foisy, Kornreich, Petiau, et al., 2007; Frigerio, et al., 2002; Townshend & Duka, 2003). Des études ont également montré que

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les déficits étaient spécifiques aux patients ADs en comparaison à d’autres problèmes psychiatriques (Kornreich, Blairy, Philippot, Dan, et al., 2001;

Kornreich, et al., 2003; Maurage, Campanella, Philippot, de Timary, et al., 2008). L’utilisation de tâches contrôles variées suggère que les problèmes rencontrés par les patients ADs dans le traitement des visages ne sont pas généralisés mais qu’ils sont spécifiques aux aspects émotionnels de la cognition sociale (Foisy, Kornreich, Petiau, et al., 2007; Frigerio, et al., 2002; Maurage, Campanella, Philippot, Martin, & de Timary, 2008;

Maurage, Grynberg, Noel, Joassin, Hanak, et al., 2011). Il est important de noter que quelques études n’ont pas trouvé de déficit dans la reconnaissance des EFEs (Cermak et al., 1989; Foisy, Kornreich, Petiau, et al., 2007; Oscar-Berman, Hancock, Mildworf, Hutner, & Weber, 1990;

Uekermann, Daum, Schlebusch, & Trenckmann, 2005), suggérant que ce résultat pourrait dépendre du paradigme de recherche et/ou des caractéristiques de l’échantillon (Fein, et al., 2010). Cependant, les recherches mentionnées souffrent pour la plupart d’une faible validité écologique (EFEs d’intensité maximale) et/ou de la présence d’un effet plafond qui limite la sensibilité du test. Nous allons à présent aborder les différentes questions auxquelles les études sur les problèmes de décodage des EFEs chez les patients ADs ont tenté de répondre.

4.1.1.1. Existe-t-il un lien entre les problèmes de décodage des EFEs et les problèmes interpersonnels que rapportent les patients?

En vue de tester expérimentalement l’hypothèse proposée par le modèle de Philippot et collaborateurs (voir chapitre 1; Philippot, et al., 2005; Philippot, Kornreich, et al., 2003), Kornreich et al. (2002) ont mené

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une étude dans laquelle ils ont calculé des corrélations entre les résultats d’exactitude à une tâche de décodage d’EFEs et l’importance des problèmes interpersonnels établie en utilisant l’IPI (Horowitz, et al., 1988) chez 30 patients ADs et 30 sujets contrôles. Les patients ADs ont commis plus d’erreurs à la tâche de décodage et ont rapporté plus de problèmes interpersonnels que les sujets contrôles. Les difficultés interpersonnelles étaient corrélées négativement à l’exactitude du décodage des EFEs sur l’ensemble de l’échantillon. Les auteurs concluent que les déficits de reconnaissance des EFEs pourraient avoir un rôle dans les difficultés interpersonnelles rencontrées par les patients ADs et pourraient dès lors constituer un facteur de rechute.

4.1.1.2. Quelles sont les catégories émotionnelles particulièrement affectées dans les problèmes de décodage des EFEs des patients ADs?

Les études présentent des résultats inconsistants concernant les catégories émotionnelles problématiques (revue dans Maurage et al., 2009).

Un biais envers l’hostilité a été suggéré, certaines études indiquant une tendance des patients ADs à percevoir à tort excessivement de colère dans les EFEs (Frigerio, et al., 2002; Maurage, et al., 2009; Philippot, et al., 1999), mais ce résultat n’est pas toujours répliqué. Globalement, peu voire aucun effet du type d’EFE ou des échelles émotionnelles sur lesquelles se basent la cotation est généralement observé lorsque les scores d’exactitude des patients ADs sont comparés à ceux des sujets contrôles. Récemment, une étude a même montré que, contrairement à ce que suggéraient les études antérieures, les déficits ne se limitaient pas aux émotions négatives

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mais toucheraient également les émotions positives (Maurage, Grynberg, Noel, Joassin, Hanak, et al., 2011).

