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ETUDE 1 : XIAO DENG, PHIL KIEREN, ET PETER KRISCHKER

A. Les disques vinyles du mix

2. Les objets techniques "disques"

2.2.2. La disparition de Phil Kieren

On constate dans cet exemple une sorte de « disparition des auteurs » liée à l’usage des objets techniques, d’une façon très concrète : Xiao Deng ne sait pas qui sont les auteurs des disques de promotion dont il a fait l’usage, et il ne peut pas le savoir puisque cette indication ne figure nulle part sur le support. Il ne sait pas non plus qui est l’auteur de la musique du fichier mp3 qu’il a utilisé dans le deuxième mix[3], et n’a probablement aucun

moyen de retrouver cette information[4]. Dans le cas des quatre autres disques, il ne se

souvient tout simplement plus des disques qu’il a utilisés ; il en possédait certes beaucoup,

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Le disque qu’on a aperçu sur la photo de sa table de travail est précisément l’un de ces disques de promotion.

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Pour une oreille expérimentée, un fichier mp3 en format standard – à l’époque en résolution 128kbps –, se distinguait facilement d’un enregistrement sur vinyl ou disque compact car les attaques des sons percussifs, ainsi que la finesse du son en général, étaient légèrement déformés par l’algorithme d’encodage.

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Il est possible de faire figurer à l’intérieur d’un fichier mp3 des informations au sujet de l’auteur, et je n’ai pas vérifié si ce fichier en question possédait cette information ou non. Il était toutefois fréquent à l’époque, beaucoup de fichiers encodés étant réalisés non pas par les artistes concernés mais par des personnes en possession du disque, que ces informations ne s’y trouvent pas.

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Xiao Deng possédait une grande quantité de mp3 qu’il téléchargeait par divers moyens (par exemple les logiciels peer-to-peer), ou qu’il recevait par des amis stockés sur des cd-roms et d’autres supports informatiques. Les titres des fichiers mp3 étaient peu explicatifs (quand ils n’étaient pas corrompus et illisibles), et pour la majorité sans ajouts de tags (des infomations cachées dans les fichiers qui indiquent le nom de l’auteur et d’autres informations).

et il ne s’agissait ici sans doute pas d’auteurs très connus (sans quoi le morceau lui serait aisément reconnaissable).

Bien que je n’ai pas effectué d’analyse comparative d’un mix en soirée, j’ai toutes les raisons de penser que cette partie du processus y est identique. Le disque vinyle désigné ci- dessus comme « un disque irlandais » était justement le morceau I Love You, de Phil Kieren, retenu précédement comme outil d’analyse. En le reconsidérant dans le contexte du mix à domicile, on voit que, bien que centrale dans le processus de mix, la présence virtuelle de l’auteur Phil Kieren est, en quelque sorte, fortement sujette à disparition ; la survie de son nom dépend de la couverture du disque vinyl, du titre ou des tags d’un fichier mp3, ou encore de la mémoire de Xiao Deng qui ne se souvient plus quels sont les disques qu’il a utilisés.

Phil Kieren (ici en tant qu’outil d’analyse) est donc à la fois essentiel durant le mix (puisqu’il remplace parfois Xiao Deng et remplit toutes sortes d’autres tâches), mais quantité négligeable lorsqu’il s’agit de lui attribuer un nom et une origine. Si l’on reprend la question formulée précédemment sous la forme « pourquoi Phil Kieren et pas quelqu’un d’autre? », l’exemple ci-dessus semble indiquer, de premier abord, qu’il pourrait très bien bien s’agir, justement, de quelqu’un d’autre.

Dans le cas d’un disque vinyle standard, il est possible de consulter les indications qui figurent directement sur le disque, comme l’illustre l’agrandissement ci-dessous.

Phil Kieren (je laisse tomber les autres détails de la couverture du vinyle qui ne sont pas nécessaires à la discussion) semble être basé en Irlande du Nord puisque le texte nous indique « written & produced by phil kieren in belfast ». L’étape suivante est donc de se pencher sur le chemin qui a amené I Love You, ou la présence virtuelle de Phil Kieren, de Belfast jusqu’à Pékin.

2.3. Le choix des disques sur Internet

Afin de pouvoir proposer de façon continue des nouvelles musiques au public, Xiao Deng achetait à intervalles réguliers de nouveaux disques. Il n’existait cependant pas de magasin spécialisé dans la vente de vinyles à l’intention des disques-jockeys à Pékin ; pour cette raison, il suivait une procédure particulière. Il se rendait tout d’abord sur des sites Internets spécialisés (des sites de labels de disques, ou de vente de vinyles en ligne par exemple), via lesquels il lui était possible d’écouter des extraits sonores et de sélectionner les musiques qu’il souhaitait acquérir. En 2004, lorsque j’ai pu l’observer à son domicile, il utilisait le site Internet decks-records.de , dont voici une illustration.

Détail d’une photo d’écran prise dans l’ordinateur de Xiao Deng au mois de juin 2004.

Il cliquait sur la section « Techno-News » (on aperçoit en haut à gauche l’onglet de sélection), et limitait ensuite son exploration à cette section seule. De gauche à droite, on voit dans la partie inférieure de l’image une illustration réduite de la pochette du disque, le nom de l’artiste, des informations d’ordre stylistique, le nom du label, ainsi que la possibilité d’écouter un court extrait en format mp3 (représenté par une icône de haut- parleur).

Xiao Deng expliquait que cet onglet lui permettait accéder de façon instantanée aux nouveautés du style musical qui l’intéressait, de façon comparable à un acheteur se rendant, par exemple, directement au rayon « Variété française - Nouveautés » dans un magasin de disques. Il écoutait ensuite les extraits sonores proposés (une trentaine de secondes pour chaque morceau), et effectuait son choix de futurs achats qu’il notait sur une liste à part. Dans un deuxième temps, il donnait sa liste d’achats à son promoteur japonais, qui, à l’occasion de voyages fréquents au Japon pour visiter sa famille, se rendait

alors dans un magasin spécialisé pour les acheter (il n’était cependant pas rare que, le moment venu, certains disques ne soient plus disponibles)[1]. Une fois achetés, Xiao Deng

les écoutait à son domicile puis les rangeait dans un de ses bacs de stockage (en en jettant ou mettant de côté certains lorsque le contenu n’était pas conforme à ce qu’il attendait).