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ETUDE 1 : XIAO DENG, PHIL KIEREN, ET PETER KRISCHKER

A. Les disques vinyles du mix

2. Les objets techniques "disques"

2.1.6. Le disque-jockey "est" ses disques

Je reprends brièvement les cinq exemples qui précèdent, en cernant le point de rencontre en le disque-jockey et les disques.

L’exemple 1 montre comment la présence ou non d’une grande quantité de public, liée aux tranches horaires, influe sur le statut de « star » du DJ dans la salle, sans que lui-même change son activité. Xiao Deng mixant à vingt-deux heures ou à cinq heures du matin est moins important à l’ensemble des personnes présentes que Xiao Deng mixant à deux heures du matin. Beaucoup d’autres facteurs seraient toutefois à prendre en compte pour cerner « l’importance » du disque-jockey dans une soirée dansante ; sa renommée (une célébrité ne joue que durant les meilleures tranches horaires), le jour de la semaine (le mardi soir est très différent du jeudi, ainsi que du week-end), le type de club et de public, la personnalité du DJ concerné (exhubérant ou non par exemple), son choix de musique (un disque particulièrement apprécié peut sans doute faire réagir le public, même peu nombreux), ainsi que d’autres facteurs encore. Les objets techniques « disques » n’étant pas directement impliqués dans cet exemple, je le laisse pour l’instant de côté.

L’exemple 3 montre que, parfois, le rôle principal du disque-jockey aux yeux d’un gérant de bar peut être de connaître beaucoup de gens, et ses conditions d’engagement directement liées à cette question, elle-même semble-t-il située bien loin de ses compétences de mix. L’exemple montre également que la présence visuelle de platines en train de tourner ou non peut être essentielle au travail de disque-jockey, peu importe que

celles-ci soient utilisées ou non pour diffuser la musique. Les objets techniques « disques » n’étant impliqués dans cet exemple qu’en tant qu’éléments visuels, je le laisse provisoirement de côté.

Les exemples 2 (Guo interpelle Xiao Deng, mais celui-ci a été remplacé par un collègue), 4 (Zheng Dao s’est fait voler quatre-vingt six disques, il devient « mauvais » le temps de reconstituer sa collection), et 5 (Xiao Deng s’absente aux toilettes, un disque fait le travail pendant ce temps-là), permettent, me semble-t-il, de mieux comprendre en quoi consiste l’objet technique « disque ». Pour les besoins de l’analyse, j’utilise ci-dessous le concept de présence virtuelle proposé dans l’introduction en considérant qu’il s’agit pour chaque cas du morceau « I Love You », composé et produit par Phil Kieren, puis acheté et utilisé par Xiao Deng.

Photo de l’album « I Love You » de Phil Kieren, prise au domicile de Xiao Deng au mois de juin 2004. Dans l’exemple 2, Guo croit interpeller Xiao Deng et se trompe. Son erreur est compréhensible, puisque, dans l’impossibilité de voir la table des disques-jockey, il n’entend que Phil Kieren qui joue « I Love You ». Dans l’exemple 4, Zheng Dao appréciait beaucoup de passer le morceau de Phil Kieren, et le public aussi. Malheureusement le disque a changé de propriétaire, et à présent, Phil Kieren joue « I Love You » dans d’autres

lieux – le temps que Zheng Dao trouve un moyen de le faire revenir sous une forme ou une autre. Dans l’exemple 5, Xiao Deng peut aller tranquillement aux toilettes puisque, tandis qu’il fait ce qu’il a à faire, Phil Kieren s’occupe de faire danser la foule.

Comme on peut le constater, la présence virtuelle de Phil Kieren (et ses nombreux collègues, présents à divers endroits de la collection de disques de Xiao Deng) joue un rôle central dans l’activité de mix : elle peut se faire passer pour Xiao Deng (exemple 1), faire (par son absence) baisser le niveau de compétence de Zheng Dao (exemple 4), ou remplacer Xiao Deng le temps qu’il aille aux toilettes (exemple 5).

A ce stade il convient de poursuivre la réflexion quant à la présence virtuelle de Phil Kieren en abordant d’autres situations. Pourquoi lui et pas quelqu’un d’autre? On le sait, c’est Xiao Deng qui choisit les disques qu’il passe ; Phil Kieren est, dans cette perspective, « otage » de Xiao Deng qui peut ou non l’inclure dans le processus d’utilisation. Les observations du mix à domicile, ainsi que celles relatives au processus de choix puis d’achat des disques qui sont présentées ci-dessous, apportent quelques éléments de réponse.

2.2. Le mix à domicile

Le processus de mix à domicile de Xiao Deng, enregistré puis distribué sous la forme de disques compacts, était très similaire à celui en soirée. Je n’ai pas eu la chance d’assister à une de ses séances d’enregistrement (dont il décidait de la tenue sur l’instant), mais j’ai en revanche pu écouter plusieurs des disques compacts qu’il avait réalisés durant la période où je me trouvais à Pékin, et lui poser ensuite des questions à ce sujet. Ceux-ci étaient généralement produit à une vingtaine d’exemplaires, puis offerts à l’entrée aux vingt premières personnes qui achetaient un billet pour la soirée. Le manager japonais de Xiao Deng, qui semble-t-il avait eu l’idée de ce procédé, m’a expliqué qu’il s’agissait de « faire de la promotion » (sans plus d’explications).

Xiao Deng considérait ces enregistrements comme représentatifs de son travail, et en distribuait des exemplaires à ses connaissances, ainsi qu’à des disques-jockeys étrangers de passage dans la capitale. La remise d’un disque s’accompagnait en général de ces quelques mots « C’est un mix que j’ai fait » (·qƒ¸9mix Zhei shi wo zuo de mix). Dans le cas où il

s’adressait à un étranger, la formule devenait un simple « My mix ». Lorsqu’il a été invité à jouer en Europe au début de l’année 2004, il m’a répété plusieurs fois qu’il était important qu’il enregistre quelques bons mix afin de les donner aux personnes qu’il rencontrerait à cette occasion, en particulier d’autres disques-jockey ou des gérants de clubs. C’est donc au titre d’oeuvre musicale représentative du travail de disque-jockey de Xiao Deng que ces mix à domicile sont discutés ici.