4.1.1.3. Les problèmes de décodage des EFEs

contribuent-ils au développement ou au maintien de l’alcoolo-dépendance ou en sont-ils la conséquence ?

Une des méthodes pour répondre à cette question est d’évaluer si ces déficits se maintiennent ou non avec l’abstinence. Kornreich, Blairy, Philippot, Hess, et al. (2001) ont montré que des déficits d’exactitude de décodage étaient présents chez des patients ADs récemment désintoxiqués ainsi que chez des patients ADs abstinents depuis 2 mois mais qu’une surestimation de l’intensité des EFEs était présente uniquement chez les premiers. Par contre, dans une étude longitudinale, les déficits ne s’amélioraient pas chez les patients ADs entre 3 semaines et 3 mois d’abstinence (Foisy, Kornreich, Fobe, et al., 2007). Dans cette même étude, les patients ADs qui rechutaient avant trois mois avaient, après 3 semaines d’abstinence, plus de difficultés à décoder correctement les EFEs que les autres patients, suggérant que les capacités de décodage des EFEs auraient une valeur pronostique. La question de causalité a été également abordée en examinant si des patients dépendants à d’autres substances que l’alcool présentaient des déficits de décodage similaires. Les études ont montré que les patients ADs, qu’ils soient ou non dépendants à d’autres substances, présentaient des déficits accrus en comparaison à des patients dépendants uniquement aux opiacés (Foisy, et al., 2005; Kornreich, et al., 2003). De manière plus générale, des déficits socio-émotionnels, sous-tendus par des anomalies neurologiques (e.g., volume réduit de l’amygdale), ont été mis en évidence chez les enfants de patients ADs (Glahn, Lovallo, & Fox, 2007;

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Hill et al., 2001; Hill et al., 2007; Sher, Walitzer, Wood, & Brent, 1991). Il est maintenant largement admis que ces enfants présentent un risque accru de développer une dépendance à l’alcool (e.g., Heath et al., 1999;

Merikangas et al., 1998). Les recherches effectuées ne permettent donc pas de tirer de conclusion ferme sur le sujet. Néanmoins, la proposition selon laquelle les déficits de décodage des EFEs sont liés à une prédisposition à l’alcoolo-dépendance et renforcés par les effets délétères de l’alcool est la plus vraisemblable.

4.1.1.4. Quels sont les substrats neurologiques sous-tendant ces déficits ?

La littérature dans le domaine suggère des altérations cortico-limbiques, et plus particulièrement des altérations du cortex préfrontal et de l’amygdale, comme base neuronale aux déficits de reconnaissance des EFEs chez les patients ADs (Fein, et al., 2010; Glahn, et al., 2007;

Marinkovic et al., 2009; Salloum et al., 2007; Townshend & Duka, 2003;

Uekermann & Daum, 2008). Cette hypothèse se base sur le fait que ces structures jouent un rôle critique dans la reconnaissance des EFEs (Adolphs, 2002b; Adolphs, Baron-Cohen, & Tranel, 2002; Ghashghaei, Hilgetag, & Barbas, 2007; Phillips, et al., 2003) et qu’elles sont susceptibles d’être endommagées suite aux effets neurotoxiques de l’alcool (Chen et al., 2007; De Bellis et al., 2005; Harris et al., 2008; Laakso et al., 2002; Makris et al., 2008; Moselhy, Georgiou, & Kahn, 2001; Sullivan & Pfefferbaum, 2005; Wrase et al., 2008). Une étude ayant testé directement cette hypothèse suggère qu’une hypo-activation de l’amygdale pourrait sous-tendre le traitement déficitaire des EFEs chez les patients ADs (Marinkovic, et al., 2009). Cette hypoactivation de l’amygdale lors du

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traitement d’EFEs était également présente chez des jeunes considérés comme à risque de développer des problèmes d’alcool (i.e., présentant une histoire familiale d’alcoolo-dépendence et des traits de désinhibition; Glahn, et al., 2007). Dès lors, Marinkovic et al. (2009) suggèrent qu’une hypoactivité de l’agmydale pourrait sous-tendre les dysfonctions émotionnelles des patients ADs, dysfonctions qui précéderaient l’abus d’alcool et feraient partie d’un ensemble de problèmes comportementaux incluant l’impulsivité, la recherche de sensation, la désinhibition, et le mépris des normes sociales, caractéristiques pouvant être regroupées sour le terme de « type de personnalité externalisant » (Goldstein et al., 2007).

