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Discussion des résultats sur l’alcoolo- l’alcoolo-dépendance

2. Résumé et intégration des résultats à la littérature

2.1. La perception de l’EFE

Nous commençons arbitrairement la description de notre modèle par l’envoi d’une EFE au patient AD par le partenaire d’interaction. Il est probable que le patient AD, à l’instar de l’individu sain présenté dans le modèle de Kappas (Kappas & Descoteaux, 2003), ne perçoive qu’une partie de l’information. Une autre question pour les recherches futures est déjà soulevée par le modèle : la quantité et la qualité de l’information « perdue » provenant des EFEs par les patients ADs est-elle similaire ou différente de celles des sujets contrôles ? La littérature suggère des problèmes attentionnels et d’inhibition chez les patients (De Sousa Uva et al., 2010;

Tedstone & Coyle, 2004), soutenant ainsi la pertinence de cette question.

La perception d’EFEs par le patient AD va déclencher des réponses de nature différente. La littérature sur le sujet a tant qu’à présent investigué les réponses de nature cognitive et expressive (faciale). Un des objectifs de la recherche future pourrait donc concerner l’investigation des autres facettes non-verbales de la réponse émotionnelle aux EFEs (e.g., sensation corporelle, réponses physiologiques, mouvement).

L’investigation des réponses cognitives a montré une tendance généralisée des patients ADs à commettre plus d’erreurs de décodage que les sujets contrôles (revue dans Dethier, Douws, et al., 2011; Uekermann &

Daum, 2008). Les études indiquent que ce déficit est spécifique à l’évaluation émotionnelle de l’EFE (Foisy, Kornreich, Petiau, et al., 2007;

Frigerio, et al., 2002; Maurage, Campanella, Philippot, Martin, et al., 2008;

Maurage, Grynberg, Noel, Joassin, Hanak, et al., 2011) sans pour autant qu’un consensus émerge concernant les catégories émotionnelles affectées.

De manière surprenante, notre deuxième étude (Chapitre 4) n’a pas

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151 répliqué ces résultats : les patients ADs ne se distinguaient pas des sujets contrôles en terme d’exactitude de décodage des EFEs. La comparaison des moyennes avec les études antérieures (Foisy, Kornreich, Fobe, et al., 2007;

Kornreich, et al., 2003; Kornreich, et al., 2002) a suggéré que les patients ADs de notre étude étaient particulièrement efficaces. En comparant notre échantillon et notre design expérimental avec ceux des autres études, nous n’avons pas été en mesure d’expliquer cette absence de résultat.

L’investigation des problèmes de reconnaissance des EFEs en fonction de la typologie de Cloninger demande donc à être répliquée. La littérature indique également que les patients ADs surestiment l’intensité générale des EFEs (Foisy, Kornreich, Fobe, et al., 2007; Foisy, et al., 2005;

Kornreich, Blairy, Philippot, Dan, et al., 2001; Kornreich, Blairy, Philippot, Hess, et al., 2001; Kornreich, et al., 2003).

Notre première étude (Chapitre 3) apporte un complément d’information à la conception actuelle de la réponse cognitive aux EFEs chez les patients ADs. Plus spécifiquement, elle a permis de montrer que l’attribution par les patients ADs d’intentions sur base des EFEs se différenciait de celle des sujets contrôles. Tout d’abord, les patients AD-Is ont eu tendance à surévaluer la présence d’intentions négatives de rejet et à sous-évaluer la présence d’intentions d’affiliation en comparaison aux sujets contrôles. Ensuite, le pattern général d’attribution d’intentions en fonction de l’émotion était plus plat chez les patients AD-Is que chez les patients AD-IIs, les sujets contrôles se situant entre les deux groupes de patients ADs. En d’autres termes, les patients AD-Is émettaient peu de nuances dans l’attribution d’intentions en fonction de l’émotion exprimée. Ils ont donc eu tendance à attribuer une intention interpersonnelle

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indépendamment de l’émotion exprimée par la personne (e.g., l’attribution d’affiliation pouvait être similaire pour une personne exprimant de la joie ou de la colère). Les patients AD-IIs ont présenté le profil inverse : leur pattern d’attribution d’intentions était fortement différent d’une émotion à l’autre (e.g., l’attribution d’affiliation pouvait être particulièrement élevée pour une personne exprimant de la joie et particulièrement faible pour une personne exprimant de la colère). Un autre résultat intéressant indique que les patients AD-IIs ont évalué les stimuli féminins de manière différente des stimuli masculins ; ils ont évalué les femmes comme très affiliatives et très peu enclines au rejet en comparaison aux hommes, ce qui n’est pas le cas des patients AD-Is et des sujets contrôles.

