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Problèmes liés à l’interférence du chercheur dans la matière étudiée

2. Une méthodologie adaptée au projet de recherche

2.1.2. Problèmes liés à l’interférence du chercheur dans la matière étudiée

Les avantages ci-dessus impliquent un problème de taille : celui de l’influence de ma propre présence sur mes interlocuteurs, leurs discours et les événements qui avaient lieu. Si l’observation participante peut, dans certains cas, utiliser la perception personnelle du chercheur pour l’intégrer dans la recherche, ce ne pouvait être fait ici, étant donné que je souhaitais précisément utiliser mon regard extérieur d’occidental pour l’interaction entre les objets techniques et les musiciens.

Au moment de débuter l’étude de terrain, cette question est très vite apparue comme essentielle à plusieurs niveaux. Il fallait trouver un moyen d’éviter que je me retrouve à noter des remarques ou des événements que j’aurais moi-même influencés (je me réfère ici surtout à mon statut de musicien-technicien[2]; celui d’étranger faisait en quelque sorte

« partie du contexte » étant donné la présence importante d’Occidentaux dans ce type de mileu à Pékin en 2001-2004). La première étude de terrain effectuée en août 2001 a mis en évidence cette problématique un jour où j’ai observé une réorganisation complète des séances de répétitions du groupe de musiciens que j’étudiais. Alors que mes interlocuteurs prétendaient que l’idée leur était venue « toute seule », j’étais bien obligé de constater que ce changement intervenait le lendemain d’un jour où, répondant à leur demande de donner

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Juliet Corbin, & Anselm Strauss, Basics of Qualitative Research: Techniques and Procedures for Developing

Grounded Theory, pp. 43 et 47.

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De part mes études universitaires qui ont précédé mes études de musique, j’ai lu au cours des dernières années plusieurs ouvrages spécialisés dans les techniques sonores. Bien que très utile aux activités de musique électronique, la lecture de ce type de publications (notamment Curtis Roads, The Computer

Music Tutorial (Cambridge Mass, MIT Press, 1996) ; Perry Cook, éd. Music, Cognition and Computerized Sound (Cambridge Mass, MIT Press, 1999) ; Charles Dodge, & Thomas A. Jerse, Computer Music, Synthesis, Composition and Performance, 1985 (New York, Schirmer, 1997) ; ou encore Bob Katz, Mastering Audio: The Art and the Science (Burlington, Focal Press, 2002)) rebute beaucoup de musiciens

francophones ou sinophones qui soit ne lisent pas l’anglais, soit n’apprécient pas de passer des heures assis à lire (le livre de Curtis Roads, considéré par beaucoup comme la bible de la musique électronique, fait plus de mille deux cents pages). Cette particularité, – qu’il faut contre-balancer avec mes compétences médiocres en maniement d’outils hardware –, m’a régulièrement conféré une sorte de statut d’ « expert » auprès de certains de mes interlocuteurs, tant Suisses que Chinois. Il était donc important d’être très attentif à la question de l’influence discutée ci-dessus.

mon avis quant à la qualité musicale de leurs prestations, j’avais négligemment dit que je trouvais la structure des morceaux un peu confuse. Je reviens dans l’introduction aux études sur les méthodes que j’ai utilisées pour contourner cette difficulté.

2.2. Howard S. Becker et Anselm Strauss

Les sciences sociales possèdent une littérature abondante sur les questions de méthodologie et d’analyse de situations « en cours de déroulement ». Après une courte étape d’initation aux théories sociologiques, notamment en sociologie de la culture[1], j’ai

porté mon choix sur les méthodes de recherche qu’on regroupe habituellement sous le nom de l’Ecole de Chicago[2], en particulier la théorie enracinée (grounded theory) telle qu’elle

a été développée par Anselm Strauss, et les « ficelles » méthodologiques de Howard S. Becker[3].

Pour l’essentiel, l’approche peut être comparée au travail d’un journaliste : aller sur le terrain, observer et prendre des notes, puis, sur cette base, faire une analyse[4]; elle insiste

notamment sur la nécessité de saisir le point de vue des acteurs pour comprendre les interactions[5]. Ce type de méthode est catalogué « inductif » et s’oppose aux approches dites

« déductives » ou « vérificatives », où on commence par établir une hypothèse théorique, que l’on va ensuite confronter à des observations de terrain.

Je présente ci-dessous quelques-uns des procédés pratiques, suggérés par ces deux auteurs, que j’ai utilisés au cours de la recherche. Bien que ceux-ci soient directement liés à des

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Je dois beaucoup à André Ducret dont j’ai suivi le séminaire de sociologie de l’art donné à l’Université de Genève en 2002-2003.

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Le terme « Ecole de Chicago » étant un peu confus, j’évite de l’utiliser par la suite. Le nom d’Howard Becker y est souvent rattaché, celui d’Anselm Strauss également, bien que dans une moindre mesure (ce dernier a fait une partie de ses études à Chicago, période qui aurait eu par la suite une influence importante sur son travail, cf. Juliet Corbin, & Anselm Strauss, Basics of Qualitative Research: Techniques and

Procedures for Developing Grounded Theory p. 9). Pour plus d’information à ce sujet, voir Howard S. Becker,

« The Chicago School, So-Called », ou encore Jean-Michel Chapoulie, La tradition sociologique de Chicago,

1892 - 196 (Paris, 2001).

3

Howard S. Becker, Les Ficelles du métier: comment conduire sa recherche en sciences sociales.

4

Juliet Corbin, & Anselm Strauss, Basics of Qualitative Research: Techniques and Procedures for Developing

Grounded Theory, pp. 11-12.

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questions méthodologiques connues en sciences sociales, il est utile, je crois, de les présenter afin de situer leur pertinence et leur utilité dans le cadre des études chinoises contemporaines. J’illustrerai certains procédés par de courts exemples extraits de mes observations de terrain afin de montrer comment ceux-ci ont permis de réaliser cette recherche en particulier.