Un type de personnalité externalisant constituerait, entre autres, une vulnérabilité génétique à l’abus d’alcool (Schuckit, 2009).

4.1.1.5. Les patients ADs ont-ils des difficultés à attribuer des intentions à autrui sur base de l’EFE?

Nous avons relevé deux recherches ayant investigué la reconnaissance d’émotions sociales complexes, c’est-à-dire des émotions qui sont liées aux hypothèses de l’observateur concernant les intentions d’autrui (e.g., intérêt, suspicion, jalousie, insistance), par le biais du Reading the Mind in the Eyes test (Baron-Cohen, Wheelwright, Hill, Raste, &

Plumb, 2001), un test dans lequel le participant doit sélectionner dans une liste de quatre états mentaux celui qui correspond à une photographie de la région des yeux. Les deux études aboutissent à des résultats divergents : certains résultats montrent que la reconnaissance des émotions et des états mentaux complexes est intacte chez les patients ADs (Matyassy, Kelemen, Sarkozi, Janka, & Keri, 2006) quand d’autres indiquent que celle-ci est déficitaire (Maurage, Grynberg, Noel, Joassin, Hanak, et al., 2011).

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Cependant, les patients étaient abstinents depuis 6 mois dans la première étude et depuis 10 jours dans la seconde, ce qui pourrait expliquer cette divergence de résultats.

4.1.2. La réponse émotionnelle

Outre les études ayant montré, via des questionnaires d’auto-évaluation, des problèmes d’empathie émotionnelle chez les patients ADs (Martinotti, et al., 2009; Maurage, Grynberg, Noel, Joassin, Philippot, et al., 2011), très peu d’études ont investigué directement les réactions émotionnelles des patients ADs face à l’expérience d’autrui et aucune n’a, à ce jour, investigué les réactions émotionnelles des patients ADs face aux EFEs d’autrui. Kornreich et collaborateurs (1998) ont étudié la réactivité émotionnelle à la vision d’extraits de films destinés à induire des émotions de joie, de colère, de dégoût, et de tristesse. Le rythme cardiaque des participants était enregistré avant et pendant la vision des extraits et leur état émotionnel subjectif était mesuré après la vision des extraits sur différentes échelles émotionnelles. Les résultats ont montré que l’augmentation du rythme cardiaque entre la ligne de base et la vision des films était moins importante chez les patients ADs que chez les sujets contrôles. L’analyse des réponses émotionnelles subjectives n’a pas montré de différence entre les groupes. Cependant, la variabilité intra-groupe était plus importante dans le groupe de patients ADs que dans le groupe contrôle. Les réponses émotionnelles subjectives des patients ADs étaient donc particulièrement élevées ou basses, ce qui concorde, selon les auteurs, avec le fait que la consommation d’alcool a pour but pour certains patients ADs d’augmenter les sensations et de diminuer la tension pour d’autres.

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4.2. Exprimer l’EFE

Malgré l’importance de l’investigation de l’expressivité pour comprendre les problèmes relationnels des patients ADs, nous n’avons relevé aucune étude qui, jusqu’à ce jour, ait étudié la propension à exprimer spontanément des EFEs en fonction des différentes catégories émotionnelles ainsi que la capacité à exprimer exactement des EFEs chez ces patients.

4.3. Faire l’expérience de l’EFE

Aucune étude n’a jusqu’à présent investigué la rétroaction faciale chez les patients ADs. L’étude de la rétroaction faciale permettrait d’approfondir les connaissances sur les difficultés de régulation émotionnelle des patients ainsi que sur les problèmes interactionnels.

5. Objectifs et plan du travail pratique concernant