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Prise en compte du sous-type d’alcoolisme

Alcoolo-dépendance : Partie Théorique

5. Objectifs et plan du travail pratique concernant les patients ADs

5.1. Prise en compte du sous-type d’alcoolisme

Les résultats des études sur la reconnaissance d’EFEs sont inconsistants concernant les catégories émotionnelles difficilement reconnues par les patients ADs. Sur base de la revue de la littérature, nous pouvons déduire que ces problèmes de reconnaissance sont liés aux problèmes émotionnels et interpersonnels que les patients ADs cherchent à réguler par la consommation d’alcool. De plus, les problèmes de reconnaissance seraient dépendants d’une vulnérabilité génétique à un type de personnalité externalisant, celui-ci étant caractérisé conjointement par un risque d’alcoolisme élevé et des anomalies cérébrales affectant le traitement émotionnel de l’information (Dick & Bierut, 2006; Oscar-Berman & Bowirrat, 2005).

Les variations interindividuelles concernant ces facteurs sont importantes. Contrairement à la dépression ou l’anxiété, l’alcoolisme n’est pas une pathologie dont la définition même accorde une place centrale à une catégorie émotionnelle particulière. Même si la régulation des émotions négatives semble être un facteur de vulnérabilité à l’alcoolo-dépendance, les catégories émotionnelles affectées varient d’un individu à l’autre : l’alcool peut être consommé dans le but de diminuer les sentiments

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de tristesse, d’anxiété, de colère, mais aussi d’augmenter les émotions positives. L’étude de Kornreich (1998) sur les réactions émotionnelles à la vision de films émotionnels suggère que ces deux patterns de motivation à la consommation (i.e., réduire les émotions négatives vs. augmenter les émotions positives) seraient liés à un traitement différent de l’information émotionnelle (i.e., réponse émotionnelle particulièrement élevée aux extraits de films vs. particulièrement basse, respectivement). Des problèmes interpersonnels de nature différente touchent également les patients. Ceux-ci vont de la violence à l’apathie et au repli sur soi. Par exemple, une étude montre des différences quantitatives et qualitatives entre les problèmes interpersonnels que rapportent des hommes et des femmes ADs (Mueller, Degen, Petitjean, Wiesbeck, & Walter, 2009). Par ailleurs, tous les patients ADs ne sont pas caractérisés par un type de personnalité externalisant : les parts respectives des influences génétique et environnementale (e.g., la pression sociale) dans la vulnérabilité à l’alcoolisme varient d’un patient à l’autre. En résumé, les problèmes émotionnels des patients ADs sont hétérogènes au regard de la catégorie émotionnelle affectée, comme en témoignent les attentes envers l’alcool, les problèmes interpersonnels, ou la part de l’influence génétique. Cette hétérogénéité pourrait se traduire par des déficits des compétences émotionnelles non-verbales affectant différentes catégories émotionnelles.

De manière à tenir compte de cette hétérogénéité dans nos analyses, nous avons divisé notre échantillon de patients ADs en sous groupes en fonction de sous-types d’alcoolisme. Cette proposition avait déjà été suggérée par Marie-Line Foisy dans la discussion de sa thèse (2005) afin d’expliquer l’existence de deux patterns de résultats chez ses patients : les

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patients qui commettaient beaucoup d’erreurs dans une tâche de décodage rechutaient en-deçà de trois mois d’abstinence ce qui n’était pas le cas de ceux qui commettaient peu d’erreurs. Les chercheurs ont proposé plusieurs nosographies distinguant différents sous-types d’alcoolisme. Parmi ces chercheurs, Cloninger a proposé un modèle de personnalité soutenu par des données génétiques et épidémiologiques qui distingue deux sous-types d’alcoolisme (Cloninger, 1987a; Cloninger, Bohman, & Sigvardsson, 1981).

En résumé, les patients ADs type I (AD-Is) ont un début d’alcoolo-dépendance tardif et influencé fortement par des variables environnementales. L’alcoolisme de type I touche équitablement les hommes et les femmes qui boivent tout d’abord pour éviter les émotions négatives et utilisent l’alcool comme auto-médication à leur problème d’anxiété ou de dépression. Les patients ADs type II (AD-IIs) ont un début d’alcoolo-dépendance précoce, présentent plusieurs complications sociales importantes (e.g., violence en état d’intoxication, perte d’emploi à cause d’une consommation abusive d’alcool, problèmes judiciaires à cause de l’alcool), et sont caractérisés par des traits de personnalité externalisants (i.e., extraversion, recherche de sensation, désinhibition, impulsivité). Ils ont généralement des antécédents personnels et paternels de comportements antisociaux. Le risque d’alcoolisme familial est élevé.