Nous pouvons déceler dans ces résultats ce que Kappas considère comme l’influence des stéréotypes (Kappas & Descoteaux, 2003). Nous ajouterons qu’il s’agit selon nous de l’influence des attentes de la personne face aux EFEs d’autrui, attentes développées en fonction des traits de personnalité, de l’éducation et de l’histoire personnelle, et qui peuvent être stéréotypiques ou non. Comme l’indique le modèle, ces attentes sont également dépendantes de l’état d’humeur général et bien sûr du partenaire d’interaction lui-même. Certaines de ces attentes envers le comportement des partenaires d’interaction peuvent se traduire de différentes manières.

Par exemple, l’absence de confiance en autrui peut mener à l’attribution d’intentions de rejet de la part d’autrui et à des sentiments de dépression ; le sexisme bienveillant peut conduire à une attribution d’intentions spécifiques aux femmes et à des problèmes conjugaux. En suivant cette logique, nous avions émis l’hypothèse que ces attentes se traduiraient à la fois par l’évaluation de schémas cognitifs précoces et par l’attribution

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153 d’intention aux EFEs. Contrairement à notre hypothèse, la corrélation entre l’attribution d’intentions interpersonnelles de rejet et la présence de schémas cognitifs précoces de rejet n’était pas significative. Une des raisons possibles à l’absence de corrélation est la faible validité écologique des études en laboratoire. Dans notre étude, il est probable que la tendance à l’action n’était pas suffisamment activée chez le participant pour que le biais d’interprétation se produise.

Dans les études antérieures à ce travail, l’investigation de la réponse à l’EFE d’autrui était limitée à la réponse cognitive. L’autre facette des phénomènes émotionnels investigués dans le présent travail est la réponse expressive. Dans notre première étude, les participants étaient filmés pendant qu’ils regardaient les EFEs. Il est important de noter que les participants étaient seuls dans la pièce au moment où cette mesure fut prise. Ils étaient cependant conscients d’être filmés : l’effet d’audience (i.e., la modulation de l’expressivité faciale en fonction de la présence, réelle ou imaginée, d’autrui) était donc probablement réduit mais non nul. En situation sociale réelle, la réponse émotionnelle serait probablement différente, davantage emprunte des motivations sociales de l’individu. Les résultats ont montré que, indépendamment du sous-type d’alcoolisme, les juges ont perçus moins de joie, de surprise et d’éveil, mais plus de tristesse et de mépris chez les patients ADs que chez les sujets contrôles. Un résultat particulièrement intéressant indique que les EFEs de colère ont été mimées uniquement par les hommes AD-IIs, alors qu’aucune différence n’émerge entre les groupes concernant le mimétisme des autres émotions.

Cette tendance à réagir par des comportements expressifs agressifs à ceux d’autrui, concorde avec l’importance des comportements antisociaux mis en

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évidence dans ce sous-type d’alcoolisme (i.e., la modulation de l’expressivité faciale en fonction de la présence, réelle ou imaginée, d’autrui; e.g., Driessen, et al., 1998). Ces comportements expressifs négatifs/agressifs -qui seront probablement, dans une situation sociale réelle, davantage contrôlés- sont directement renvoyés au partenaire d’interaction.

Malgré des réponses expressives particulières aux EFEs d’autrui, notre première étude a indiqué que les sentiments subjectifs des patients ADs ne se différenciaient pas de ceux des sujets contrôles. En suivant la logique d’un rapport étroit entre les réponses expressives et les sentiments subjectifs, un rapport de sentiments subjectifs négatifs chez les patients était attendu. Cette absence de différence a été attribuée à la faible intensité émotionnelle des stimuli ainsi qu’à la contamination de la mesure de l’état émotionnel subjectif par la désirabilité sociale. Les résultats de notre troisième étude (Chapitre 5) ne sont pas dans la même lignée : l’influence des réponses expressives sur la réponse subjective était similaire chez des patients ADs et des sujets contrôles, témoignant d’une rétroaction faciale et corporelle normale chez les patients. Une étude combinant l’investigation de la rétroaction faciale et de la relation entre sentiment subjectif et réponse expressive aux EFEs chez les mêmes participants permettrait d’éclairer cette question. Comme signalé, les résultats concernant la rétroaction faciale doivent être considérés avec précaution.

Ils sont néanmoins encourageants car ils suggèrent que les patients ADs pourraient bénéficier des effets positifs du contrôle corporel (e.g., relaxation). Cependant, un effet de rétroaction faciale et corporelle normal signifie aussi qu’un cercle vicieux négatif ou agressif peut facilement se

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155 mettre en place, soulignant ainsi l’importance d’y mettre rapidement un terme.