L’alcoolisme de type II touche essentiellement les hommes. Les patients AD-IIs sont à la recherche de sensations dans la consommation d’alcool et boivent tout d’abord pour le plaisir. Cloninger postule que la distinction entre ces deux sous-types peut s’expliquer par l’interaction entre les trois tempéraments proposés dans son modèle dimensionnel biosocial de la personnalité (Cloninger, 1986, 1987b): la recherche de nouveauté (faible

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chez les patients AD-Is ; élevée chez les patients AD-IIs), l’évitement du danger (élevée chez les patients AD-Is ; faible chez les patients AD-IIs), et la dépendance à la récompense (élevée chez les patients AD-Is ; faible chez les patients AD-IIs). Ces trois dimensions fondamentales correspondent aux trois émotions de base qui sont observées dans les différentes cultures : la colère pour la recherche de nouveauté, la crainte pour l’évitement du danger, et l’amour pour la dépendance à la récompense (Svrakic, Przybeck,

& Cloninger, 1991). L’hétérogénéité des attentes envers l’alcool, des problèmes interpersonnels, et des traits de personnalités externalisants sont donc pris en compte dans cette classification. La Table 2.1. reprend les caractéristiques principales des deux sous-types d’alcoolisme selon Cloninger.

Pombo et Lesch (2009) ont récemment conclu que les modèles de classification qui mettent l’accent sur le nombre de conséquences sociales de l’alcoolisme et l’âge de début des problèmes liés à l’alcool montrent une importante concordance. Von Knorring et ses collaborateurs (A. L. von Knorring, Bohman, von Knorring, & Oreland, 1985) ont proposé des critères basés sur ces deux facteurs pour discriminer les AD-Is et AD-IIs de Cloninger. Plus précisément, selon les critères de A. L. von Knorring et al. (1985), un patient AD est classé type II si 1) les problèmes subjectifs liés à l’alcool ont débuté avant l’âge de 25 ans et 2) le patient présente au moins deux complications sociales parmi les cinq suivantes: violence physique en état d’intoxication, perte d’emploi à cause d’une consommation abusive d’alcool, absences répétées au travail à cause d’une consommation abusive d’alcool, difficultés légales (e.g., arrestation pour ébriété, accident de voiture en état d’ébriété, conduite en état d’ébriété…), disputes ou

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difficultés avec la famille ou les amis à cause d’une consommation d’alcool excessive (e.g., divorce). Les autres patients ADs sont classés type I.

Table 2.1. Differences entre les patients alcoolo-dépendants type I (AD-Is) et type II (AD-IIs).

AD-Is AD-IIs

Facteurs contributeurs Génétique et

environmental Surtout génétique Distribution du genre Affecte à la fois les

hommes et les

problèmes Après 25 ans Avant 25 ans

Recherche spontanée d’alcool Non-fréquent Fréquent Bagarres et arrestations en étant

d’ébriété Non-fréquent Fréquent

Dépendance psychologique

(Perte de contrôle) Fréquent Non-fréquent

Culpabilité et peur au sujet de la

dépendance Fréquent Non-fréquent

Traits de personnalité Elevé en évitement du danger et faible

La discrimination de sous-types d’alcoolisme est importante non seulement dans l’investigation de la reconnaissance des EFEs mais

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également dans l’investigation des autres compétences émotionnelles non-verbales qui se basent sur les mêmes catégories émotionnelles; la typologie de Cloninger a donc été utilisée dans l’ensemble de ce travail de doctorat.

Dans le Chapitre 4, nous présenterons spécifiquement une étude sur la reconnaissance des EFEs en utilisant une tâche de décodage simple chez des patients AD-Is et AD-IIs.

Le ratio hommes/femmes entre les AD-Is et les AD-IIs étant significativement différent (A. L. von Knorring, et al., 1985), apparier les deux groupes de patients en fonction du genre s’avérait difficile. Par ailleurs, il existe une série de distinctions entre les hommes et les femmes dans le pattern et les conséquences de l’alcoolo-dépendance (e.g., la latence entre l’abus d’alcool et la dépendance physique à l’alcool, les risques pour la santé, les raisons invoquées pour consommer, les facteurs de stress sociaux) incluant le fait que les hommes et femmes ADs souffrent de problèmes interpersonnels différents (Mueller, et al., 2009). Nous avons donc décidé de n’inclure que des hommes ADs dans ce travail de doctorat.

5.2. Étude de facettes des compétences émotionnelles